Jeudi, 16 janvier 2025
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    Querelle de Roberval : Kevin Lambert met le feu au Lac-Saint-Jean

    Un an après avoir décrit l’étouffement des jeunes qui rêvent de quitter leur milieu dans Tu aimeras ce que tu as tué, Kevin Lambert rapplique avec un deuxième roman, Querelle de Roberval. Évoquant le nom du personnage principal, un jeune homosexuel qui baise en série, le titre fait aussi référence au conflit opposant les ouvriers et les patrons d’une scierie du Lac-Saint-Jean.

    Querelle de Roberval de Kevin Lambert

    Le roman est une charge frontale contre toute forme de pouvoir : la police, les gouvernements, les syndicats et les patrons d’entreprises. «Je cherche à comprendre comment ces pouvoirs verticaux s’immiscent dans la vie quotidienne des gens et de quelle façon le système capitaliste néo-libéral teinte les relations entre les êtres», explique l’auteur.

    Étudiant au doctorat en création littéraire et doté d’une analyse très pointue de son œuvre, Kevin Lambert livre néanmoins un texte accessible, rythmé et excessivement jouissif, dans lequel il tire à bouts portant sur toutes les franges de la société jeannoise.

    «Je me sers de la parole furieuse comme une tonalité littéraire pour poser des questions sociales. Je pense que les gens des régions reconnaissent le milieu que je décris, qui est très proche de moi. Ce sont souvent des gens de ma famille que je déguise et transforme, mais que je connais très bien. J’essaie de comprendre leurs discours.»

    Il tente aussi de les porter jusqu’à un certain milieu littéraire, intellectuel et médiatique qui n’est pas suffisamment en contact avec le milieu régional et populaire, croit-il. «Je fais un peu partie des deux milieux, alors ça me permet de créer des liens.»

    Marqué par la grève des étudiants en 2012 et par une autre chez Renaud-Bray, son ex-employeur, il a campé le conflit de travail de son histoire dans le milieu forestier, ce qui l’a obligé à lire abondamment sur l’histoire du syndicalisme et à rencontrer des travailleurs de l’industrie. Il a également fait le choix d’exposer une homosexualité frontale, dénuée de la moindre censure. «C’est ce que j’avais envie d’écrire et il n’était pas question de faire de compromis. J’aime questionner la fonction de la sexualité dans le texte.»

    Il ajoute son nom à la liste de jeunes auteurs québécois qui font de même, tels Nicholas Giguère, Guillaume Lambert, Antoine Charbonneau-Demers et Maxime Collins. «Il y a une sorte de mouvement très récent qui est en train de changer la domination de l’hétérosexualité dans la fiction. Si on recule dans le temps, outre Michel Tremblay et Michel Marc Bouchard, on a très peu d’œuvres du genre auxquelles se rattacher.»

    Son personnage principal fera certainement sa place dans l’imaginaire homo-érotique de plusieurs lecteurs. « Querelle est une sorte de Survenant dans ce petit milieu-là. Il est proche de ses collègues ouvriers et il n’a pas l’air gai, mais le gouffre inconnu de sa sexualité est vraiment dérangeant, voire dangereux pour eux. C’est un personnage de l’ambiguïté. On ne sait jamais s’il est bon ou méchant. Il permet aux jeunes de la région de vivre leur sexualité, mais il ne les considère pas du tout. Il couche avec eux avant de les domper. De par sa position limitrophe, il vient mettre en lumière la manière dont on place les frontières entre les catégories. »

    Les cases de préférences sexuelles sont en effet mises à mal durant le roman, alors que tous les hommes du Lac, même les hétérosexuels les plus rustres, oscillent entre un désir pour le physique magnifique de Querelle, une envie pour les corps masculins qu’il enchaîne ou des tendances homosexuelles plus ou moins refoulées. « Pour moi, l’homosexualité et l’hétérosexualité sont des constructions, des catégories qu’on pense étanches, mais qui ne le sont pas. Je voulais exposer l’idée qu’en se choisissant hétéro, les gens doivent aussi se dire non-gai, comme si ça impliquait le refus ou le refoulement de quelque chose d’autre, qui peut se révéler être une sexualité queer. »

    QUERELLE DE ROBERVAL, de Kevin Lambert, Héliotrope, 2018, 288 pages.

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