Mardi, 11 février 2025
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    LE PÈRE, LE FRÈRE : « Le feu du père » de Michael Deliste / « Tu n’as pas tellement changé » de Marc Lambron

    Si on a lu les romans du Québécois Michael Delisle, on ne sera pas surpris par le ton autobiographique de son récent livre, qui est d’ailleurs sous-titré « récit ». On retrouvera dans Le feu de mon père des remémorations et des personnages qui traversaient, entre autres, Fontainebleau, Dée et Tiroir no 24 (j’ai parlé déjà parlé dans Fugues de ce dernier ouvrage).

    L’auteur s’interroge même sur l’écriture autobiographique dans un des chapitres (p. 97) : « L’exercice autobiographique soulève des questions éthiques que l’écrivain de fiction passe sa vie à éviter…» L’autobiographie est un pacte qui doit rendre l’auteur beau.

    Qu’expie l’écrivain en se lançant dans cette dénudation de lui-même? Une façon de faire pardonner le portrait souvent noir que Delisle a tracé de son enfance et de son adolescence, de sa famille, mère dénaturée et père excentrique? Tiroir no 24 se terminait sur la mort du père adoptif dans un hôpital. Dans Le feu de mon père le géniteur reste toujours vivant malgré un terrible accident qui aurait pu le laisser infirme.

    Ce père, qui porte cette fois le nom Delisle, est un sacré personnage. Fils d’un député, il un parfait délinquant qui fait contrebandier, passeur de Chinois aux États-Unis, braqueur, mais qui sera embobiné par une secte. Il est prêt même à faire tuer sa femme qui l’a quitté. L’histoire du fils, qui est le narrateur, se jettera, lui, dans les bras d’hommes (ce fait indiqué par une seule phrase dans l’évocation). 

    Ce récit qui s’étale sur plus de trente ans est fragmenté, ce qui permet de susciter les souvenirs comme des éclairs. Les phrases sont courtes; les liens entre les paragraphes semblent distendus, abrupts, et pourtant ils réussissent à donner une cohérence à l’histoire. Il suffit de peu de choses pour donner prise au récit : un événement, une réflexion, une scène récurrente que l’écriture arrache alors au temps. Le ton est parfaitement poétique et l’auteur s’affranchit ainsi du réalisme.

    La réalité s’avère effectivement intraitable et il faut à Michael Delisle cette manière inédite de raconter, neuve, autoréflexive, jonglant avec les niveaux de langage, les retours en arrière et les ellipses, pour faire rendre gorge à une chronique foisonnante, concrète, dense.  En plus, le regard de l’écrivain se fait moins dur, voir moins méprisant sur des personnages.

    La vérité se fait ici tranchante, mais sans complaisance ni dérision. On sent que l’auteur veut sauver ses personnages, les aimer, ce qui n’était pas toujours apparent dans ses précédents livres. Cela ne va pas sans émotion. Il y a très grand plaisir à lire un livre se singulier. 

    Tu n’as pas tellement changé / Marc Lambron

    Celui de l’écrivain français Marc Lambron est un hommage à son frère mort du sida en 1995. C’est aussi un refus qu’on salisse la mémoire d’un être aimé. L’auteur a entrepris son récit pour enlever son frère des mains d’une dénommée Frigide Barjot, l’égérie des manifestations contre le mariage pour tous en France au printemps 2013. Celle-ci a avait déclaré avoir eu un seul amour dans sa vie, une passion pour Philippe Lambron.

    Marc Lambron a écrit Tu n’as pas tellement changé en quelques mois pour ravir son frère. C’est à l’aune de la blessure de la disparition de Philippe que se déroule la remémoration; à la conclusion que lui, le frère ainé (de quatre ans), est encore vivant; et à son impossibilité de terminer un roman en cours. Il va chercher l’empreinte que ce cadet a laissée en lui.

    Avec une grande pudeur, l’auteur évoque la vie trop courte de Philippe, surtout dans ses huit dernières années, luttant de plus en plus contre la maladie (qui n’est jamais nommée). Il tente de dénicher les ressemblances et les dissemblances avec ce frère avec lequel il a eu peu de relations suivies jusqu’à la déclaration de la maladie. Il l’approche lentement, délicatement – comme s’il avait peur de lui faire mal ou de le trahir.

    Philippe était un garçon confiant en lui, cultivé, élégant, aimant les voyages, les bars, les soirées dansantes, qui vivra les années 80 avec insouciance, cherchant les rencontres, les amours volatiles. Puis viendra la maladie qui le fait souffrir, qu’il combat quand elle sera devenue si évidente dans son corps.

    Le romancier suit son développement chez Philippe ; en naîtra une confiance du frère et une affection plus grande chez Marc. Au fil des pages se faufilent la détresse, les appréhensions, la douleur, le chagrin. Tu n’as pas tellement changé est un livre de deuil, certes, mais c’est surtout un livre d’amour. On le referme le cœur serré, les larmes aux yeux. 

    Le feu du père / Michael Delisle. Montréal: Boréal, 2014. 123p.

    Tu n’as pas tellement changé / Marc Lambron. Paris: Bernard Grasset, 2014. 140p.

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