Vendredi, 25 avril 2025
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    Apprendre sa séroconversion quand on est jeune

    La reprise de l’épidémie du sida dans la communauté gaie semble une réalité que confirment de multiples indicateurs. Mais qui sont les nouveaux séropositifs? Ils ne se dénombrent pas qu’au sein des groupes d’âge traditionnellement plus atteints, les 35 – 55 ans, mais également dans les tranches d’âge les plus jeunes. Pour la première fois, dans Fugues, quatre jeunes gais récemment contaminés témoignent. 

    Si on ne peut pas affirmer avec certitude que la recrudescence des contaminations est une réalité au Québec, de nombreux indicateurs sont cependant inquiétants. Les maladies transmissibles sexuellement (entre autres, la syphillis) sont en hausse et, sur Internet, de même que sur les lignes de rencontres téléphoniques, le sexe sans condom n’a rien du fantasme.

    L’indicateur qui fait le plus mal vient souvent de la sphère du privée. Plusieurs d’entre nous connaissent dans leur entourage des homosexuels qui ont découvert qu’ils avaient été contaminés, il y a deux ans, un an, six mois, quelques semaines, voire quelques jours. Depuis un an, quatre personnes m’ont annoncé que leur statut sérologique avait changé, que leur dernier test était positif. Un aveu qu’ils n’ont pas fait aisément, car il est encore difficile pour un séropositif de dire : “Je viens d’être contaminé.” Pour eux, cela constitue un constat d’échec.

    Cette situation n’est pas unique. S’il faut en croire les indicateurs de santé, un nombre important de gais prennent plus de risques qu’avant. C’est pourquoi il est important de rappeler à ceux qui sont séronégatifs pourquoi il est capital qu’ils le restent : parce que le VIH est toujours une infection mortelle, parce qu’une séroconversion est une catastrophe qui bouleverse une vie, parce que les traitements sont incapables de contenir à long terme la progression du sida et provoquent des effets secondaires parfois ingérables.

    Trop souvent considérée comme une maladie de vieux — la génération des 35 –50 ans a été celle qui a été la plus touchée par cette maladie —, le sida touche toutes les tranches d’âge et même les plus jeunes. Mais le sida est devenu tellement invisible au sein de la communauté gaie que bien des gars, s’ils utilisent encore massivement le condom, ne savent même plus pourquoi. Le geste de prévention est déconnecté du risque. Du coup, la non-protection, accidentelle ou répétitive, se banalise elle aussi. Les nouvelles contaminations ne concernent pas seulement les fidèles de l’Internet, des saunas et de la baise en plein air. Cette vague est beaucoup plus profonde. Elle attaque une communauté entière, qui, pour la première fois depuis longtemps, ne semble même plus avoir de réflexe de défense.

    Lars, 24 ans
    testé séropositif en décembre 2002

    Dans le cadre de ce reportage, je rencontre Lars, un grand gaillard, né dans un pays de l’ex-URSS et arrivé au Québec au début des années 80 avec sa sœur et ses parents. Il sort d’un sac à dos un pilulier et le tend vers moi. “Ça, c’est ma consommation de médicaments pour une semaine”, me lance-t-il. Dans chacun des compartiments de la boîte, des comprimés et des gélules, de diverses tailles et couleurs. Lars fait partie de ces malades qui ont commencé un traitement dès les premières semaines de l’infection, et participe depuis à un essai thérapeutique. Il a commencé sa vie sexuelle à l’âge de 15 ans, après une enfance marquée par des difficultés familiales liées à l’exil. Adolescent, il fait toujours attention et utilise le condom, même s’il dit qu’il n’est alors pas toujours évident pour lui de s’en procurer. En 2000, Lars rencontre un gars, de deux ans son cadet. Ce n’est pas le coup de foudre, mais il éprouve le réconfortant sentiment d’être heureux. Cette relation a duré, avec ses hauts et ses bas, pendant deux ans. “Au début, nous nous protégions tout le temps. Un jour, nous avons eu envie de baiser sans rien. Nous avions un désir de tout partager ensemble, de sentir qu’on était encore plus intime.” Mais ni lui ni son copain n’avaient passé de test. L’an dernier, un peu avant les fêtes, Lars commence à être malade : 40o de fièvre, au lit pendant quatre jours, avec des maux de tête, des douleurs à l’estomac et des vomissements. Il arrive à l’urgence de l’hôpital complètement dans les vapes. “J’ai attendu quinze heures avant qu’on s’occupe de moi. Les infirmières me parlaient de gastro-entérite. Mais un médecin s’est aperçu que j’en étais aux premières phases de l’infection. Je suis resté quelques jours à l’hôpital et, dans l’attente de la confirmation du test, la relation avec mon chum s’est rapidement détériorée.” Les résultats positifs autant de Lars que de son chum provoquent la séparation des deux qui s’accusent mutuellement d’avoir triché et d’avoir risqué la vie de l’autre. Après plus de huit mois de traitement, Lars ressent toujours aussi durement les effets secondaires, et sa charge virale n’est pas assez haute pour qu’il puisse l’interrompre le temps de se reposer. Sa libido est à plat. “Ça fait maintenant 3 mois que je ne baise plus. Je n’en ai pas du tout envie. Même quand je me masturbe, je n’arrive pas à oublier que j’ai le sida…”

