Dimanche, 16 février 2025
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    Il était une fois dans l’Est : Deux grands classiques queer

    On connaît Julie Vaillancourt pour ses chroniques et ses articles dans Fugues. On connaît son travail remarquable sur l’histoire des lesbiennes au Québec. Elle a signé le Tome 1 et 2 du livre Archives Lesbiennes à la BANQ. On sait moins qu’elle est une passionnée de cinéma qu’elle enseigne à des cégépien.n.e.s. Elle publie dans Passionnée de cinéma, publie aujourd’hui chez McGill Queen’s University Press autour de deux grands films québécois, qui ont marqué non seulement la culture du cinéma québécoise mais aussi la culture queer : À tout prendre (1963) de Claude Jutra et Il était une fois dans l’Est, (1974) de Michel Tremblay et André brassard. Ces deux films marquent une rupture dans le paysage cinématographique. Ils sont tout autant les témoins d’une époque que les précurseurs des changements à venir.

    Le livre de Julie Vaillancourt est une véritable somme puisque non seulement les deux films sont évoqués mais inscrits dans le contexte social de l’époque, dans le contexte de leur production, de leur sortie et de leur réception aussi bien du public que de la critique. Enfin, l’autrice resitue ces deux œuvres dans l’émergence ici et ailleurs de films qui parlaient – enfin – et justement des réalités 2SLGBTQ+.
     
    Quelle influence ont-ils eu pour le Québec d’une part, pour les communautés 2SLGBTQ+ d’autre part ?
    Julie Vaillancourt : Avant de parler de l’influence de ses deux films pour le Québec et les communautés 2SLGBTQ+, ils ont eu une grande influence sur moi au point où ils ont fait partie de mon mémoire de maîtrise en cinéma. Et je me suis rendue compte que c’étaient deux films phares dans la production québécoise et que chacun à leur manière, À tout prendre est bien différent à tous les points de Il était une fois dans l’Est, ils donnaient à voir la rupture d’un ancien Québec et annonçaient le nouveau. Ils marquent pour moi l’histoire du Québec. À tout prendre de Claude Jutra, dans lequel il joue lui-même le personnage principal, est très expérimental dans sa facture. On est en 1963 et le personnage est en couple avec une femme Noire, ce qui est déjà totalement révolutionnaire, mais aussi parce que Claude Jutra ou son personnage avoue dans une scène son amour pour les garçons.

    Un demi-aveu mais on est bien loin de l’exposition caricaturale et ridicule de l’homosexualité dans les films de l’époque et des décennies précédentes. Et surtout, il fait cet aveu à une époque où l’homosexualité était encore criminalisée au Canada. Quant à Il était une fois dans l’Est, il nous donne à voir une représentation du Québec bien loin de la vision glamour telle que montrée dans le cinéma hollywoodien, un cinéma de l’Ouest en quelque sorte. Par opposition, Michel Tremblay et André Brassard s’attardent sur des gens dont la vie n’a rien de remarquable, qui se débrouillent pour survivre et qui sont encore pris entre une volonté d’émancipation et le conservatisme porté par l’Église. Et mieux encore, le film nous fait découvrir le milieu des bars de l’époque avec les travestis, les homosexuels et les lesbiennes.

    C’était pour moi la première fois où je voyais un couple de lesbiennes à l’écran. En ce sens, on perçoit l’évolution entre les deux films sur une dizaine d’années. D’un côté avec Claude Jutra, une affirmation timide, et de l’autre, avec Michel Tremblay et André Brassard, une affirmation plus forte. Tu ne fais pas l’impasse non plus sur la controverse des dernières années autour de la découverte de la pédophilie de Claude Jutra.

    Julie Vaillancourt : Je ne fais pas l’impasse dessus, j’essaie de remettre en perspective les différents points de vue de poser la question sur ce qui a poussé du jour au lendemain les institutions comme le milieu des médias à tenter de faire disparaître toute trace non seulement de l’homme (débaptisé les prix à son nom, le nom du square qui portait son nom avec le retrait d’une statue qui évoquait son oeuvre). Bref, le faire tomber dans l’oubli dans une province qui a pour devise “je me souviens”, ce qui est un peu paradoxal. Il n’est pas question d’excuser l’homme pour les gestes qu’il a posés mais de rappeler que son œuvre est incontournable pour quiconque s’intéresse au cinéma. De nombreux jeunes réalisateurs et réalisatrices s’inspirent de son travail. Même Xavier Dolan a rappelé combien Claude Jutra avait été une source d’inspiration.
     
    Ces deux films ont-ils eu une grande influence sur le public 2SLGBTQ+ à l’époque. Julie Vaillancourt : Le cinéma à partir des années 60 va être une grande source de reconnaissance pour les personnes queer. Enfin, on parlait d’elles, des cinéastes queer prenaient la caméra et racontaient des histoires dans lesquelles ils et elles se reconnaissaient, et je pense que cela à aider beaucoup d’entre elles et eux à s’assumer.

    INFOS | À tout prendre et Il était une fois dans l’Est, Julie Vaillancourt, Classiques du cinéma Quers, McGill Queen’s University Press. (2023)

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