Mardi, 11 février 2025
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    Zïlon, le Prince rebelle de la rue

    Tout le monde connait l’œuvre de Zïlon. Pendant plus de 40 ans, l’homme n’a cessé de créer, n’a cessé de bousculer les codes. Une démarche artistique sans concession, une méfiance vis-à-vis de tout ce qui pouvait ressembler à une compromission avec les institutions et le monde de l’art, et en même temps le désir de voir son travail reconnu à sa juste valeur. En résumé, Zïlon se trouvait symboliser la fracture qu’il partageait avec beaucoup d’autres artistes : comment rester rebelle et fidèle à soi-même et aspirer dans un même mouvement à la reconnaissance ? Montréal a eu son Keith Haring et son Jean-Michel Basquiat dans la même personne.

    Louis Costa et Simon DuPlessis ont été des proches de Zïlon. Le premier l’a connu alors qu’il était étudiant à l’UdeM au début des années 80. Il avait invité Zïlon pour une conférence sur l’art de la rue, alors que sa signature commençait à circuler dans les rues de la métropole. « J’étais tout jeune et j’ai été impressionné par l’artiste, se souvient Louis Costa, on sentait cette détermination dans la création. Il savait qu’il avait du talent, et il était d’autant plus fier qu’il n’avait jamais suivi de cours, il aimait rappeler qu’il était un autodidacte. » À partir de cette rencontre, Louis Costa va toujours rester dans l’entourage de Zïlon. « Il y a eu des années où l’on a été plus proches et où l’on a travaillé ensemble sur des projets comme les soirées F_CKSTARS au Sky, continue Louis Costa. Zïlon était un très bon DJ et adorait se retrouver derrière les tables tournantes le temps d’une soirée. » Tout au long de sa carrière, Zïlon participe à des projets qui croisent des arts et des genres différents. Il sera à l’origine des soirées Porn Pop Star au Cléopâtre, entouré sur scène d’anciennes pornstars invitées pour l’occasion.
     
    En parallèle, il continue sa propre démarche artistique. Pour le poète Simon DuPlessis, qui le côtoiera jusqu’à son décès, Zïlon était dans un état de création perpétuelle. « Tout l’interpelle. Quand on se promenait, il y avait toujours quelque chose qui retenait son attention et il élaborait sur-le-champ ce qu’il pourrait faire, ce qu’il pourrait en tirer, cela pouvait être une situation, une personne, une maison, témoigne Simon DuPlessis. J’étais admiratif de voir que tout était source de création pour lui. »

    Ne dis pas ce que tu veux faire, fais-le !
    Simon DuPlessis rencontre Zïlon au début des années 90, alors qu’il organise et participe à des shows qui se déroulent à la Galerie Dentaire. « J’étais tout jeune et bien sûr impressionné de le rencontrer, d’autant qu’on sait qu’il n’était pas toujours facile d’approche, confie Simon DuPlessis, mais je ne sais pas pourquoi ça a fonctionné entre nous. Et je dois dire qu’il a été pour moi comme un mentor, il m’a soutenu dans mon travail d’écriture comme poète. Une de ses phrases qu’il me répétait souvent quand je lui parlais d’un projet, c’était : Ne dis pas ce que tu veux faire, fais-le ! Il pouvait être très critique, mais en même temps il respectait les autres artistes, il se déplaçait pour voir leurs expositions, et même parfois les aidait, c’est une facette de Zïlon que l’on connait moins, sa grande générosité. »
     
    Une des leçons qu’a retenu Simon DuPlessis, c’est celle sur l’accident dans la création. « En fait, à partir du moment où l’on dessine, où l’on écrit quelque chose qui nous échappe, qui n’était pas prévu à l’origine, explique Simon DuPlessis, c’est vers cet accident qu’il faut que l’on se dirige, […] c’est là que se trouve l’unicité, l’originalité, la véritable création. » En multipliant les supports sur lesquels il s’exprimait, Zïlon poursuivait une quête dont il ne connaissait pas l’issue, mais qu’il découvrait dans chacune de ses œuvres et qui l’obligeait à aller encore plus loin.

