Neuf ans après la désormais célèbre descente du KOX / Katakombes, en 1994, l’escouade de la moralité a de nouveau fait un coup d’éclat. Le 9 mai 2003, vers 22h45, la police effectuait une descente au club de danseurs nus Taboo. Raisons invoquées : des danseurs d’âge mineur se donneraient en spectacle et des actes indécents seraient commis sur les lieux. Résultat: la police arrête une trentaine de personnes ce soir-là. Sur les quelque 23 danseurs qui s’y trouvaient, un seul est d’âge mineur. Sept employés sont aussi arrêtés, dont le gérant Guy Tremblay, ainsi que quatre clients. La plupart donc sont inculpés pour s’être trouvés dans une « maison de débauche », tandis que d’autres le sont pour actes indécents. Mais le Taboo conteste cette descente.
Selon ce qu’a révélé le SPVM lors de l’intervention, des plaintes auraient été déposées auprès du service de police, qui a alors ouvert une enquête. Le corps policier dit enquêter depuis le mois de janvier, et c’est à la suite de cette longue investigation qu’il est entré en action. Plusieurs bars de danseurs du Village étaient sous surveillance, mais le Taboo aurait retenu l’attention en raison d’actes qui « dépassaient ce qui est permis par la loi et qui vont au-delà du toucher, des actes sexuels avaient été constatés », de dire l’agent Miguël Alston, du SPVM. Ces « actes », dont la nature sera spécifiée à l’enquête préliminaire, auraient ainsi dépassé ce que la Cour suprême a autorisé et qui est répandu dans les clubs de danseuses, soit les danses-contacts où le client peut, dans un isoloir, caresser la danseuse.
Ainsi, trente-quatre personnes ont été arrêtées ce soir-là. De ce nombre, vingt-trois danseurs, dont le mineur (qui a d’ailleurs atteint l’âge de la majorité, le 27 mai dernier, selon nos sources). Quatre danseurs en particulier sont accusés d’actes indécents, de même que trois clients; un autre client a été arrêté pour s’être trouvé dans une maison de débauche. Quant aux sept employés, ils auront à répondre à des accusations d’avoir tenu une maison de débauche. C’est ce que le SPVM a révélé.
Bien des interrogations
Toutefois, cette intervention soulève plus de questions qu’elle n’en règle en réalité. Par exemple, pourquoi ne pas avoir averti les propriétaires et les gérants auparavant pour essayer de faire cesser ces « actes indécents », s’il y en a eu? Un seul mineur — qui a peut-être menti sur son âge pour être engagé —, sur la cinquantaine de danseurs que compte le Taboo, valait-il la peine d’une descente menée par plus d’une quarantaine de policiers? Et pourquoi ne pas avoir averti immédiatement la direction du Taboo qu’un mineur s’y trouvait? Est-ce que cette descente ne met pas un froid entre la communauté et le SPVM après des années de travail à établir des ponts? En somme, pourquoi la police a-t-elle fait de la répression plutôt que de la prévention?
« Je suis encore en état de choc, c’est incroyable. Cela fait 11 ans que je travaille au Taboo, et nous n’avons jamais eu de problèmes auparavant, pendant tout ce temps-là », de dire Robert Thibault, le gérant général du Taboo. Irrité par cette descente, M. Thibault songe à poursuivre le SPVM : « On ne nous a jamais avertis qu’il y avait un mineur qui dansait ici. Il semble qu’ils [les policiers] le savaient depuis le mois de janvier. Si on l’avait su, on aurait immédiatement congédié le jeune, parce que nous sommes très sévères sur ce critère. […] On va porter plainte contre la police, soit à la Commission de la déontologie policière, soit à la DPJ (Direction de la protection de la jeunesse), parce qu’il ne fallait pas laisser un mineur danser ici pendant tout ce temps », de dire ce gérant, qui a été, pendant plusieurs années, un ambulancier-pompier.
Me Noël St-Pierre, qui a travaillé sur la descente aux Katakombes en 1994, pense que le gérant du Taboo pourrait être dans son droit de poursuivre le SPVM. « Toute personne, quelle qu’elle soit, a l’obligation de signaler à la DPJ toute situation pouvant porter atteinte au bien-être d’un jeune. Il y aurait donc ici une violation de la loi de la part du SPVM. En tant qu’avocat, c’est d’ailleurs la seule exception à la règle de confidentialité qui nous oblige à signaler un cas à la DPJ », souligne Me St-Pierre.
