Vendredi, 4 octobre 2024
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    Comment le rejet des politiques d’ÉDI est devenu le champ de bataille de la droite conservatrice

    Alors que le terme diversité, équité et inclusion (DEI) devient une arme aux États-Unis utilisée de plus en plus par les politiciens et les stratèges de la droite, certaines grandes entreprises américaines commencent à revenir sur leurs engagements à soutenir et à fournir un environnement de travail inclusif.

    L’origine du terme ÉDI (Équité, diversité et inclusion) en tant que concept dans le  lieu de travail remonte aux années 1960, dans un contexte de changement culturel et sociétal vers une société plus équitable.

    Le Civil Rights Act de 1964 a été la première loi fédérale aux États-Unis à interdire la discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe ou l’origine nationale, interdisant ainsi aux employeurs toute discrimination en matière d’embauche, de licenciement et de conditions d’emploi.

    Et bien que cette loi ne semble pas avoir la même force légale que les Chartes des droits et libertés du Canada et du Québec, il convient de préciser que la protection fédérale des employés LGBTQ+ a été assurée aux États-Unis par le biais de procès et de décrets, et ce, au plus tôt dans les années 90.

    Le changement culturel provoqué par les mouvements Black Lives Matter et #MeToo a conduit les entreprises à élargir leur engagement dans les initiatives ÉDI pour attirer les talents et attirer les clients.

    Cependant, ce changement culturel – qui a polarisé les États-Unis – a entraîné une réaction violente contre la diversité en milieu de travail, menée par des ultra-conservateurs déterminés à éliminer les politiques dites «woke».

    Et la protection fédérale des employés LGBTQ+ est de plus en plus mis à mal par les interprétations des juges de la cour suprême des États-Unis qui compte plus de juges conservateurs depuis le passage de Donald Trump à la présidence de 2016 à 2020.

    Les bénéfices des pratiques et politiques en Équité, diversité et inclusion (ÉDI)
    Pourtant, les avantages de la diversité et de l’inclusion sur le lieu de travail vont bien au-delà du simple fait d’être « la bonne chose à faire ». Les recherches démontrent qu’avoir un environnement de travail où l’authenticité est encouragée conduit à plus d’innovation, d’engagement des employés et de productivité.

    L’engagement en faveur de lieux de travail inclusifs fait écho aux attitudes de la plupart des consommateurs américains. La génération Z, étant la génération la plus diversifiée, préfère dépenser de l’argent avec des entreprises qui partagent le même objectif.

    Pour la communauté LGBTQ+ en particulier, près de 30 % de la génération Z s’identifient comme queer et elle dispose d’un énorme pouvoir d’achat de plus de 1,4 milliard de dollars US. Une recherche pour GLAAD a révélé que 71 % des adultes queer sont plus susceptibles de dépenser auprès des entreprises qui s’adressent à la communauté, et les Américains sont deux fois plus susceptibles d’acheter auprès de marques qui soutiennent les droits LGBTQ+.

    Se servir des ÉDI comme arme idéologique politique
    Malgré les preuves très claires que les politiques d’ÉDI sont bonnes, le concept est de plus en plus attaqué par des influenceurs ultra-conservateurs et de droite, des politiciens, des experts et des médias dans le cadre de leur «guerre collective» contre «le wokisme».

    Même si être «woke» signifie essentiellement être socialement conscient et donner à chacun une voix égale, l’idée d’une société équitable est méprisée par la ligne dure de la droite, qui a récupéré le terme comme un affront aux «valeurs traditionnelles» ou conservatrices.

    Avant d’être un candidat à la présidentielle, le gouverneur Ron DeSantis a endossé le rôle de principal guerrier anti-woke en affirmant fièrement que son État, la Floride, est un endroit où les initiatives en faveur de la diversité vont rapidement cesser. Depuis, il a multiplié les projets de lois anti-LGBT et anti-trans.

