Un séropositif montréalais, accusé d’avoir transmis le virus à un partenaire, avait basé sa défense sur le fait que les personnes qui s’adonnent, dans les saunas, à des rapports sexuels non protégés avec des inconnus assument une partie du risque. Une position que le juge a rejetée. L’homme de 47 ans a été reconnu, à la fin août, coupable d’agression sexuelle grave.
Sans prendre position dans le procès qui vient de se terminer, ni envisager les cas exceptionnels de transmission avec intention de nuire, il est fondamental non seulement d’interroger cette tendance à la criminalisation, mais aussi d’en souligner les limites et surtout les effets contre-productifs en termes de lutte contre l’épidémie.
La criminalisation croissante de la transmission du VIH dépasse le Québec et le Canada et s’observe depuis le milieu des années 2000 dans de nombreux pays occidentaux. Une tendance qui s’explique difficilement dans la mesure où l’apparition de traitements antirétroviraux, efficaces dès 1996, a permis, d’une part, de réduire fortement la mortalité des personnes vivant avec le VIH et, d’autre part, d’améliorer globalement leur qua-lité de vie, au point où il n’y a presque plus de différence en ce qui a trait à la longévité des personnes séropositives en traitement et celles qui sont séronégatives.
Pourtant, depuis 1998, une décision de la Cour suprême du Canada considère non seulement criminelle la transmission du VIH, mais les personnes séropositives ont l’obligation de divulguer leur statut sérologique afin de ne pas exposer leurs partenaires à des risques potentiels de lésions corporelles graves. Une personne séropositive peut donc être poursuivie devant la loi si elle n’a pas divulgué son statut sérologique, et ce, même si aucune transmission du virus n’a eu lieu. Vous trouvez cela normal?
Évidemment, le sida reste une pathologie effrayante, même au Canada. Mais surtout, il s’agit d’une maladie stigmatisée, au point que les difficultés sociales et relationnelles des personnes séropositives surpassent maintenant leurs soucis de santé. Difficile à évaluer si la criminalisation du silence de la personne séropositive a incité jusqu’à présent plusieurs hommes à ne pas passer des tests de dépistages du VIH ou à ne pas les passer aussi souvent qu’il le faudrait. On peut toutefois présumer qu’au fur et à mesure où des poursuites feront les manchettes des journaux, plusieurs y penseront à deux fois.
Alors que les spécialistes de la santé et de la prévention sont convaincus qu’une très grande partie de la transmission du VIH en Amérique du Nord, particulièrement au Canada, est attribuable aux séropositifs qui ignorent leur statut sérologique, il est de notre devoir de se questionner sur le bien-fondé de criminaliser le VIH.
On me dira que cela s’inscrit dans une tendance générale où les citoyens recourent davantage à la justice, non seulement pour un dommage causé, mais également pour un danger potentiel. Peut-on encore, en 2011, soutenir qu’une personne séronégative qui ne se protège pas n’assume aucun risque de contraction? N’y a-t-il pas du déni de sa propre responsabilité (celle d’être prévoyant, celle de se protéger)? Il est temps que socialement, on se pose la question. Désire-t-on punir des personnes qui sont déjà stigmatisées ou prévenir la transmission d’une maladie qui est un important problème de santé publique?