Mercredi, 17 avril 2024
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    Familles, je vous aime et familles, je vous hais! : Alain Claude Sulzer, André Aciman et Édouard Louis

    On connait la fameuse instance d’André Gide qui, entière, se lisait comme suit: «Familles, je vous hais! Foyers clos; portes refermées; possessions jalouses du bonheur.» Oscar Wilde écrivait de son côté: «La famille n’est jamais qu’un assemblage de gens ennuyeux, qui n’ont pas la moindre idée de la façon dont il faut vivre.»

    Cellule de la société, la famille est, en fait, un composé de passions et de jalousies inextricablement nouées, aux effets le plus souvent délétères par ses rivalités et ses résiliences. Chacun éprouve donc à son égard des sentiments contradictoires, différents, difficiles: c’est l’amour-haine. On y trouve des avantages et des inconvénients. Si on se sent différents, homosexuels par exemple, ces avantages et ces inconvénients ne pourront jamais s’égaler. Mais tout cela n’empêche pas des gais et des lesbiennes de vouloir en fonder une famille! Alors que certains et certaines préfèrent la liberté du célibat – ils vont chercher leur bonheur partout et tout le temps.

    La jeunesse est un pays étranger / Alain Claude Sulzer

    Parlant de bonheur, on ne sera pas surpris par celui évoqué dans La jeunesse est un pays étranger du Suisse Alain Claude Sulzer, récit d’une enfance et d’une adolescence à Bâle. On pourrait presque dire que la vie du jeune garçon a été facilitée par des parents aussi peu curieux de ce qu’il devenait qu’ils sont extrêmement réservés et très sur leur quant-à-soi, jusqu’à la mortification, en société. D’une certaine façon par sa famille catholique, le petit Alain Claude a vécu une jeunesse sans grand éclat. Douce et innocente. Mais où il faut se tenir droit, jusqu’à paraître guindé, comme peut l’être l’amour indéfectible à ses parents. 

    Ce livre, qui n’est ni roman ni vraiment une autobiographie, est fait de fragments qui s’échelonnent chronologiquement sur une vingtaine d’années. Il est constitué des mille et un petits riens de la vie qui la rendent étale et paisible comme un lac. Ils nous apprennent beaucoup sur le quotidien suisse. Souvenirs lacunaires et sensations labiles façonnent un récit vivant, sensible, d’un garçon qui semble savoir où il va.

    Son homosexualité a toujours été là, ce qu’il découvrira un soir quand un homme nu — un danseur — se lave sous la douche: il comprend immédiatement ce qu’il voit et ressent, un désir violent et intense dont il sait qu’il ne pourra pas mettre fin et qui ne demande maintenant qu’à éclore. La jeunesse est un pays étranger est une merveille. 

    Appelle-moi par ton nom / André Aciman

    Ce sont des parents encore plus compréhensifs qui entourent Elio dans Appelle-moi par ton nom qui a inspiré le film du même titre. Elio est fils d’une famille juive bourgeoise qui établit ses pénates l’été au nord de l’Italie. Chaque année, elle invite un jeune universitaire dans sa maison. Cette année-là, au début des années 80, c’est Oliver qui arrive et qui sèmera le trouble chez Elio. On peut dire de ce dernier, comme du jeune Suisse Sulzer, que la présence de ce bel Américain de 17 ans son aîné sera une révélation: il lui fait découvrir son homosexualité.

    C’est dès son arrivée que l’adolescent le comprend. Pendant une grande partie du roman, le couple s’apprivoise, s’approchant et se fuyant, jusqu’au moment d’être au lit ensemble. Elio fera tout pour renouveler son expérience. Mais le jeune prof doit repartir et c’est alors la peine d’amour. Le père d’Elio comprendra bien les tourments de son fils. Les deux amants se reverront une vingtaine d’années plus tard — cette ultime partie du roman est d’une sensibilité extrême — et comprennent que leur corps n’est plus le même ni la vie de tous les jours: Oliver est marié, séparé, a deux enfants tandis qu’Elio mène une vie sentimentale de célibataire au fil des amants rencontrés. 

    Le romancier américain André Aciman se révèle un fin analyste du sentiment amoureux et de la tyrannie du désir. Ah! Ce que l’amour peut être une torture! Ah! Que le désir peut être foudroyant! Son roman est gracieux et son style est très précis dans la description de la sensualité des corps et de l’épanouissement des émotions. C’est beau et mélancolique. 

    Tout autrement par son contenu et son style est le troisième livre — qui n’est pas un roman — d’Édouard Louis qui, dès sa première publication, En finir avec Eddy Bellegueule, a connu le succès. La haine de la famille y allait de pair avec la misère, le racisme, le déclassement du monde ouvrier, l’aliénation.

    La famille est pour Édouard Louis source de honte et d’humiliation. «Familles, je vous hais», pouvait-il crier dans ce roman et, également, dans ce portrait de son géniteur dans Qui a tué mon père. Un père auquel il n’a jamais parlé, un homme violent et alcoolique. Un père malade dorénavant, que la société discriminatoire a broyé et anéanti. 

    Ce livre court et sec, qui nous enferme comme dans une prison, est un réquisitoire contre tout ce que la société avilit, les pauvres; contre un système de dominants sans piété, fait par et pour les riches. C’est un ouvrage qui demande pardon au père qui a été traité de tous les noms (homophobe, raciste, fasciste…) dans En finir avec Eddy Bellegueule.

    Ici, Louis lui élève une statue. C’est toutefois l’hommage d’un fils contrit qui en veut au monde entier de ce qui est arrivé à sa famille. Qui a tué mon père est dédié à Xavier Dolan et sera monté l’an prochain par le talentueux metteur en scène Stanislas Nordey.

    La jeunesse est un pays étranger / Alain Claude Sulzer, traduit de l’allemand par Johannes Honigmann. Paris: Jacqueline Chambon, 2018. 238p.

    Appelle-moi par ton nom / André Aciman, traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Pierre Aoustin. Paris: Bernard Grasset, 2018. 333p.

    Qui a tué mon père / Édouard Louis. Paris, Éditions du Seuil, 2018. 87p.

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