La Cour suprême a été, mercredi 4 décembre, le théâtre de l’un de ces affrontements entre une Amérique progressiste et l’autre beaucoup plus conservatrice. Il était question de thérapies médicamenteuses pour les adolescents transgenres.
C’est l’une des affaires les plus suivies de la session annuelle de la Cour suprême. Elle oppose le gouvernement fédéral actuel, l’administration Biden, à l’État du Tennessee. L’État fédéral lui reproche d’avoir interdit l’accès des adolescents transgenres locaux aux traitements bloqueurs de puberté et aux hormones facilitant leur transition. Le Tennessee, au contraire, met en avant de potentiels risques mal évalués pour la santé de ceux qui prennent ces traitements.
Le choix aux États fédérés ?
Pour les familles des jeunes qui contestent cette loi, ces traitements peuvent au contraire sauver la vie de ceux qui les prennent. Leurs avocats, parmi lesquels le premier juriste ouvertement transgenre à plaider devant la Cour, considèrent que ces interdictions sont discriminatoires. Ces traitements sont en effet autorisés dans certains cas qui ne sont pas liés à la transition.
Les juges les plus conservateurs de la Cour suprême semblent enclins à laisser le choix de leurs politiques aux États fédérés. Ils sont une vingtaine dans tout le pays à avoir des législations comparables. Les trois juges, dits libéraux, prennent plutôt le parti des adolescents transgenres.
La décision ne sera probablement pas rendue avant la fin juin. D’ici-là, l’administration aura changé et celle qui a été choisie par les électeurs en novembre a largement fait campagne contre les transitions de genre.
Le sujet est particulièrement prégnant dans la perspective du retour à la Maison-Blanche de Donald Trump, qui a martelé son intention de revenir sur une série d’acquis obtenus par les personnes transgenres.
La décision de la Cour, attendue d’ici fin juin, en tout cas après l’investiture le 20 janvier du président élu, pourrait être lourde de conséquences, car la moitié des États américains a prohibé les traitements pour les mineurs qui ne se reconnaissent pas dans leur genre de naissance.
Sur 1,6 million de personnes se définissant comme transgenres aux États-Unis, plus de 300 000 sont âgées de 13 à 17 ans, dont plus du tiers vivent dans un de ces États, selon une étude du Williams Institute, groupe de réflexion de l’université UCLA.
Au cœur des débats mercredi : une loi adoptée en 2023 par l’État du Tennessee (sud) interdisant aux mineurs transgenres l’accès aux bloqueurs de puberté et aux traitements hormonaux de transition.
Des partisans des deux camps, pour ou contre cette interdiction, ont manifesté bruyamment devant la Cour, chacun revendiquant sa préoccupation pour la «santé des enfants».
Des mineurs et leur famille, une gynécologue de Memphis ainsi que l’administration du président démocrate sortant Joe Biden dénoncent le caractère «discriminatoire» de la loi du Tennessee.
Ils affirment qu’elle viole une disposition du Quatorzième amendement de la Constitution sur «l’égale protection» des citoyens puisqu’elle prive les personnes transgenres d’accès à des traitements autorisés à d’autres pour raisons médicales.
La conseillère juridique de l’administration Biden, Elizabeth Prelogar, et un représentant des plaignants, Chase Strangio, ont également reproché mercredi à la loi d’interdire totalement les traitements de transition aux mineurs sans prendre en considération leurs avantages, tels que la réduction significative des cas de dépression et de pensées suicidaires.
Première
«Habituellement, les États légifèrent en informant les patients des risques et en s’efforçant de les minimiser», a relevé Chase Strangio, premier avocat ouvertement transgenre à plaider devant la Cour suprême et qui a confié avoir lui-même bénéficié de ces traitements.
Mais en l’espèce, le Tennessee a «prononcé une interdiction générale, outrepassant le jugement des parents qui aiment leurs enfants et des médecins qui ont recommandé ces traitements», a-t-il déploré.
«Il me semble que c’est un domaine dans lequel nous sommes particulièrement dépourvus d’expertise», a rétorqué le président de la Cour, John Roberts, se demandant si la sagesse ne commandait pas aux neuf juges de «s’en remettre aux législateurs» des différents États pour en évaluer les bénéfices et les risques.
Son collègue conservateur Brett Kavanaugh a lui aussi souligné qu’il était «très difficile» pour les juges de trancher en la matière.
«Si les traitements sont interdits, certains enfants vont en souffrir parce qu’ils n’y auront pas accès. Et s’ils sont autorisés, d’autres vont souffrir en les prenant puis en regrettant ensuite de l’avoir fait et en voulant revenir sur leur transition», a-t-il résumé.
Le Tennessee a voté cette loi pour protéger les mineurs d’interventions médicales «risquées et susceptibles d’avoir des conséquences souvent irréversibles», a affirmé mercredi le représentant de cet État, Matthew Rice.
Il a par ailleurs contesté, face aux objections soulevées par les trois juges progressistes, que la loi présente un caractère discriminatoire en fonction du sexe.
«Si un garçon demande des bloqueurs de puberté pour traiter une puberté trop précoce, il pourra les obtenir. Mais il ne pourra pas pour les utiliser en vue d’une transition de genre», a fait valoir Matthew Rice, assurant que les mêmes critères s’appliquaient pour une fille.
Aux États-Unis, les républicains ont fait des attaques contre la place des personnes transgenres un de leurs chevaux de bataille contre le «wokisme», la bien-pensance dont ils taxent le camp démocrate.
Les conservateurs ciblent en particulier la participation des hommes transgenres à des compétitions sportives féminines et l’accès des mineurs aux traitements de transition.