Jeudi, 6 février 2025
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    Jean-Philippe Bernié : pourfendeur d’avenirs dystopiques

    Le voyage dans le temps est rarement associé à la découverte d’un futur idyllique et c’est à un tel cauchemar que sont confrontés Marek, Amélie et Laurent dans Les voleurs d’avenir dont le troisième opus, La ville froide, vient tout juste de paraitre. L’amour partagé par Marek et Laurent pourrait cependant jouer un rôle essentiel afin de contrer le funeste destin qui attend l’humanité ! Derrière cette prémisse intrigante se cache Jean-Philippe Bernié, qui lève le voile sur les coulisses de cette captivante série destinée aux jeunes (et à leurs ainés).

    Tes précédents romans étaient destinés à un public adulte : est-ce différent d’écrire pour les jeunes ?
    J.-P.B. : Le processus d’écriture est tout aussi complexe puisque les ados sont très critiques. Le grand défi est de trouver le ton juste et de ne pas sombrer dans les clichés et je me suis donc tourné vers mes propres souvenirs. Il y a un peu de moi dans tous mes personnages ados, à la fois dans ce que je ressentais ou désirais, mais également dans ce que je rejetais. J’ai toujours eu le sentiment qu’une part non négligeable de l’identitaire se construit dans l’opposition. Marek me ressemble beaucoup. Quand j’avais son âge, je suis également tombé en amour avec mon meilleur copain ! L’écriture de cette série m’a donc amené à effectuer un voyage dans le temps où, par procuration, j’ai pu fantasmer sur les rendez-vous manqués, sur ce qui aurait pu être

    La série s’inscrit dans un courant de littérature dystopique : est-ce un genre qui t’interpelle ?
    J.-P.B. : La science-fiction et le fantastique m’ont toujours fasciné. Adolescent, je dévorais les classiques du genre (Orwell, Huxley, Asimov, Stephen King) et au cinéma, je trippais sur les films noirs, d’aventure ou de science-fiction des années 40 à 60. Lorsque Marek fait face à ses démons intérieurs, aux pouvoirs qu’il peine à contrôler, il y a certainement des échos de Forbidden Planet (Planète interdite)

    Le fantastique et les réalités LGBTQ sont des thèmes assez peu empruntés dans les romans jeunesse francophones : est-ce que je me trompe ?
    J.-F.B. : Le paranormal est en effet beaucoup plus présent chez les Anglo-Saxons,
    en particulier chez les Britanniques. Certains attribuent ce phénomène au fait que les
    campagnes isolées d’Écosse et du pays de Galle ont longtemps conservé de grandes traditions païennes, ce qui a généré un terreau fertile à cet imaginaire. La littérature francophone, peut-être pétrie de la tradition des Lumières, a surtout produit des œuvres très cartésiennes (Jules Verne, Gaston Leroux, etc.). C’est un peu l’opposition entre le jardin à l’anglaise, libre et naturel, et celui à la française où une perfection formelle est recherchée. Au niveau des thèmes LGBTQ, la littérature francophone a longtemps fait preuve de timidité vis-à-vis des évolutions sociales. Il y a également une tradition voulant qu’un bon roman doive comporter une importante part de tragédie. C’est ce qui explique sans doute que, pendant longtemps, le destin des personnages queers se limitait trop souvent au suicide ou à une longue maladie. De mon côté, malgré l’adversité qu’ils traversent, je leur revendique le droit au bonheur 

    On retrouve également une riche galerie d’adultes assez redoutables, dont la sinistre madame Charterel : comment sont nés de tels personnages ?
    J.-F.B. : Je me suis inspiré des blondes glacées d’Alfred Hitchcock. Ce sont des êtres fascinants qui sont prêts à tout pour parvenir à leurs fins. Selon moi, la pierre d’assise d’une œuvre engageante tient bien souvent dans la qualité de son vilain. Dans la première trilogie Star Wars, c’est sur les épaules de Vador que repose l’intérêt de l’histoire plutôt que sur Luke Skywalker. L’adolescence nous place toujours dans une position de vulnérabilité puisque nous sommes sous le contrôle d’adultes. Marek n’est pas un aventurier : il aspire à une vie des plus ordinaire et se laisse tout d’abord ballotté par les événements. Ce n’est que progressivement et en raison de son amour pour Laurent qu’il arbore les couleurs du héros et se redresse pour combattre 

    Les voyageurs du temps sont confrontés à des paysages stériles et à une population asservie qui n’est pas sans rappeler de sinistres pages de notre histoire.
    J.-F.B. : Je suis d’un naturel optimiste, mais j’ai voulu incarner un futur dans ce que l’humanité a connu de plus noir. Le parallèle [entre le] travail forcé, auquel sont confinés Marek, Laurent et Amélie, [et] la déshumanisation des camps de travail de la Seconde Guerre mondiale n’est donc pas le fruit du hasard. C’est l’horreur à laquelle mène inéluctablement une
    dictature absolue 

    Tu es plongé dans l’écriture du dernier volume de la tétralogie : est-ce que cette étape comporte une part de stress ?
    J.-P.B. : Tout à fait puisque je dois m’assurer de bien nouer le fil de toutes les intrigues tissées au fil des pages. Ce qui est paradoxal, c’est qu’il faut à la fois le faire du point de vue des personnages, mais également des lecteurs. Une œuvre échappe toujours un peu à son auteur puisque le lecteur participe également à son écriture via le simple fait d’en faire lecture. Il porte attention à certains détails, construit des théories et développe des attentes. Il faut donc parfois savoir répondre à ces dernières

    Quel sort attend nos jeunes héros ?
    J.-P.B. : Sans dévoiler trop de détails, ils trouveront — du moins en partie — réponse à leurs questions et à leur quête. Quant à madame Charterel, comme le veut si bien l’adage : qui vit par l’épée périra par l’épée…

    INFOS | Les voleurs d’avenir : 3. La ville froide / Jean-Philippe Bernié. Montréal : Glénat, 2022, 224 p.

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