Le premier voit le jour le 17 mai 1946 ; le second s’enlève la vie prématurément à l’âge de 24 ans. « Je me suis tué pour me retrouver 1 », confiera-t-il. Son nom à la naissance : Yves Hébert. / Son pseudonyme : Yves Sauvageau.
C’est le choc dans la communauté artistique, la consternation ! Comédien et dramaturge, qualifié de génie du théâtre, il « est resté dans les mémoires de certains comme un auteur avant-gardiste plein de promesses, mais qui ne s’est pas donné le temps d’épanouir son talent 2. »
Originaire de Waterloo, l’adolescent s’occupe alors de loisir théâtral dans sa ville et, à 16 ans seulement, fonde la troupe de théâtre, La Lanterne. Après un passage à l’École normale de l’Université de Sherbrooke, il s’oriente vers le théâtre et remporte, en 1965, les premier et troisième prix du concours des jeunes auteurs de Radio-Canada. À la fin de ses études en interprétation à l’École nationale de théâtre du Canada, il partira en tournée avec les jeunes comédiens du T.N.M. L’année suivante, il fera partie du Théâtre d’Aujourd’hui en tant que comédien et scripteur, et jouera notamment dans Si Aurore m’était contée deux fois de Jean-Claude Germain. Ce dernier dira d’ailleurs de lui qu’il « n’a pas eu le temps d’acquérir ni le métier, ni le talent du génie dramatique qui l’habitait et dont on retrouve un peu partout dans ses œuvres la trace, l’empreinte et le souffle 3. »
Parmi ses œuvres justement, retenons Papa sur le thème de la rencontre d’un père et d’un fils, et surtout Wouf, wouf qui, pour plusieurs, marque un tournant dans la dramaturgie québécoise. En 1969, on en donne une lecture publique à la Bibliothèque Saint-Sulpice : c’est un triomphe ! Cette pièce, précise l’auteur, « ce n’est qu’une suite de boules qui frappent. Je ne m’adresse pas à l’intelligence du public. Je veux susciter des émotions chez lui. […] Il n’y a pas d’autres moyens que de le hurler, ce texte… 4 » Avec sa centaine de personnages évoluant sur scène durant plusieurs heures, c’est une machinerie-revue « lyrique et proliférante. Tout y passe : argent, travail, alcool, mass media, homosexualité, drogue, famille, amour, religion, automatisme, politique, etc. Mais c’est surtout le grand affrontement entre les impératifs de la société de consommation et le désir d’amour et de création d’un jeune poète 5. »
Ce poète « excessif, hyper sensible et endeuillé par la mort de sa mère survenue quelques mois plus tôt 6 » finira par se suicider le 12 octobre 1970. Le jour de l’Action de Grâce mais aussi « le jour même où l’armée entrait à Montréal lors des mesures de guerre 7. » « C’est dur, souligne le metteur en scène Christian Lapointe, de ne pas faire le parallèle entre la disparition de ce jeune talentueux, qui était voué à être un grand acteur, et notre société qui s’avorte elle-même constamment, malgré son potentiel créatif 8. »
Dans les décennies qui vont suivre, de multiples hommages lui seront rendus. En 1981, à Waterloo, la Compagnie de Théâtre Sauvageau est cofondée par l’artiste multidisciplinaire Yves Roy, partenaire et amant du disparu, avec la double mission de « permettre aux personnes intéressées par les arts de la scène d’exprimer leur créativité, et d’offrir du théâtre de qualité et à un prix accessible aux gens de la région 9. »
En 1983, le Théâtre Entre chien et loup crée le prix Yves-Sauvageau. Aujourd’hui géré par l’Association des auteurs et des auteures des Cantons de l’Est, il vise à « encourager les auteurs de l’Estrie à écrire des œuvres pour le théâtre 10. »
En 2016, le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et le Théâtre Blanc présentent la création Sauvageau Sauvageau (d’après l’œuvre d’Yves Sauvageau), adaptée et mise en scène par Christian Lapointe. À partir des textes de fiction qu’il a écrit, l’œuvre se veut un hommage à cet « artiste de la démesure, génie tourmenté et homme de théâtre avant-gardiste [par le biais d’un] dialogue entre l’auteur de 24 ans à la veille de se donner la mort dans les années 70 et l’auteur à l’âge qu’il aurait aujourd’hui 11. »
Rappelons enfin que Raymond-Louis Laquerre a intitulé sa thèse de maîtrise en études françaises : Activités théâtrales en Estrie et à Montréal à travers Yves Hébert Sauvageau, comédien et écrivain. « J’aurais voulu être grand, disait Yves Sauvageau, le temps m’a manqué. Tout va si vite aujourd’hui. J’aurais voulu vivre, le temps m’a manqué 12. »
NOTES :
- Cité dans : Sophie Jama, « Sauvageau Sauvageau : Un corps tendu et des yeux doux », THE BLOG, 25 septembre 2015 : https://www.huffpost.com/archive/qc/entry/sauvageau-sauvageau–un-corps-tendu-et-des-yeux-doux_b_8195458. Consulté le 25 juillet 2022.
- Ibid.
- https://www.theatredaujourdhui.qc.ca/yves-sauvageau. Consulté le 21 juillet 2022.
- Ralph Elawani, « Pozzo les culottes (suite et fin) », Lettres Québécoises, no 176, p. 81.
- https://www.cead.qc.ca/_cead_repertoire/id_document/2252. Consulté le 21 juillet 2022.
- Ugo Giguere, « Yves Hébert Sauvageau se fait entendre… 45 ans plus tard », Granby Express, 30 septembre 2015.
- Christian Saint-Pierre, « Yves Sauvageau : le refus de la confirmité », Cahiers de théâtre Jeu, no 156, 2015, p. 93-96.
- Christian Lapointe, cité dans : Marie Labrecque, « Le jeune homme et la mort », Le Devoir, 19 septembre 2015.
- http://www.theatresauvageau.com/p/qui-sommes-nous.html. Consulté le 25 juillet 2022.
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Prix_Yves-Sauvageau. Consulté le 25 juillet 2022.
- https://www.theatredaujourdhui.qc.ca/sauvageau. Consulté le 21 juillet 2022.
- Cité dans : https://www.agenceduchesne.com/photo_presse/55b66e4ef2a1e.pdf. Consulté le 26 juillet 2022.