Une question d’identité
La raison principale de l’intervention, c’est bien sûr la présence du mineur. Mais les gérants ont-ils tout fait pour vérifier l’identité du jeune? « La marque de commerce du bar, ce sont des danseurs au look jeune, mais on contrôle de manière stricte l’âge des danseurs pour ne pas engager de mineurs, affirme M. Thibault. Nous sommes trois personnes à avoir demandé au jeune en question des cartes d’identité. Donc, pour nous, il était majeur. Pourquoi ne l’aurait-on pas engagé? »
« S’il y a infraction selon laquelle on a engagé un mineur, c’est la suspension ou la révocation du permis d’opération. Dans notre cas, nous sommes de bonne foi parce qu’on a fait tous les efforts pour exiger des pièces d’identité. Qu’est-ce qu’on aurait pû faire de plus? » d’ajouter un autre employé, Jean-René Fournier.
Mais la responsabilité n’incombe-t-elle pas aux gérants? « Avec la protection de la vie privée et les différentes chartes, on ne peut pas fouiller dans la vie privée des gens pour essayer d’avoir davantage de renseignements. Donc, les gérants ont fait ce qu’ils pouvaient pour vérifier l’âge du danseur », explique Me St-Pierre.
Un piège?
Selon M. Thibault, la police aurait attendu depuis janvier pour intervenir pour tendre un piège au Taboo et faire d’une pierre deux coups: dénoncer la direction du bar pour avoir embauché un mineur et prendre sur le fait des clients et des danseurs dans des « actes indécents ». « Je travaille depuis 25 ans avec la police, je sais comment elle fonctionne, et c’est la première fois que je vois une telle bavure : se servir d’un mineur pour tendre un piège à un bar », de dire M. Thibault.
Le gérant général ne croit pas que les preuves du SPVM soient sérieuses quant aux actes repprochés. « Mais qu’est-ce qui est indécent au juste? La définition de ce qui est indécent est très large. Pour certains policiers de l’escouade de la moralité, qui sont venus lors de la descente, le fait qu’un jeune apparaisse sur scène en érection, c’est quelque chose d’obscène! Mais est-ce vraiment obscène? Je ne le crois pas. […] Il y a aussi la question des danses-contacts. Après le jugement de la Cour suprême, personne ne savait sur quel pied danser, ni les gérants, ni les danseurs ou danseuses, ni les criminalistes, ni même la police. Nous avions demandé aux gens de la moralité de venir nous rencontrer pour nous l’expliquer, mais ils étaient plutôt flous dans ce qu’ils disaient », continue M. Thibault.
« L’existence de spectacles érotiques correspond à la norme actuelle, poursuit Me St-Pierre. De se présenter sur scène « bandé » et de se masturber légèrement, c’est tolérable par la morale de la société […] Maintenant, je crois que la police cherche à criminaliser des actes via les gains qu’on a obtenus pour les femmes, car ce qu’elle invoque équivaut aux « danses à 10$ » qui obligeaient les femmes à subir des attouchements par des hommes pendant qu’elles dansent. Cela devenait une pratique jugée dégradante pour les femmes et la Cour a décrété qu’on ne pouvait pas tolérer de tels actes. Mais il faut voir, dans le cas présent, quels sont les actes au juste. »
« Il semble que les choses aient changé entre la communauté et la police, croit Michael Hendricks, qui avait contribué à créer un forum de discussions entre la communauté et des corps policiers. Avant, le chef de police [Jacques] Duchesneau croyait en la prévention plutôt qu’en la répression, et on avait réussi à établir un dialogue, mais, maintenant, il semble que les choses aient changé et que la police ait pris la tendance de la répression avec le chef [Michel] Sarrazin. Et les contacts entre le SPVM et la communauté n’ont plus l’air d’être encore actifs, malheureusement. » Même Robert Thibault avoue que les contacts avec les dirigeants précédents de l’escouade de la moralité étaient meilleurs, mais qu’ils se sont détériorés.
« En général, les gens arrêtés ont tout intérêt à contester les charges et ils risquent de gagner et de faire tomber les accusations », de conclure Me St-Pierre.
« Je le répète, je crois que c’est une bavure policière, mais c’est la cour qui va juger ce qui est indécent ou pas, pas la police. Les juges décideront ultimement, si on se rend jusque là, mais je vais exiger que la police abandonne les accusations », a martelé le gérant général du club Taboo. C’est au début du mois d’août que débuteront l’enquête préliminaire et les comparutions en cour des personnes inculpées.
