Depuis la promulgation de la loi anti-LGBT par le président ougandais, les services de santé sont désertés, des patients arrêtent leur traitement et le personnel craint d’être la cible d’attaques LGBTphobes.
Les allées d’une clinique pour les personnes vivant avec le VIH séropositifs de la banlieue de Kampala sont presque désertes. Mais le personnel garde un œil sur les images de vidéosurveillance à la recherche d’individus suspects, reflétant la peur des agents de santé après l’adoption en Ouganda d’une des lois les plus répressives criminalisant l’homosexualité.
« Les gens doivent faire confiance à leurs personnels de santé, les personnels de santé doivent faire confiance à leurs patients, mais dans les circonstances actuelles, cela a créé une situation où tout le monde a peur les uns des autres », souligne Brian, le fondateur de la clinique.
Durant les trois heures passées dans la clinique, aucun patient n’est entré – signe des effets de la loi sur les efforts de lutte contre le VIH dans ce pays d’Afrique de l’Est, affirme Brian, qui a préféré taire son nom de famille, invoquant des problèmes de sécurité.
Le président Yoweri Museveni, qui dirige l’Ouganda d’une main de fer depuis 1986, a promulgué en mai dernier un texte prévoyant de lourdes peines pour les personnes ayant des relations homosexuelles, l’un des plus répressifs au monde.
Cette loi a suscité une vague d’indignation d’organisations de défense des droits humains et de nombreux pays occidentaux. Elle a également fait craindre aux patients et agents de santé d’être dénoncés à la police, toute personne reconnue coupable d’une vague « promotion » de l’homosexualité risquant jusqu’à 20 ans de prison.
Dix ans d’interdiction d’exercer sont également prévus pour les organisations reconnues coupables d’avoir encouragé les activités homosexuelles.
Lorsque la loi est arrivée devant le Parlement, les débats furent émaillés d’insultes homophobes. « Nous avons reçu de nombreux appels de personnes (anciens patients, ndlr) nous demandant de les retirer de nos systèmes », se désole Brian.
Et depuis, la fréquentation de la clinique n’a cessé de chuter.
Environ 35 % des personnes ayant accès aux services de prévention du VIH ne vont plus dans son établissement, tandis que 10 % de celles qui avaient besoin d’antirétroviraux ont également cessé tout contact, explique-t-il.
« Nous avons perdu trois salariés qui ont déclaré qu’ils ne pouvaient pas travailler dans un tel climat pour leur propre sécurité, leur carrière et leurs familles », réduisant ainsi les effectifs de plus d’un quart, ajoute Brian.
Et certains patients, qui arrêtent de prendre des traitements ont leur charge virale qui augmente, ce qui accroît les risques de transmission du VIH et va aggraver leur état de santé.
« Peur et paranoïa »
Le ministère de la Santé a ordonné aux centres de soins de veiller à ce que personne ne soit discriminé ou ne se voit refuser des services médicaux.
Mais cela n’a pas réussi à rassurer ceux qui travaillent sur le terrain.
« Nous avons vu des personnes être arrêtées en possession de lubrifiants ou de préservatifs », affirme Richard Lusimbo, directeur général du Uganda Key Populations Consortium, une association de défense des droits humains.
Durant les débats au Parlement en mars, la police a arrêté six hommes à Jinja, dans l’est du pays, après avoir trouvé en leur possession 192 tubes de lubrifiants, un drapeau arc-en-ciel et des brochures sur la communauté LGBT+.
Ils ont passé plus de trois mois en prison avant d’être libérés sous caution et d’être notamment poursuivis pour « recrutement d’adultes de sexe masculin dans des actes homosexuels ».
Cette nouvelle loi a créé « beaucoup de peur et de paranoïa », soutient Richard Lusimbo.
« Si rien n’est fait pour l’annuler, nous allons assister à une augmentation des infections », poursuit-il.
L’Onusida et le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme ont notamment averti que les progrès de l’Ouganda dans la lutte contre le sida sont « gravement menacés » par cette nouvelle législation.
Mais le directeur général des services de santé ougandais, Henry Mwebesa, assure à l’AFP que le pays est sur la « bonne voie pour mettre fin au sida en tant que défi de santé publique d’ici 2030 ».
« Contrairement à certaines allégations exagérées, les services sont assurés sans discrimination », soutient-il.
« Réparer les dégâts »
Au troisième étage de la clinique, Brian cherche avec son équipe des moyens de soigner les patients sans les mettre en danger.
« Nous avons ouvert une ligne WhatsApp » afin de pouvoir joindre directement les clients, dit Brian, évoquant également le recours à la télémédecine.
Les colis ne sont en outre pas étiquetés pour éviter tout risque d’identification et de ciblage des destinataires.
Mais ces mesures ne sont pas suffisantes pour apaiser Brian et ses collègues. « Quand nous arrivons au travail, nous nous attendons au pire », confie-t-il.
Même si la loi est abrogée, le mal est fait selon Brian, qui affirme que les Ougandais « se sont radicalisés » et que la législation a « renforcé l’homophobie ».
« Il nous faudra de nombreuses années pour réparer les dégâts (…) Il faudra beaucoup de temps pour rétablir la confiance ».