    « On a bien sûr parlé beaucoup du caractère de Zïlon, continue Simon DuPlessis, des aspects de sa personnalité contradictoires, des rapports conflictuels que l’on pouvait avoir avec lui, mais il était bien plus que cela. Il faut se rappeler que Zïlon était avant tout un punk, il avait passé son adolescence dans cet univers-là, dans la rébellion contre le système. Il avait commencé par des graffitis dans les tunnels, dans des lieux désaffectés, puis un début de reconnaissance était arrivé. Il avait, comme tout le monde, besoin de reconnaissance, mais cela le mettait dans une position difficile face à sa propre conception de l’artiste qui ne doit faire aucune concession par rapport à sa création. »

    Entre les dessins sur les portes de toilettes des bars signés Zïlon, des performances underground, ou encore la murale des Foufounes Électriques, l’artiste est aussi touché quand des galeries et des collectionneurs commencent à s’intéresser à son travail. « Il y avait une dualité perpétuelle chez Zïlon, avance Louis Costa, il voulait être reconnu, admiré et en même temps il avait une méfiance face aux témoignages de reconnaissance qu’il recevait, on ne savait pas toujours s’il se sentait alors exploité ou si au contraire il en voulait encore plus. »

    Zïlon obtient une reconnaissance artistique plusieurs fois. Il crée trois grands panneaux pour un lancement de Givenchy à Paris et plus tard en 2016 il monte une installation pour le Centre d’art Diane-Dufresne à Repentigny, intitulée Apocalypse Disco. Sans oublier sa contribution aux décors du jeu vidéo Far Cry d’Ubisoft. On peut aussi souligner sa collaboration avec Robert Lepage, avec sa conception de l’affiche de la pièce Songe d’une nuit d’été présentée au TNM en 1998 et sa contribution au scénarimage du Confessionnal en 1993. Des percées sur la scène montréalaise des arts visuels, mais qui ne seront pas suffisantes pour qu’il se sente à l’aise dans ce milieu au sein duquel il continuait à regretter, voire à lui reprocher de ne pas lui faire une plus grande place.

    « Il faut aussi souligner à sa décharge que le monde de l’art est un milieu assez dur, avance Louis Costa, et Zïlon ne possédait pas les codes pour dealer avec ce monde-là. Cela ne l’intéressait pas et donc il y avait alors des frictions avec les galeristes ou encore avec celles et ceux qui voulaient devenir son agent.e. » Zïlon avait gardé de son adolescence le caractère rebelle, indocile, voire insolent, qui ne plaisait pas à tout le monde, même si cette résistance était le terreau de sa création. « Il y avait aussi chez lui quelque chose de l’enfant blessé, qui pouvait se révéler aussi très tendre, affectueux, attentionné », ajoute Simon DuPlessis.

    Il se peut qu’avec son décès on souhaite lui re-donner la place qui lui revient dans le paysage artistique montréalais. Que l’on découvre qu’à l’instar de New York, Montréal a eu son Keith Haring ou son Jean-Michel Basquiat. Le célèbre visage zïlonesque au regard perçant et colérique témoigne de façon emblématique de la vision que Zïlon posait sur le monde qui l’entourait. « Je garde le souvenir d’un gars complexe, extrêmement doué, conclut Louis Costa, avec qui j’ai vécu d’incroyables moments, même s’il était souvent le premier à se saborder dans les relations sociales. »

    Pour Simon DuPlessis, le départ de Zïlon est une grande perte. « Je ne serais pas ce que je suis, ce que serait mon travail comme poète, si je ne l’avais pas rencontré. Il avait un grand cœur, torturé, mais si l’on passait au-delà des apparences, on rencontrait vraiment quelqu’un d’exceptionnel. »  

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