*** 19 juin 2003 DES RÉACTIONS SUITE À LA DESCENTE AU TABOO …
L’intervention policière au Taboo, et les accusations d’actes indécents et de s’être trouvé dans une maison de débauche qui en ont découlé, ont suscité quelques réactions dans la communauté gaie et dans le Village. Si cette descente n’a pas eu l’écho que l’intervention musclée au KOX, en 1994, avait soulevé dans la population gaie en général, plusieurs personnalités du milieu sont intervenues au sujet de cet événement.
Propriétaire de la boutique U-Bahn, Ron Harris s’indigne de cette action et a décidé de faire circuler une pétition afin que la police abandonne les charges qui pèsent sur les gens arrêtés. « Je suis choqué et consterné de constater qu’encore aujourd’hui, la communauté gaie de Montréal soit toujours vulnérable aux tactiques répressives de l’escouade de la moralité de la police de Montréal », écrit-il dans une lettre adressée au député provincial du comté, André Boulerice. Interrogé à ce sujet lors de la manifestation du couple R. Thibault et T. Wouters, le 27 mai, M. Boulerice aurait indiqué qu’ »en tant que législateur, je ne peux commenter une affaire qui est maintenant devant les tribunaux ».
Pour sa part, le président de la Fondation Émergence et ex-vice-président de la Table de concertation des gais et lesbiennes du Québec, Laurent McCutcheon, veut mettre les choses en perspective. « J’ai compris que les clients, pour la plupart, n’ont pas été arrêtés : quelques clients seulement et les danseurs ont été inculpés. C’est ce qui fait la distinction entre cet événement et les autres descentes comme celle du KOX, où tout le monde avait été arrêté. C’est peut-être ce qui explique qu’il y ait eu moins de réactions dans la communauté », dit-il.
M. McCutcheon souhaite que les médias et la police fassent preuve de rigueur en la matière: « La seule chose que l’on doit faire en tant que communauté, c’est de s’assurer que les médias traitent de cette descente de la même manière que s’il s’agissait d’un bar de danseuses nues, sans discrimination. De même pour la police, que cela ait été fait sans discrimination, que, s’il y a eu des fautes commises de la part des propriétaires du bar, l’on corrige la situation, mais dans le respect », note-t-il.
Pour Michael Hendricks, ex-membre de la table multipartite qui s’était formée justement au lendemain de la descente du KOX pour discuter avec la police, la déception est grande. « Je suis très déçu de cet événement parce qu’on a criminalisé 23 jeunes danseurs, dont la plupart n’ont rien à voir avec les crimes repprochés par la police, souligne M. Hendricks. Je suis d’autant plus déçu qu’on ne sait même pas de quoi la police parle, puisqu’elle refuse de dire quels sont les actes indécents. Il n’y a pas d’incidents pareils dans les bars hétéros de danseuses. Pourquoi choisir ce bar-là et pas d’autres? C’est assez bizarre. »
Mais, par dessus tout, Michael Hendricks regrette qu’il n’y ait plus de dialogue actif et constructif entre la communauté et les représentants de la police, notamment à travers la Table multipartite sur la violence qui regroupait, entre autres, le SPVM, la Sûreté du Québec et la Ville de Montréal. « Avant, avec la table multipartite, il y avait des rencontres et des discussions régulières avec la police, mais je crois que, depuis quelque temps, il n’y a plus de discussions soutenues entre la communauté et la police. C’est dommage. Je ne sais pas exactement comment s’est produit cet éloignement, mais c’est comme ça… », souligne M. Hendricks.
Directeur général de l’Association des commerçants et professionnels du Village (ACPV), Paul Haince s’interroge sur les motivations de la police pour effectuer une telle descente. Si, pour lui, cela demeure néanmoins un fait divers, M. Haince croit qu’il faudra éclaircir la notion de ce qui est permis. « La seule chose qu’on peut soulever, non seulement pour ce cas-ci mais aussi pour tout ce qui concerne le milieu de la danse érotique, c’est jusqu’où cela peut aller. Qu’est-ce qui est acceptable en ce qui concerne les danses-contacts et la notion d’acte indécent? Tout le monde doit observer la législation, mais, pour cela, il faut savoir exactement de quoi il s’agit, et, en ce moment, il y a une zone grise. Il y a un flou qu’il serait bon de clarifier. Dans le cas du Taboo, est-ce bien de cela dont la police parle? Si la police a agi, j’imagine que c’est parce qu’elle possède des raisons que l’on ne connaît pas. Mais tout cela reste à voir », indique M. Haince.
