En 1995-1996, la «trithérapie» a révolutionné le monde des traitements pour les personnes vivant avec le VIH-sida. Bien sûr, il y a eu des hauts et des bas, des effets indésirables secondaires parfois lourds pour les patients. Plus de deux décennies plus tard, les chercheurs, les entreprises pharmaceutiques et les cliniciens introduisent la «bithérapie».
Des molécules maintenant assez puissantes, efficaces, avérées – et déjà présentes dans la trithérapie – peuvent permettre d’envisager un tel traitement pour des patients nouvellement infectés (dit naïfs) ou pour d’autres patients dont l’état est stable. Faciliter la prise de médicaments est ici un atout !
Nous avons parlé de la «bithérapie» à deux intervenants : le point de vue médical avec le Dr Sébastien Poulin, microbiologiste-infectiologue, à la Clinique I.D. (Saint-Jérôme) et à la Clinique Médecine Urbaine du Quartier Latin (Montréal) ; et la perspective communautaire à travers Patrick Keeler, coordonnateur de l’info traitements chez AIDS Community Care Montréal – Sida bénévole Montréal.
À lire les comptes-rendus des plus récentes conférences internationales sur le VIH, depuis quelques années la bithérapie est dans l’air du temps. Pourquoi a-t-on envisagé cette voie?
Dr Sébastien Poulin La trithérapie est le standard de pratique depuis plus de deux décennies parce qu’elle avait été montrée clairement supérieure à la bithérapie à base de deux INTI [inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse] de l’époque.
Avec l’arrivée de médicaments plus puissants, efficaces et bien tolérés à travers les années, certains chercheurs ont eu l’idée de mettre à l’épreuve le dogme de la trithérapie en utilisant cette fois-ci une bithérapie à base de deux classes de médicaments différents. Après plusieurs échecs ou résultats mitigés, certaines combinaisons se sont finalement démarquées et cognent maintenant à la porte plus que jamais. Initialement, les motivations principales des chercheurs étaient : la simplification du traitement; la réduction des effets secondaires à court et long terme ; une réduction du coût des traitements. Indirectement, le concept de bithérapie a également refait surface parce que certaines compagnies ont voulu développer des régimes à longue action injectables et que le nombre de médicaments avec les qualités et propriétés physicochimiques nécessaires était limité.
De quelle manière la bithérapie s’avère-t-elle positive pour les personnes vivant avec le VIH?
Patrick Keeler Premièrement, cette simplification du traitement peut aider à éliminer les complications créées par des interactions entre différents médicaments, un aspect très positif pour les personnes vivant avec plusieurs conditions. Ensuite, comme les personnes vivant avec le VIH peuvent s’attendre à une vie longue et en bonne santé, la bithérapie pourrait être souhaitable de réduire le nombre de médicaments dans un traitement, en particulier sur le long terme, et pour les personnes qui vieillissent avec le VIH. Enfin, donner aux gens la possibilité de choisir un médicament qui leur convient, c’est leur redonner le contrôle de leur traitement.
Dr Sébastien Poulin Les personnes vivant avec le VIH ont une espérance de vie normale ou se rapprochant énormément de celle des séronégatifs. La bithérapie offre l’avantage de réduire l’exposition cumulative d’antirétroviraux au cours de la vie d’une personne par rapport à l’utilisation d’une trithérapie. En principe, bien que ce n’est pas encore réellement prouvé, elle aurait donc l’avantage théorique de réduire le risque d’effets secondaires et/ou de complications au long terme. Aussi, pour toutes sortes de raisons, certains patients préfèrent prendre le moins de médicaments possible et la bithérapie est donc un concept attrayant pour eux. À l’autre extrême, certains patients ont une «polypharmacie» impressionnante et la bithérapie pourrait aider les cliniciens à la réduire. […] Cependant, tout comme certaines trithérapies de première ligne, les bithérapies disponibles actuellement sous forme d’un seul comprimé sont sécuritaires au niveau rénal et osseux.
La bithérapie, est-elle une option autant pour les patients nouvellement diagnostiqués que pour ceux qui vivent avec le VIH depuis longtemps ?
Patrick Keeler Je pense que l’introduction de la bithérapie est une chose très positive pour notre communauté. Chez ACCM on travaille à améliorer la qualité de vie des personnes qui vivent avec le VIH, et la bithérapie peut potentiellement améliorer la qualité de vie du point de vue du traitement.
