Si l’événement avait eu lieu, cette année, il en serait à sa 23e édition. Malheureusement, ce ne sera pas le cas. On savait que Divers/Cité était en difficulté financière depuis un certain temps. La faible assistance aux événements des trois dernières années était un indicateur qui ne mentait pas. La nouvelle de la fermeture nous a été confirmée, il y a quelques semaines, par la co-fondatrice et directrice générale de l’organisme, Suzanne Girard. Il n’y aura donc plus d’activités dans le Vieux-Port, ni ailleurs. Que s’est-il passé ? Que reste-t-il donc de cet événement qui a rassemblé, pendant deux décennies, des centaines de milliers de personnes venues célébrées la diversité des communautés LGBT.
Retour en arrière
Manque à gagner, baisse drastique d’assistance, montée de la clientèle gaie au Festival Osheaga (dont les dates concordaient avec celles de Divers/Cité) et qui invite de plus en plus d’artistes LGBT… Les raisons sont évidemment multiples. « Depuis qu’on était sur le quai du Vieux-Port, on a mangé toutes nos réserves. On a donc examiné la question de tous les bords et de tous les côtés. Ce fut une descente qui a duré assez longtemps. Mais honnêtement, le fait que ce soit un événement extérieur gratuit, cela n’a jamais été rentable, nous n’avons jamais fait de gros surplus. Les années où il y a eu un surplus, c’est parce que nous avions des subventions ou quelque argent d’assurance, etc. On tirait un certain bénéfice de la vente de bière. Encore là, ce n’était pas énorme, mais cela payait les employés et les équipements. Avec des moyens limités, on a réalisé bien des choses. On innovait à l’époque, même si les gens ne s’en rendaient pas toujours compte», d’expliquer Suzanne Girard, cofondatrice de Divers/Cité.
Le volet communautaire
En 2017, cela fera 10 ans que Fierté Montréal organise la Journée communautaire et le défilé de la fierté. Mais de 1993 à 2006, c’est Divers/Cité qui a organisé ces événements. Toutefois, après une réflexion de près de deux ans, Divers/Cité décidait, en 2007, de se transformer en «festival culturel LGBT», laissant à d’autres le soin d’organiser le volet «célébrations la la fierté». On se rappellera que plusieurs ont vu dans ce geste la mise de côté de l’aspect communautaire. «Nous n’abandonnions pas le communautaire, rétorque l’ex-cofondatrice du groupe. Notre vision était de créer un événement distinctif : un festival culturel, artistique et de musique, toujours issu de la communauté. Rétrospectivement, la communauté et plusieurs intervenants touristiques ont visiblement mal compris nos intentions. Et, peut-être, n’avons-nous pas été suffisament clairs sur le développement que Divers/Cité pouvait prendre dans le futur», concède Suzanne Girard. Dans les semaines qui ont suivi l’annonce des transformations qu’allaient vivre DiversCité, en février 2007, un autre groupe prend, sur lui, d’organiser le volet communautaire des célébrations de la fierté. «Idéalement, il aurait été souhaitable que Divers/Cité et le nouveau groupe tiennent leurs événements respectifs avec des dates éloignées l’une de l’autre. Mais cela ne s’est malheu-reusement pas passé comme çà…» Des dates rapprochées ont été un peu imposées à la nouvelle Fierté à quelques semaines de Divers/Cité, laissant place à la cannibalisation des deux événements. «C’est dommage, car il y avait — et il y a encore — place à Montréal pour plusieurs événements LGBT d’envergure. On le voit ailleurs, comme à San Francisco où quatre événements LGBT majeurs se tiennent chaque année. Pourquoi n’aurait-on pu faire avec succès deux grands rassemblements à Montréal ? Encore fallait-il qu’ils aient lieu à des moments bien éloignés. «Bien des gens ont perçu les transformations proposées par Divers/Cité comme une trahison, comme si on laissait tomber le milieu communautaire, alors qu’il s’agissait pour nous, d’offrir une scène culturelle et musicale dynami-que à la communauté gaie», insiste Suzanne Girard.
Le déménagement
Il y a quatre ans, Divers/Cité déménageait ses pénates de la Place Émilie-Gamelin dans le Village, au Vieux-Port de Montréal. «Le site était magnifique et offrait bien des possibilités, on nous avait accueillis à bras ouverts en nous disant que notre “réputation nous précèdait” ! C’était la première fois qu’on nous recevait avec autant d’ouverture», se rappelle Mme Girard, plutôt habituée à devoir négocier serré et de façon musclée avec la Ville, l’arrondissement et les services de police et d’incendies. Certains blâment ainsi Divers/Cité d’avoir «abandonné le Village». «Comme nous l’avions expliqué à plusieurs reprises, nous n’avions plus le choix. Il faut se rappeler de l’ampleur des foules qu’il y avait au parc Émilie-Gamelin et dans les alentours. Et à l’époque, le parc Émilie-Gamelin venait de passer sous le contrôle du Quartier des spectacles. Et on nous avait fait clairement comprendre qu’étant donné l’envergure de notre événement, on ne pouvait plus tenir nos activités dans ou aux alentours du parc.