Dans toutes ces conversations, évidemment, ce qui revient souvent, c’est la morale et ce qui est toléré. Les cours de justice devront peut-être statuer un jour sur ces notions et balises. « La morale dépend du seuil de tolérance de chacun. Ce qui est banal pour moi ne l’est peut-être pas pour quelqu’un d’autre. Donc, il faudra éclaircir toutes ces zones grises en rapport avec l’indécence », affirme M. Haince.
Enfin, pour ce qui est de l’arrondissement Ville-Marie, on n’a pas cru bon de commenter l’affaire. « C’est une opération de la police en relation avec des actes criminels », nous a dit Jean-Luc Thibault, l’attaché de presse de Martin Lemay, président de l’arrondissement. « On ne fera pas de commentaires. »
*** 24 JUILLET 2003 UNE PREMIÈRE MANCHE DE GAGNÉE
Lors d’une audition à Montréal, le 12 juin dernier, le juge a levé les sanctions qui pesaient sur le personnel du club de danseurs nus Le Taboo. Le soir de l’intervention policière, sept employés avaient été accusés de s’être trouvés dans une maison de débauche et se sont vu interdire de retourner au travail par la police. « Cela faisait un mois que nous n’étions pas retournés au travail. C’était ridicule qu’on nous interdise de travailler alors que les danseurs, eux, sont retournés au bar depuis longtemps. Le magistrat a jugé bon de lever les sanctions contre le personnel. On a donc remporté une première manche face à la police », de dire le gérant Guy Tremblay.
Rappelons que le vendredi 9 mai, 34 personnes avaient été arrêtées: 23 danseurs dont un mineur, sept employés et quatre clients. L’escouade de la moralité du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a prétexté, après une enquête qui a duré plusieurs mois, que des mineurs y dansaient et que des clients et d’autres danseurs s’adonnaient à des actes indécents. Le SPVM n’a cependant pas voulu indiquer de quelle nature étaient ces actes, tandis qu’un seul mineur, sur la cinquantaine de danseurs que compte le Taboo, était pris.
Du côté de la communauté, des militants insatisfaits de l’absence de prise de position ferme de la part de la Table de concertation des lesbiennes et gais du Québec voudraient que l’organisme dénonce cette intervention policière et appuie les démarches des personnes arrêtées. Ceci était on ne peut plus évident lors de l’assemblée générale de la Table, le 17 juin dernier, alors que des représentants du SPVM se sont faits copieusement bombarder de questions et de commentaires sur le sujet. Tout comme les gérants du Taboo, les activistes pensent que la police a voulu ainsi tendre un piège au club en prétextant la présence d’un mineur et ils décrient cette action. Une pétition circule en ce moment afin de forcer la Table de concertation à agir et à le faire le plus tôt possible.
Pour sa part, la direction du Taboo analyse la situation. « Nous sommes à l’étape de préparation du dossier de notre défense. Avec notre avocat, nous allons examiner toute la jurisprudence qui existe et les décisions des différentes cours pour contester ce qu’a fait la police », de commenter M. Tremblay. Il n’est pas exclu d’ailleurs que Me Robert La Haye, un expert en la matière, soit consulté, lui qui avait défendu la cause des inculpés du KOX/Katakombes à l’époque.
Mais la clientèle, pour sa part, est-elle au rendez-vous comme avant la descente? Il semblerait que oui : l’été et le tourisme aidant, le Taboo reprend du poil de la bête. « Ça va bien au bar, les gens sont heureux que le club soit ouvert, indique M. Tremblay. C’est certain que dans les jours qui ont suivi la descente, il y a eu une baisse de la clientèle, mais maintenant, les gens sont revenus et nous sommes tous, les clients, le personnel et les danseurs, très contents. »
Après la relâche de l’été, c’est en septembre que reprendront les audiences au Palais de justice de Montréal.