Dr Sébastien Poulin Une réponse courte serait oui sauf exceptions. Les bithérapies ne sont pas recommandées en cas de grossesse et certaines sont contre-indiquées ou sont des choix de 2e ligne en cas d’infection au virus de l’hépatite B. S’il n’y a pas d’hépatite B active, une mise à jour vaccinale est essentielle. Enfin, tout dépendant du choix de bithérapie, des CD4 très faibles ou une charge virale très élevée pourraient être une contre-indication relative. Il est aussi important de comprendre que les bithérapies actuellement disponibles ont majoritairement été étudiées dans des contextes de relative bonne adhérence, d’absence d’échec virologique antérieur et d’absence de résistances documentées ou soupçonnées aux composés actifs. […] Pour le moment, il est donc recommandé d’être prudent et de bien sélectionner les patients qui sont des candidats potentiels à une bithérapie.
Pourrait-on dire que la bithérapie est la suite logique aux traitements de trithérapie utilisée depuis tant d’années ?
Dr Sébastien Poulin Le traitement standard de la trithérapie a été «challengé» par des chercheurs innovateurs qui remettaient en doute l’utilité d’avoir 3 composés actifs à l’ère des nouveaux antirétroviraux plus puissants et sécuritaires. Je crois donc surtout que la bithérapie est la suite logique de l’arrivée de nouveaux médicaments puissants, efficaces, bien tolérés et sécuritaires à travers les années. À mon avis, les bithérapies, sous différentes formes et différentes compositions, sont là pour rester.
Quels avantages sociaux ou économiques (s’il y a lieu), y aurait-il à passer à la bithérapie ?
Patrick Keeler Il y a bien sûr aussi des avantages pour la société aussi, étant donné que la bithérapie coûte tout simplement moins cher. Comme notre société est responsable de payer pour les soins de santé et les médicaments, le coût est donc un aspect attrayant.
Dr Sébastien Poulin Je ne connais pas les données précises pour pouvoir trop m’avancer mais je sais que le Dovato sera commercialisé à un prix compétitif légèrement inférieur aux trithérapies de première ligne les plus utilisées. L’impact économique collectif pourrait être relativement intéressant, mais l’impact individuel sera nul (franchise 93$/mois RAMQ identique) ou faible à modérée (variable selon les assurances privées).
Que pensez-vous du médicament Dovato qui est la première bithérapie approuvée au Canada ?
Dr Sébastien Poulin En fait, ce n’est pas la première. Le médicament Juluca (Dolutégravir + Rilpivirine) était déjà approuvé depuis environ 1 an pour des situations de «switch» chez des patients indétectables et sans résistance connue aux inhibiteurs de l’intégrase et/ou INTI.
Dovato est cependant la première bithérapie (Dolutégravir + 3TC) approuvée au Canada pour le traitement initial du VIH (patients naïfs). Il s’agit d’un très petit comprimé à prendre 1 fois par jour avec ou sans nourriture.
Dans une grande étude de phase 3 (GEMINI 1,2) chez des patients naïfs au traitement avec une charge virale inférieure à 500 000 et sans résistance aux médicaments de l’étude, il s’est révélé aussi efficace qu’un régime de trithérapie jusqu’à 96 semaines. Aucune résistance n’a émergé dans les deux groupes pendant toute la durée de l’étude. […] Une autre grosse étude de phase 3 (TANGO) a comparé l’efficacité de Dovato dans une situation de «switch» chez des patients indétectables utilisant des régimes de trithérapie et sans résistance connue ou suspectés aux inhibiteurs de l’intégrase et/ou INTIs. Son efficacité a été comparable aux trithérapies et pour le moment aucune résistance n’a émergé.
Je crois que Dovato est une option intéressante à considérer en situation de traitement initial et fort probablement également en situation de «switch» pour certains patients bien sélectionnés. En plus de l’efficacité démontrée, ce que je trouve intéressant de cette combinaison est que les médicaments qu’il contient sont bien connus.
Dolutégravir est utilisé au Canada depuis 2013 et appartient à la classe des médicaments appelés inhibiteurs de l’intégrase. Cette classe fait actuellement partie des régimes recommandés en première ligne pour plusieurs bonnes raisons, par exemple leur sécurité, leur supériorité en termes de suppression virologique par rapport aux autres classes et leur rapidité pour réduire la charge virale. De plus, bien que le 3TC (Lamivudine) est utilisé depuis presque 25 ans, il est généralement considéré comme sans danger et est un composé efficace de nombreuses combinaisons d’antirétroviraux. Bref, nous connaissons assez bien les effets secondaires de Dolutégravir et du 3TC à moyen et long terme contrairement à d’autres antirétroviraux dans des trithérapies modernes.
Cette entrevue a été rendue possible
grâce au soutien de VIIV Healthcare