Mardi, 18 mars 2025
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    Héros de notre histoire, Yvon Jussaume

    Si d’aucuns prétendent que le Village est une forme de ghetto, d’autres estiment au contraire qu’il constitue un lieu de rencontre privilégié pour les gais. Là où il est possible de fraterniser en toute liberté, de se reconnaitre, de se retrouver en famille, dira-t-on, à l’exemple de ce qui se fait dans le quartier chinois ou celui de la Petite Italie.
     
    Voilà sans doute ce qui a animé Yvon Jussaume pendant plusieurs décennies, lui qui fut « le premier homme d’affaires du “nightlife” de la communauté gaie à avoir investi dans ce qui allait devenir le Village1. » D’ailleurs, il n’hésite pas à affirmer que ce « nightlife montréalais a joué un rôle de premier plan pour la communauté LGBTQ2S+. Ça aura permis à ses membres de se rencontrer et de développer des amitiés, des relations intimes et même amoureuses. De pouvoir nous côtoyer nous a permis de nous soutenir entre nous, de nous divertir, de favoriser le militantisme et aussi, de donner du travail aux membres de la communauté. Je crois que ça a grandement contribué à changer les mœurs au Québec2 ».

    Yvon Jussaume est au nombre des invités qui livrent des témoignages dans la série de balados sur le Village, diffusée à Radio-Canada OhDio. Il y raconte qu’après avoir été fleuriste, chauffeur de taxi et serveur au bar La Rose Rouge, il ouvre le resto-bar Le 1160 sur la rue Sherbrooke Est, qu’il gère de 1970 à 1975, puis La Boite en haut, en 1975, près de la rue Sainte-Catherine, l’un des premiers établissements à délaisser l’ouest de la métropole pour s’installer dans le quartier centre-sud3. « Un bar à chansons rue Alexandre-DeSève4 », écrit Vincent Fortier dans Les Racines secondaires. « Il faut se rappeler qu’à l’époque, dit-il, il n’y avait pas d’Internet ni d’applications de rencontres, si on voulait rencontrer d’autres hommes gais, il fallait sortir et socialiser avec les gens5. »

    À La Boîte en haut, durant près de 20 ans, il présentera des prestations où alternent travestis et artistes, dont Margot Lefebvre, Richard Abel, Evan Johaness, Rosita Salvador, Alys Robi, ainsi que Lucie Vallée et Robert Laurin en souper-spectacle les dimanches durant 10 ans. « Cet homme d’affaires et de cœur s’est toujours fait un devoir de mettre ses établissements au service de nouveaux talents artistiques ou d’organismes communautaires. Au fil des ans, il aura mis de l’avant des valeurs de solidarité et d’entraide qui [auront] servi l’intérêt des communautés LGBT6. »

    C’est d’ailleurs lui qui persuadera les directeurs de Physotech « de déménager dans l’Est parce que les établissements gais commençaient à s’y installer. Nous avons donc déménagé l’année suivante (1984), précisent-ils.  Nous avons assisté et fait partie du développement du Village avec Priape, La Boite en Haut, etc.7 ». Bien connue de la communauté, l’entreprise offre des soins pour hommes allant du bronzage au manscaping, de l’épilation au laser à l’électrostimulation.

    En 1988, Yvon Jussaume fonde le Lounge, puis l’Auberge L’Un et L’Autre sur la rue Amherst/Atateken. Le Lounge fermera ses portes le 22 février 2020 — mais sera repris par Mathieu Ménard, qui possède déjà le resto-bar Le Blind Pig, situé sur la rue Ontario. Avec la complicité d’André Bergeron, il ouvrira également l’auberge Sir Montcalm Gite B&B, classé quatre étoiles, qui a été vendue durant la pandémie.

    Yvon Jussaume recevra plusieurs prix, soit : en 2006, le prix Coup de cœur du jury au Gala Phénicia et, en 2014, partagé avec Jean-Claude-Lapointe, le prix Phénicia service à la clientèle pour le Lounge L’Un et L’Autre. Lors de son 15e Gala Phénicia (2019), la Chambre de commerce LGBT du Québec (CCLGBTQ) lui remettra un prix spécial pour l’ensemble de sa carrière et son implication au développement du Village. L’année suivante, il sera parmi les Membres d’honneur pour le 30e anniversaire du Black & Blue, en compagnie de gens renommés comme André Passiour, Bob Hendriks, Mado Lamothe, Yves Lafontaine et Zïlon. Une belle consécration, alors qu’il vient de prendre sa retraite après 50 années « passées au service à la clientèle de la communauté LGBTQ 8 ».

    Signalons que l’on peut consulter le Fonds Yvon Jussaume (AGQ-F0198), déposé aux Archives gaies du Québec.

    Notes

    1. https://galaphenicia.org/team-member/yvon-jussaume.
    2. https://www.saq.com/fr/contenu/inspiration/rencontres/fierte-montreal-nightlife.
    3. https://ici.radio-canada.ca/ohdio/balados/9752/village-gai-meurtres-combats-fierte/632148/virus-vih-meutres-homophobes-victimes.
    4. Vincent Fortier, Les Racines secondaires, Del Busso éditeur, 2022, p. 36.
    5. André Constantin Passiour, « Yvon Jussaume : un pionnier du Village prend sa retraite », Fugues, 14 avril 2022. https://www.pressreader.com/canada/fugues/20200301/281689731844917
    6. https://galaphenicia.org/team-member/yvon-jussaume.
    7. « La beauté du rêve », Magazine RG, juin 2012. https://physotech.com/presse/#1519626477654-15faa9f6-d992.
    8. André Constantin Passiour, op. cit.

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