*** 20 NOVEMBRE 2003 UN NOUVEAU DÉPART
C’est au cours de la première semaine de décembre que le Taboo rouvrira ses portes. Fermé durant 75 jours, le club s’est refait une beauté pour accueillir sa clientèle. Reconnu pour ses jeunes et sympathiques danseurs nus aux corps minces et sans poil, le Taboo entrera ainsi dans une nouvelle ère. Nouveaux systèmes d’éclairage et de son, plancher de bois franc, nouvelles enseignes extérieures, ce ne sont là que quelques-uns des nouveaux éléments qui attendent les clients qui se présenteront sûrement nombreux pour revoir leurs danseurs préférés, qui seront d’ailleurs de retour.
« L’objectif est de rénover le bar, le rafraîchir un peu; pas de lui enlever le cachet qu’il a et que les clients aiment, je crois, d’expliquer le propriétaire du Taboo, Claude Auger. Il s’agit plutôt de faire des changements et des rénovations dont le bar avait besoin de toute façon. Donc, nous avons profité de cette fermeture forcée pour procéder à ces travaux. » Si la scène reste au même endroit, elle est cependant légèrement rapetissée pour améliorer l’aménagement de l’espace. La cabine du DJ sera aussi relocalisée. Bref, il y en a pour plusieurs milliers de dollars.
On veut aussi réaménager le salon privé. « Mais on s’interroge encore sur la possibilité d’installer des isoloirs. C’est une question sur laquelle il faut réfléchir parce que, pour le moment, ce n’est pas clair, et une rencontre récente entre les bars de danseurs nus et la police n’a pas permis de vraiment connaître notre marge de manœuvre. On ne veut pas avoir d’autres problèmes, c’est pourquoi on hésite », d’affirmer M. Auger. On se souviendra que le club avait fait l’objet d’une descente de l’escouade de la moralité en mai dernier. Les danseurs et le personnel présents ainsi que quatre clients avaient été arrêtés. La police avait écroué un danseur d’âge mineur, raison de la rafle selon les policiers. La Régie des alcools, des courses et des jeux avait alors décrété une suspension temporaire du permis d’alcool, d’où la fermeture de 75 jours. Un party est prévu pour célébrer en grand cette réouverture, probablement, la deuxième semaine de décembre.
*** 22 JUILLET 2004 DESCENTE AU TABOO, LA LOI IMPRÉCISE ?
Dans la cause des accusés du Taboo, la date de présentation d’une requête a été fixée au 2 novembre prochain. Lentement, le processus judiciaire se met en branle dans ce dossier qui a débuté en mai 2003, alors que la police effectuait une descente dans ce bar de danseurs nus. C’est lors d’une audience tenue la veille de la St-Jean-Baptiste que la date du 2 novembre a été choisie pour le début des procédures. Quelques jours auparavant, au nom de la trentaine d’accusés, la firme d’avocats Saint-Pierre Grenier déposait une requête pour faire annuler le procès, requête qui a été accueillie par le juge coordonnateur adjoint Claude Parent et à laquelle la Couronne s’est quelque peu objectée le 23 juin dernier. Rappelons que ce club avait fait l’objet d’une descente de l’escouade de la moralité le soir du 9 mai 2003. Les danseurs et le personnel présents ainsi que quatre clients y avaient été arrêtés pour «s’être trouvés dans une maison de débauche ou pour actes indécents». La police avait écroué un danseur d’âge mineur, raison de la rafle selon le Service de police qui disait également être à la recherche de drogues.
Pourtant, en 12 ans d’existence, aucun problème n’avait fait surface et l’administration gérait adroitement le club en satisfaisant la clientèle sans pour autant installer des cabines privées plus susceptibles d’inciter des atouchements entre clients et danseurs. Fruit de la concertation des neuf avocats de la défense, la requête déposée cherche à démontrer l’abus de la police et invoque l’atteinte aux droits des citoyens, contrevenant ainsi à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. En 24 alinéas, la requête résume les faits et fait même ressortir les bonnes relations entre la police de quartier, surtout, et l’administration du Taboo avant la descente par l’escouade de la moralité. Mais, point important, la requête veut surtout montrer l’imprécision d’un article du Code criminel qu’invoque toujours la police pour intervenir, sorte de «zone grise» octroyant aux services policiers l’assurance nécessaire pour effectuer des arrestations sur la base d’actes indécents ou la tenue d’une maison de débauche.