D’autre part, la grande scène, que nous montions sur Berri pour Mascara et la Grande Danse, ne pouvait plus y être installée là parce qu’elle obstruait l’accès à la nouvelle gare d’autocars et parce qu’une voie complète sur la rue devait être libre en permanence pour permettre l’accès au Terminus. Il était impossible de tenir nos deux plus gros événements dans un corridor… Le déménagement était donc une obligation. Et il nous fallait trouver un nouvel endroit…» À l’époque, à part le Vieux-Port, la seule option valable aurait été le Quartier des spectacles. «Mais, ce lieu aurait été aussi loin que le Vieux-Port (qui dans les faits est à distance de marche du Village) et nous aurions dû négocier avec les mêmes intervenants… Nous avons donc opté pour le magnifique site du Vieux-Port, sous l’autorité du fédéral et non de la Ville», rappelle avec insistance Suzanne Girard. Toutefois, le choix du nouveau site ne fera pas l’unanimité. Boudé, par plusieurs, Divers/Cité ne réussira jamais à attirer aux événements la foule des bonnes années 2000, forçant l’organisme à piger dans ses maigres réserves. La politique d’une entrée tarifée (une option envi-sagée devant le succès des festivals comme Osheaga et Heavy Mtl) et l’absence du spectacle Mascara, l’an dernier, auront toutefois précipité l’organisme dans un gouffre financier intenable…
De très bons souvenirs… tout de même
Malgré, la décision déchirante de mettre fin aux activités du festival qu’elle avait fondé (avec Puelo Deir) en 1994, Suzanne Girard garde de beaux souvenirs de Divers/Cité. «J’ai consacré 22 ans de ma vie à Divers/Cité. Je suis heureuse de ce qu’on a accompli», confie-t-elle. «Je me souviens de la toute première année lorsqu’on a descendu sur Saint-Denis, puis bifurqué en direction du parc Lafontaine, sur le Plateau. C’était superbe. Cette année là, on avait réussi à rassembler une quinzaine de groupes communautaires dans le parc. Cela ne se faisait pas à ce moment-là de se montrer au grand jour dans un tel espace public. C’est comme ça qu’est née la Journée communautaire, qui est devenue l’événement emblématique du samedi. J’y ai vécu, comme plusieurs autres personnes, des moments extraordinaires.» Les éditions annuelles de Mascaras : La Nuit des drags sont aussi, pour Suzanne, autant de souvenirs impérissables avec une activité incroyable, un foisonnement de talents rassemblés pour un seul soir mémorable. «Il y a eu jusqu’à 200 personnes qui y travaillaient : des techniciens, des drags, des danseurs, des coiffeurs, etc. Il ne faut pas oublier aussi l’écran géant qu’on installait. Aujourd’hui, il y a des écrans partout et pour toute sorte d’événements, mais à l’époque, c’était assez rare. Rien que l’écran nous coutait plus de 20 000 $.
Les gens ne s’en rendaient pas compte, nous n’avions pas de subventions pour ça! » La première performance des soirées Flexxx, avec le danseur et chorégraphe José Navas sur scène, reste également marqué dans la mémoire de Suzanne Girard. Cette soirée a pavé la voie aux autres prestations chorégraphiques par la suite. Le gigantesque party de la Grande Danse, qui suivait la tenue du défilé évoque également des moments mémo-rables, alors que la place Émilie-Gamelin débordait de monde jusque dans les rues avoisinantes… Même si les souvenirs se bousculent dans sa tête, Suzanne Girard insiste pour souligner les collaborations qui se sont créées entre Divers/Cité et Tourisme Montréal, Tourisme Québec, le ministère de la Métropole, l’administration de la ville de Montréal, ainsi que les partenariats avec des entreprises telles que Priape ou Fugues, qui ont accompagné DiversCité, tout au long de son histoire. «Ce fut parfois des symbioses extraordinaires.
Malheureusement, la question du sous-financement gouvernemental des organismes LGBT demeure entier. Nous n’étions pas les seuls à entrer dans aucune case. Il faudra bien qu’un jour cela se règle et que l’on reconnaisse les organismes gais, qui produisent de grands événements comme le faisait Divers/Cité. Ce sont des festivals culturels, comme tous les autres festivals du genre», commente-t-elle. « Divers/Cité a fait partie de tout le mouvement de reconnaissance des droits des personnes LGBT. L’organisme a été le premier à utiliser le terme «Fierté», en français. Même en France on a longtemps dit les Gay Pride. Donc nous avons réussi à faire accepter l’expression Fierté. Par les défilés, les Journées communautaires, les déclarations des leaders durant Divers/Cité, nous avons contribué à faire avancer la cause LGBT, à faire passer un message en faveur de l’acceptation et de la diversité. Et de ça, aussi, j’en serai toujours très fière»