    Stef, 22 ans
    testé séropositif en juin 2003

    Lorsque je rencontre Stef, je lui demande de me raconter l’annonce de sa séropositivité, cet instant où sa vie a basculé. De tous les témoignages, c’est celui qui m’a le plus troublé, car il affirme s’être toujours protégé lors des relations anales. En juin dernier, il vient de quitter le gars — séropositif — avec qui il vivait depuis un an et demi. Avec lui, Stef est top et a toujours mis un condom pour l’enculer ; il se fait sucer, mais ne suçait pas. De plus, faisant partie de la Cohorte Oméga, il pratiquait régulièrement un test de dépistage. “Après notre séparation, je suis allé dans une clinique pour passer un test de dépistage. Le médecin a été rassurant. Le jour de la remise des résultats, quand je suis entré dans son bureau, il m’a demandé :Ton dernier test était négatif? J’ai répondu que oui, pensant que celui-là l’était tout autant. Mais il m’a dit : Parce que celui-là est positif. J’ai eu de la difficulté à respirer et j’ai dû sacrer au moins cent fois. Sur le coup, je lui en ai voulu de me l’avoir dit. J’ai pensé à la peine que ça allait causer à mes parents. Je me suis dit : C’est pas possible, il doit y avoir une erreur, je me suis toujours protégé. J’ai senti monter en moi une très grande colère autant qu’une immense tristesse. Je pleurais. Le docteur m’a laissé seul quelques minutes. Je me suis regardé dans le miroir pour voir si ça se voyait. J’avais l’impression que mon corps ne m’appartenait plus. Une fois sorti de la clinique, mon premier réflexe a été d’appeler mon ex pour lui demander le nom et les coordonnées de son médecin. Il était visiblement très mal à l’aise. Je n’avais pas pensé qu’il allait se sentir coupable de quoi que ce soit. J’ai compris qu’il ne pouvait pas m’aider, du moins pas pour le moment. Je suis plutôt allé voir une amie. Ensemble, on a beaucoup pleuré. En discutant avec elle, je me suis demandé comment j’avais pu l’attraper. Comme j’ai toujours enculé et que le condom ne s’est jamais déchiré et n’a jamais glissé, j’ai peut-être été infecté en me faisant sucer. Pourtant, j’ai toujours crû qu’il n’y avait pas de risque.” Cette question du comment a tourné à l’obsession pendant quelques semaines. “Maintenant, je suis moins obsédé par ça. On dit que le temps arrange les choses. Disons que je vis assez bien avec la situation actuelle. Il faut dire que je ne suis sur aucune thérapie présentement. Sans doute que ça change beaucoup les perspectives quand tu vis avec des effets secondaires à temps plein…”