On veut ainsi contester la constitutionnalité de l’article 210 (2)b du Code criminel et faire la preuve que la police a abusé de son pouvoir. Ainsi, l’imprécision du libellé de cet article (portant sur la présence d’une personne dans une maison de débauche) peut entrer en conflit avec la Charte canadienne puisqu’il ne dit pas à un citoyen «de savoir ce qu’il est permis de faire pour éviter l’infraction». Comme dans le cas du club échangiste L’Orage, s’il y a procès, cette cause se rendra peut-être jusqu’en Cour suprême afin d’avoir l’heure juste sur ce qui est indécent! Peut-être.
*** 20 DÉCEMBRE 2004 REPORT DU PROCÈS POUR LE TABOO
Après plusieurs délais, on apprenait le 8 décembre dernier que le procès était encore une fois reporté, cette fois au 16 décembre. À cette date, la défense fera entendre le témoignage du sociologue Simon Louis Lajeunesse sur l’impact qu’une descente policière peut avoir sur les clients gais d’un bar et sur l’ensemble de la communauté. Au mois de janvier, le psychologue bien connu Alain Bouchard devrait également se présenter à la barre des témoins comme expert de la défense. Toute cette histoire a débuté un vendredi soir du début du mois de mai 2003. Le club de danseurs nus Taboo avait fait l’objet d’une descente de l’escouade de la moralité. Les danseurs et le personnel présents ainsi que quatre clients y ont été arrêtés pour s’être trouvés dans une maison de débauche ou pour actes indécents. Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) y avait cueilli un danseur d’âge mineur, raison de la rafle selon les policiers. En tout, une trentaine de personnes y étaient inculpées. La Régie des alcools, des courses et des jeux avait aussi décrété une suspension temporaire du permis d’alcool et ce, pour 75 jours, un délai qui se terminait en décembre 2003.
Par la suite, les avocats des personnes arrêtées avaient décidé de se concerter pour offrir une défense commune et faire barrage à ce qu’ils considèrent être une utilisation abusive, par le SPVM, de l’article 210(2)b du Code criminel traitant de la tenue d’une maison de débauche. On veut miser sur «l’imprécision du Code criminel pour l’infraction de s’être trouvé dans une maison de débauche […] et le fait que l’article en question crée un renversement du fardeau de preuve qui va à l’encontre de la présomption d’innocence», de dire Me Sébastien Dubois, représentant la défense des accusés.
Une autre audition est prévue le 17 janvier, pour débattre de l’effet discriminatoire de la descente envers les hommes gais. «Le psychologue Alain Bouchard sera assigné pour témoigner sur l’effet traumatisant d’une telle descente sur les hommes homosexuels à cette date», de rajouter Me Dubois.
D’autres descentes
Par ailleurs, le vendredi 3 décembre dernier, le SPVM a effectué une série de descentes dans différents clubs de danseurs nus du Village. Cette fois-ci, le Taboo, le Stock et le Campus ont été visités par quelques agents avec des lampes de poche. Il n’y a cependant eu aucune arrestation cette fois-ci.
Appelée «Persée», cette opération a eu lieu dans une cinquantaine de bars sur l’île de Montréal et ce, sur une période de deux jours consécutifs. Cette opération a été menée par l’Escouade contre l’exploitation des enfants à des fins commerciales et comprenait quelque 160 policiers. Les quatre centres opérationnels du SPVM se sont concertés et les postes de quartier ont été avertis, mais n’ont pas été mis à contribution. L’opération se reproduira en 2005 dans le but de faire prendre conscience aux clubs que les autorités policières ne toléreront pas l’utilisation de danseurs et danseuses mineurs dans les clubs de la métropole. Selon le porte-parole du SPVM, Ian Lafrenière, les personnes qui sont visées par cette opération sont vraiment les tenanciers de bars. On désire ainsi les sensibiliser concernant la présence ou l’embauche de mineurs.
