Âgé de 76 ans, André Brassard s’est éteint mardi dans un hôpital montréalais où il était hospitalisé depuis quelques semaines. Le décès de ce géant du théâtre québécois a été confirmé par Alice Ronfard, une de ses amies de longue date, rapportait La Presse, en soirée mardi. Avec près de 160 créations en plus de 40 ans, il est considéré comme l’un des plus grands metteurs en scène du Québec. C’est en grande partie grâce à André Brassard si le théâtre québécois a acquis aujourd’hui ses lettres de noblesse, tant ici qu’à l’étranger.
Metteur en scène, comédien, réalisateur de cinéma, traducteur, directeur artistique du Théâtre français du Centre national des Arts, pédagogue, André Brassard est une des personnalités les plus marquantes du paysage théâtral québécois. Il a influencé plusieurs générations d’artistes : comédiens, auteurs et dramaturges.

Passionné de théâtre dès l’adolescence, il signe à l’âge de 20 ans (en 1966) ses premières mises en scène importantes avec Les Troyennes d’Euripide et Les Bonnes de Jean Genet. En 1968, il se joint à Rodrigue Mathieu (Les Saltimbanques) et à Jean-Pierre Saulnier (Les Apprentis-sorciers) et participe à la fondation du Centre de Théâtre d’Aujourd’hui. Deux ans plus tard, il fait son entrée en inaugurant la scène du Centre national des Arts d’Ottawa avec son ami Tremblay dans une adaptation de Lyssistrata d’Aristophane.
Au cours des années qui suivent, Brassard s’attaque aux plus grands auteurs dramatiques d’ici et d’ailleurs.
On pense notamment à Françoise Loranger (Double Jeu), Arthur Miller (Les Sorcières de Salem), Réjean Ducharme (Le Marquis qui perdit), Beckett (En attendant Godot), Tchekhov (La Mouette et Oncle Vania), Dario Fo (Mistero Buffo), Shakespeare (La Nuit des rois et Richard III), Marcel Dubé (Un simple soldat et Le Temps des lilas), Gratien Gélinas (Bousille et les justes), Michel Marc Bouchard (Les Feluettes et Les Muses orphelines), Brecht (Mère Courage), Ionesco (Jacques ou la soumission), Mrozek (Les Émigrés, chez Duceppe) et Marivaux (La Double Inconstance).
Mais c’est sa collaboration et sa parenté profonde avec le monde de Michel Tremblay qui a fait d’André Brassard l’un des metteurs en scène les plus respectés du Québec.
La première au Théâtre du Rideau Vert en 1968 de la pièce Les Belles-Sœurs du tandem Tremblay-Brassard aura l’efft d’une bombe. La dramaturgie québécoise, prend alors un envol qui révolutionnera toute la société. C’est à André Brassard que Michel Tremblay confie par la suite, la création, à une exception près, de ses pièces.
De 1968 à 2003, il a créé la majorité des pièces du dramaturge: En pièces détachées, Demain matin Montréal m’attend, La Duchesse de Langeais, À toi, pour toujours, ta Marie-Lou, Hosanna, Bonjour, là, bonjour, Damnée Manon, sacrée Sandra, L’Impromptu d’Outremont,Le Vrai Monde?, Les Anciennes Odeurs, Albertine en cinq temps, La Maison suspendue, Marcel poursuivi par les chiens, Messe solennelle pour une pleine lune d’été, Encore une fois, si vous le permettez, L’État des lieux, Le Passé antérieur…

Michel Tremblay et André Brassard pendant le tournage de Il était une fois dans l’Est
En collaboration avec Michel Tremblay, André Brassard a réalisé les films Françoise Durocher, waitress, en 1972, Il était une fois dans l’Est, en 1974, et Le soleil se lève en retard, en 1976, l’une des meilleures adaptations cinématographiques basées sur un roman de Michel Tremblay.
En 1974, alors que Brassard et Tremblay présentent leur film Il était une fois dans l’Est au Festival de Cannes, Brassard répond «Parce qu’on est homosexuels» à un journaliste français qui leur demande «Pourquoi êtes-vous attirés par les marginaux?»
Le geste peut sembler héroïque (rappelons qu’à l’époque, personne ne parlait de son orientation sexuelle en public), mais attire l’attention de la police qui perquisitionne, en 1975, le domicile du metteur en scène. On y saisit des photos d’adolescents et de jeunes hommes faisant partie d’un réseau de prostitution. André Brassard est alors condamné à 90 jours de prison.
En 1999, André Brassard a été victime d’un accident vasculaire cérébral, qui l’a beaucoup affaibli et contraint à se déplacer en fauteuil roulant. L’homme a néanmoins renoué avec le théâtre, en 2008, en montant Oh les beaux jours de Samuel Beckett avec, dans le rôle-titre de Winnie, Andrée Lachapelle à l’Espace Go de Montréal.
En 2000, il a reçu le prix Denise-Pelletier, la plus haute distinction accordée par le gouvernement du Québec dans le domaine des arts d’interprétation.
Sources :
Je suis le méchant ! par Wajdhi Mouawad.