    Ceux qui se situent à droite de l’échiquier politique américaine ont décrit la vice-présidente Kamala Harris et la secrétaire de presse de la Maison Blanche, Karine Jean-Pierre, comme issues des «pratiques dangereuses d’ÉDI».

    La rhétorique a parfois été si intense que le président républicain de la Chambre, Mike Johnson, a dû encourager les membres de son parti à « se concentrer sur la politique et non sur la personnalité », lors de quelques réunions tenues à huis clos.

    Les attaques virulentes contre l’ÉDI apparaîessent également dans le Projet 2025, le cadre de réflexion présumé de ce à quoi ressemblerait une deuxième présidence de Donald Trump. Sans surprise, on y déclare : « Le prochain président conservateur doit faire des institutions de la société civile américaine des cibles impossible à atteindre pour les adeptes de l’idéologie de « l’équité, la diversité et l’inclusion ».»

    Cibler les ÉDI en tant que fonction commerciale
    Le mouvement anti-DEI est passé de murmures de corridor à un mouvement collectif de plusieurs millions de personnes, utilisant les plateformes de médias sociaux telles que X/Twitter pour diffuser de la désinformation et faire pression sur les entreprises et les marques perçues comme «woke».

    En 2023, de nombreuses marques et entreprises sont ainsi devenues la cible du mouvement « anti-woke » simplement pour avoir collaboré avec des influenceurs et créateurs LGBTQ+ ou fait la promotion de (ou simplement être transparent quant à) leurs politiques d’Équité, diversité et d’inclusion.

    Si Target et Bud Light ont été critiqué part la communauté LGBTQ+ pour ce qui a été perçu comme un retrait de leur soutien, d’autres marques telles que The North Face et Nike ont tenu bon et continuent leurs collaborateurs queer et leur engagements envers les communautés LGBTQ+.

    Le paysage a toutefois changé en cette année électorales — où les paroles négatives, les dénigrements et les menaces de boycotts se sont succédés — et les attaques visant les entreprises pour leurs politiques ÉDI se sont multipliées ciblant en particulier les entreprises qui garantissent une expérience de travail plus équitable au personnel marginalisé par le biais de groupes de ressources pour les employés (ERG), de dons de bienfaisance et d’initiatives offrant une progression aux employés.

    Et déjà, une poignée de grandes entreprises ont abandonné leurs programmes d’actions suite aux pressions exercées par le militant de droite Robby Starbuck.

    Qui est Robby Starbuck?

    Starbuck est un ancien réalisateurs de vidéoclips et directeur commercial, devenu militant de droite. AU fil des 4 dernières annes, il a réussi à rassembler un large auditoire sur les réseaux sociaux depuis qu’il a publie son expérience en tant que républicain à Hollywood.

    Complotiste, il a fait campagne contre le port des masques et contre les vaccins pendant la pandémie de COVID-19 et s’est présenté – sans succès – sur la liste républicaine pour devenir représentant de l’État du Tennessee.

    Son documentaire, The War on Children, suggère qu’un mouvement trans sexualise les enfants dans les écoles et promeut la théorie du complot selon laquelle les produits chimiques toxiques rendent les jeunes homosexuels. Le film a été embourbé dans une controverse avec des participants, dont la drag queen Veronika Electronika, affirmant qu’ils avaient été trompés pour être interviewés.

    Et bien que’Amazone l’ai retiré de sa programmation, le film a été visionné des millions de fois et même été promu à quelques reprises par Elon Musk, le patron du X, et par l’ex président Donald Trump qui a déclaré que le film «prouvait les dangers du changement de sexe pour les enfants et dévoilait le rôle dangereux de contagion social que notre gouvernement a joué dans ce domaine.»

    En utilisant son audience et sa portée nationale, Robby Starbuck a d’abord commencé à faire pression sur des entreprises qui sont des marques populaires auprès des conservateurs, afin qu’elles abandonnent leurs initiatives ÉDI et leur soutien à la communauté LGBTQ+.