*** 28 FÉVRIER 2005 PROCÈS TABOO, LA COURONNE S’OPPOSE À TOUT
Le procès du Taboo, ce bar de danseurs nus qui a connu une rafle policière en mai 2003, semble entrer dans une phase d’argumentation juridique autour de points concernant la constitutionnalité de cette descente et la pertinence, de la part de la défense, de présenter des témoins experts, ce que conteste la Couronne. Cette dernière réfute aussi les arguments de la défense voulant que les citoyens, en entrant dans un bar, aient droit à la liberté et à la sécurité de ne pas être arrêtés s’ils ne commettent aucun acte répréhensible. Pour ce procès, la défense s’attendait à faire témoigner, en tant que témoins experts, le sociologue Simon Louis Lajeunesse et le psychologue Alain Bouchard. Elle voulait ainsi traiter du traumatisme subi par les victimes lors de la descente, essentiellement des hommes gais âgés de plus de 55 ans pour qui un bar de danseurs nus est l’un des seuls endroits sécuritaires de socialisation. «La Couronne s’objecte à ce que l’on puisse parler des particularités concernant ces hommes gais qui ont vécu, par leur âge, la discrimination et l’époque de la criminalisation de l’homosexualité. On ne veut pas que l’on parle de l’effet qu’une descente peut avoir sur la vie d’hommes homosexuels (…) et [du] fait que, de l’avis même de la police, on aurait pu prendre d’autres moyens pour régler le problème et non effectuer une descente», de dire Me Noël Saint-Pierre, l’un des avocats de la défense des clients et danseurs.
En effet, on a appris que «la police aurait pu suspendre temporairement le permis d’alcool [le temps de vérifier s’il y a ou non un danseur d’âge mineur], comme cela est courant dans de tels cas, et non de procéder à une descente», de souligner Me Saint-Pierre. D’ailleurs, depuis l’entrée en fonction, en 2001, du nouveau chef de l’escouade de la moralité (secteur sud), André Therrien, la descente du Taboo était la première occasion, paraît-il, où les clients et tous les danseurs (et autres membres du personnel) ont été arrêtés.
Un autre élément intéressant à surveiller : la défense veut démontrer l’usage abusif que la police de Montréal fait de l’article du Code criminel traitant de la tenue d’une maison de débauche, élément aux contours flous dont se sert la police pour intervenir. Dans une requête présentée à l’Hon. juge Isabelle Rheault, qui préside la cause, la défense veut faire ressortir que tout citoyen pénétrant dans le bar, peu importe ses intentions, risquait de subir une descente, d’être arrêté et accusé de s’être trouvé dans une maison de débauche. «Toute personne qui entre dans un bar doit s’attendre à être mis en état d’arrestation pour le contrôle de l’âge ou du permis d’alcool de l’établissement! Ça, c’est l’argument que défendent la Couronne et la police. C’est tout de même incroyable de dire ça!» de souligner, outré, Me Saint-Pierre.
À surveiller aussi lors de cette cause, la notion d’indécence par rapport à une clientèle masculine et des danseurs. Jusqu’à présent, cette notion a surtout été observée par les cours et les procès en rapport au corps de la femme, à la dégradation que pouvait subir une danseuse lorsqu’un client hétérosexuel posait des gestes d’attouchements. «On sait ici que les rapports entre des clients gais et des danseurs ne sont pas les mêmes que dans un bar de danseuses, qu’il y a même ici de l’amitié qui s’installe entre les clients et les danseurs. On n’a pas, dans le milieu gai, cette même notion de dégradation et d’exploitation qui existe dans le milieu hétérosexuel des danseuses. Donc, est-ce qu’on va appliquer aux relations homosexuelles et aux attouchements les mêmes critères que ceux de relations existant dans le milieu hétérosexuel? Nous, nous voulons apporter cette notion de différence et de spécificité à la clientèle homosexuelle. Mais déjà, la Couronne a annoncé qu’il ne faut pas tenir compte de la réalité spécifique relative à des hommes gais. Est-ce que c’est la morale hétérosexuelle qui va décider de ce qui est tolérable ou non à ce sujet?» questionne l’avocat.
Pour l’instant, le moment où la juge Rheault statuera sur la requête de la défense n’est pas encore précisé : elle pourrait le faire lors d’auditions futures, tout comme elle pourrait rendre sa décision à la fin du procès. Une chose est certaine cependant, la Couronne semble vouloir faire obstruction aux arguments de la défense. «La Couronne s’oppose à tout, littéralement», tempête Me Saint-Pierre, pour qui ce procès risque donc de se poursuivre encore pendant des mois et des mois si la Couronne continue de s’opposer aux éléments présentés par la défense.
Si certains des accusés ont décidé entre-temps de plaider coupables, pour diverses raisons (peur de devoir témoigner, maladie ou autre), le procès de la plupart des accusés, commencé en décembre 2004 est abandonné par la poursuite, lorsque la Cour suprême du Canada redéfinie la notion d’«acte indécent» sur laquelle reposait toute l’accusation.
INFOS | Bar de danseurs nus Taboo, 1950, de Maisonneuve Est
www.barstaboo.com