    Hugo, 25 ans
    testé séropositif en juillet 2003

    Originaire des Cantons-de-l’Est, Hugo vit à Montréal depuis 9 ans. Il travaille dans un bar du Village. Dès l’âge de 16 ans, il fréquente le milieu gai et fait régulièrement des rencontres — “mais j’ai toujours eu le réflexe de me protéger”. Il y a quatre ans, il rencontre Étienne. “Nous avons passé le test quand nous nous sommes connus. Comme nous étions tous les deux séronégatifs, nous baisions ensemble sans condom.” Après deux ans de vie commune, ils décident — question de pimenter leur vie sexuelle — d’utiliser les “chats” pour rencontrer des partenaires pour des baises à trois. Le condom est toujours de mise dans ces relations-là, qui sont le plus souvent sans lendemain. En juin 2002, un mec de leur âge devient un habitué. “On a baisé avec lui plusieurs fois. Quand on parlait de santé, il passait à un autre sujet. Un jour, il a enlevé le condom qu’il avait mis sans qu’on s’en rende compte.” Hugo et son copain, qui ignorent l’existence du traitement d’urgence, sont inquiets, mais ne font rien. En juin 2003, parce qu’un nouvel amant régulier avec qui il font presque ménage à trois leur propose de baiser sans condom de manière régulière et qu’ils veulent tous les trois être sûrs d’être séronégatifs avant de le faire, ils vont passer chacun un test. Si les résultats des deux autres sont négatifs, celui d’Hugo s’avère positif. Ça a été l’anéantissement. “Pour moi, l’origine de la contamination était claire : pendant une relation sexuelle, le gars avec lequel on baisait a délibérément retiré le condom et a éjaculé. Il n’a rien dit. C’est vrai que je lui en veux : quand on est séropositif, même si on ne le dit pas, on prend au moins toutes les précautions pour ne pas contaminer les autres. Moi, ça ne me viendrait pas à l’idée de faire prendre un risque aussi grand à quelqu’un.” Heureusement, il a senti beaucoup de soutien de ses deux amis avec qui il vit toujours. “Côté sexuel, ce n’est plus comme avant, on se protège maintenant. C’est beaucoup moins naturel, mais je ne peux pas concevoir faire autrement. C’est une preuve d’amour et de respect pour les gens avec qui j’ai des relations sexuelles.”

    David, 24 ans
    testé séropositif en octobre 2003

    David, l’œil vif et clair, un petit bouc sur le menton, ferait soupirer n’importe quel gars. Il reste avec sa cousine et un ami dans un 5 et demi à Saint-Henri, depuis qu’il a quitté la maison familiale, il y a 5 ans, pour fuir ses parents qui n’ont pas accepté son homosexualité. “J’ai toujours cru que mes parents étaient des gens ouverts. Mais le jour où ils ont compris que le voisin qui venait toujours à la maison pour me voir était plus qu’un voisin, ça a été la crise. Après ça, j’ai eu droit au traitement du silence. Ils faisaient comme si je n’existais pas. Alors, un soir, je suis parti pour Montréal.” Il se trouve rapidement un emploi et fréquente les saunas et les “chats” de rencontres. Par trois fois en l’espace de deux ans, David baise sans condom. “Ce n’était pas un geste réfléchi. Mais, dans le feu de l’action, je n’ai pas pensé au sida ou, plutôt, j’y ai pensé comme on pense à une MTS parmi tant d’autres.” À chaque fois, il attend trois mois pour faire le test. À chaque fois, le test est négatif. Fin décembre 2002, par le biais du “chat” de Priape, David rencontre un gars de 36 ans, et c’est le coup de foudre. À ce moment, le jeune homme a un emploi qui lui plait comme graphiste et commence à rechercher une relation stable. “Pour la première fois, je suis tombé amoureux. Lors de notre quatrième ou cinquième rencontre, nous avons baisé sans condom. Je l’ai enculé et lui ai joui dans le cul. Très sérieusement, je n’ai pas pensé au sida. Rien ne me laissait penser qu’il n’était pas en bonne santé. Après la relation, il m’a demandé : Est-ce que tu es séropositif? Là, j’ai compris qu’il l’était lui-même. Je lui ai, à mon tour, posé la question. Il m’a répondu : Oui. J’étais très amoureux de lui et je n’ai pas eu peur.” Pendant les mois qui suivent, les deux amants se protègent uniquement lorsque David se fait enculer. Puis c’est la rupture. En septembre dernier, à la suite d’un mal de gorge qui ne guérit pas, il passe un test de dépistage. À quelques jours de son 24e anniversaire, le résultat tombe : David est séropositif. Il est conscient que certaines choses qu’il tenait pour acquises ne le seront plus. Le jour de l’entrevue coïncide avec la première rencontre avec son médecin traitant. Quand il me quitte, il me sourit, mais c’est l’inquiétude que je lis dans son visage.

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