    Et depuis le début de la croisade anti-DEI de Starbuck, un nombre constant de marques et d’entreprises grand public ont succombé à la pression en 2024 et ont annoncé publiquement l’abandon de leurs initiatives ÉDI. Voici un tour d’horizon des entreprises qui ont abonné leurs pratiques ÉDI…

    Tractor Supply Co

    La chaîne de vente au détail rurale américaine spécialisée dans les produits agricoles a été le premier à avoir été soumis à l’examen minutieux de Starbucks. Dans un long tweet exposant Tractor Supply pour avoir « adopté des priorités woke», notamment en faisant des dons à des œuvres caritatives qui soutiennent les jeunes LGBTQ+, l’entreprise a été confrontée à une très intense réaction sur les réseaux sociaux. Après quelques jours, l’entreprise a cédé, promettant d’éliminer ses programmes DEI et ses objectifs en matière de changement climatique, déclarant : « Nous avons entendu des clients dire que nous les avions déçus. Nous avons pris ces commentaires à cœur. En outre, l’entreprise a déclaré qu’elle ne fournira plus de données au Corporate Equality Index (CEI) de la fondation Human Rights Campaign (HRC). Le CEI est outil de référence qui évalue depuis 2002 les entreprises américaines en fonction des politiques et des pratiques qui affectent leurs employés LGBTQ+.

    John Deere

    John Deere, fabricant de tracteurs, basé dans la campagne de l’Illinois, a tourné le dos à ses employés et clients homosexuels (eh oui, les homosexuel.les aussi peuvent conduire des tracteurs) peu de temps après que Robby Starbuck ait pointé du doigt l’entreprise pour avoir encouragé ses employés à afficher leurs pronoms et à soutenir les célébrations locales de la fierté. Dans un communiqué, le grand constructeur de tracteurs verts a déclaré que tous les groupes de ressources d’employés seraient désormais axés sur le développement professionnel plutôt que sur l’identité, et que l’entreprise ne «participerait plus ni ne soutiendrait des défilés, festivals ou événements externes de sensibilisation sociale ou culturelle». Cela dit, les dirigeants de John Deere ont ajouté : « Nous sommes fondamentalement convaincus qu’une main-d’œuvre diversifiée nous permet de répondre au mieux aux besoins de nos clients et, de ce fait, nous continuerons à suivre l’évolution de la diversité de nos organisations ».

    Jack Daniel’s

    Une autre marque bien connue, Jack Daniel’s, a annoncé l’abandon de toutes les initiatives ÉDI parce que « le monde a évolué » depuis 2019, lorsque l’entreprise, propriété de Brown-Forman, a introduit pour la première fois ces politiques. Robby Starbuck considère cela comme une grande victoire, écrivant sur X qu’il avait reçu la nouvelle avant de se pavoiser: « Nous gagnons… un par un. Nous ramènerons à la raison les entreprises américaines ». Malgré le nouveau « cadre stratégique », notamment la sortie de l’indice CEI du HRC, l’entreprise prétend qu’elle continuera de favoriser une culture inclusive où « chacun est accueilli, respecté et capable de donner le meilleur d’eux-mêmes au travail ».

    Harley-Davidson

    Le constructeur de motos a succombé à la brigade anti-woke après que Robby Starbuck ait accusé l’entreprise d’avoir implanté des initiatives ÉDI. «Je ne pense pas que ces nouvelles valeurs de l’entreprise reflètent les valeurs de presque tous les motards Harley-Davidson», avait-il écrit sur X le printemps dernier. « Les pilotes Harley veulent-ils que l’argent qu’ils dépensent soit utilisé plus tard par les entreprises pour promouvoir une idéologie diamétralement opposée à leurs propres valeurs ?»

    Malgré une longue histoire de soutien aux causes LGBTQ+, Harley-Davidson a déclaré qu’elle n’avait plus de politique DÉI depuis avril et « n’avait plus d’objectifs de dépenses en matière de diversité des fournisseurs ». De plus, toutes les formations des employés seront uniquement liées à l’entreprise et «dépourvues de contenu socialement motivé».

    Ford

    Pour sa part, le constructeur automobile Ford a annoncé en août son intention de quitter l’Index d’égalité corporatif (CEI) du HRC. Le directeur général Jim Farley a écrit dans une note que l’entreprise se concentrerait dorénavant sur la prise en charge des employés et des clients « plutôt que de commenter publiquement les questions polarisantes du moment ». Notons que Farley siège également au conseil d’administration de Harley-Davidson. Alors que Robby Starbuck célébrait publiquement cette autre victoire, le HRC a condamné cette décision, déclarant : « Aujourd’hui, Ford a abandonné ses valeurs et ses engagements en faveur d’un lieu de travail inclusif, se recroquevillant devant le cinglé qu’est Robby Starbuck, ambassadeur du MAGA».

    Lowe’s

    Le détaillant de rénovation domiciliaire Lowe’s a suivi les traces de Ford en se retirant de l’indice HRC, en regroupant tous les ERG (les groupes ressource d’employés) en une seule organisation «parapluie» non-identitaire et en mettant fin à son soutien et à son implication dans les « festivals, défilés et foires», ce qui inclus les événements de la fierté. Robby Starbuck s’est vanté auprès de X d’avoir contacté l’entreprise pour les avertir qu’il allait les exposer dans leur politiques wokes avant que l’entreprise ne revienne sur ses engagements envers l’ÉDI.

    Molson Coors

    Molson Coors Brewing Company aurait commencé à restructurer ses programmes de formation en entreprise en mars, selon une note interne. Bien qu’elle ait autrefois exprimé « une fierté rafraîchissante », la brasserie a ajouté qu’elle supprimerait ses programmes en EDI et ses quotas de diversité en raison de la montée « compliquée » de la rhétorique anti-LGBTQ+. Les groupes de défense des droits de l’homme ont riposté, GLAAD accusant l’entreprise d’avoir décidé de « s’éloigner » du soutien aux groupes marginalisés qui étaient des clients de l’entreprise jusqu’à tout récemment.

    Stanley Black & Decker

    Les fabricants d’outils Stanley Black & Decker ont été accusés d’avoir « effacé » toutes les mentions de leurs politiques en ÉDI sur lesite Web de l’entreprise. Cette fois cependant, la pression est venue de Consumers’ Research, un groupe de campagne de droite qui se targue de cibler « le wokisme » dans les entreprises. Le directeur exécutif du groupe de pression, Will Hild a déclaré qu’il fallait être vigilant: Stanley Black & Decker pourrait continuer plus discrètement de activités ÉDI. IL faut les garder à l’oeil…».

    À propos du wokisme

    Le wokisme est un terme contemporain faisant référence à une sensibilité sociale et politique axée sur la reconnaissance et la lutte contre les injustices structurelles, telles que le racisme, le sexisme, l’homophobie et d’autres formes de discrimination. Originellement issu de la culture afro-américaine, où être *woke* signifie être “éveillé” aux injustices raciales, ce concept s’est progressivement élargi pour englober une variété de questions liées aux droits de l’homme et à l’égalité. Dans les mouvements politiques contemporains, le wokisme est souvent associé à la gauche progressiste, bien qu’il soit sujet à des débats internes sur sa portée et son application.

    Certains critiques considèrent le wokisme comme une forme d’extrémisme identitaire ou le voient comme une menace pour la liberté d’expression.

    Cependant, ses partisans arguent qu’il représente une prise de conscience nécessaire des inégalités systémiques et offre un moyen de promouvoir une société plus inclusive.

    Qu’il soit loué ou critiqué, le wokisme est indéniablement devenu une force influente dans le discours politique actuel, modelant de nombreuses discussions sur l’équité et les droits civiques.

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