Journée mondiale du sida – 1er décembre 2020
Depuis les débuts de cette crise du coronavirus, les gouvernements ont voulu diminuer les contacts sociaux entre les gens pour limiter la propagation du COVID-19. Cependant, cela n’est pas sans conséquences néfastes sur les personnes des communautés LGBTQ2+ et séropositives comme le constate le Dr Réjean Thomas, le président-fondateur de la Clinique médicale l’Actuel.
En voulant soigner le physique, on a oublié ou mis de côté le «mental», si bien que les cas de dépression, d’anxiété, d’isolement, etc. sont de plus en plus visibles. L’ONUSIDA tire également la sonnette d’alarme sur des décès plus fréquents maintenant chez les personnes vivant avec le VIH-sida (PVVIH) qui, par manque de fonds, ne sont plus capables de payer leurs traitements. Comme on le verra dans cette entrevue, l’Actuel a mis en place des mesures pour soutenir les patients à surmonter ces moments difficiles et les aider à passer à travers cette pandémie.
Quels sont les changements majeurs que vous avez remarqué à la clinique depuis le début de la pandémie?
La pandémie de COVID-19 a sans aucun doute un impact profond et sérieux au niveau international; ses conséquences vont se poursuivre sur le long terme. Les gouvernements ont dû imposer dans l’urgence et en des temps records des mesures drastiques qui ont subitement réduit la liberté d’actions des individus. Pour tenter de limiter la propagation du virus, mettre en place la distanciation sociale et freiner l’économie est nécessaire. Mais il ne faut
pas négliger les conséquences négatives au plan de la santé globale et du bien-être. Ces préoccupations sont inquiétantes. Le tiers de mes patients a perdu son travail. De surcroît, les populations vulnérables comme la communauté LGBTQ2+, les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) ou les personnes en situation d’itinérance, qui souffrent déjà de précarité psychosociale et/ou financière sont encore plus à risque d’éprouver de la détresse en raison du manque d’interaction sociale, de la réduction des services et du soutien par les pairs.
Y a-t-il plus de cas de dépression, d’angoisse, D’idées noires ou suicidaires chez les
patients ?
Je constate beaucoup de détresse tous les jours, beaucoup d’anxiété et je suis content de voir mes patients en personne. Des recherches antérieures ont démontré que des épidémies telles que le COVID-19 et des mesures visant à éviter une éclosion peuvent avoir un impact psychologique majeur sur les personnes : précipiter la maladie mentale pour les personnes auparavant en bonne santé et aggraver l’état de ceux qui souffrent déjà de troubles mentaux (Ho et al., 2020). L’étude ENGAGE, quant à elle, a montré que 50,3 % des hommes gais et
bisexuels éprouvent des symptômes d’anxiété légers à graves et 24,7 % souffrent de symptômes de dépression (Rich et al., 2018). Nous savons aussi que près de 60% des PVVIH plus âgées présentent des symptômes de solitude (Greene et al., 2018). Il faut également souligner que la communauté LGBTQ2+ plus âgée peut éprouver davantage d’isolement familial que la population générale, ce qui est renforcé par la crise actuelle. A part cela, il ne faut pas oublier que pour beaucoup cette pandémie est la seconde de leur existence qui les ramène 30 ans plus tôt à une époque qui a très malencontreusement été nommée la Peste gaie.
Il semble que ce qui est fait en ce moment pour protéger la santé physique a évacué la santé mentale et, comme on le constate, les ressources ne sont pas suffisantes pour répondre à la demande. À votre avis, qu’est-ce qui devrait être fait pour soigner les gens adéquatement?
Il est clair que l’approche globale en santé, préconisée en VIH depuis toujours, et qui tient compte des aspects physiques, sociaux, mentaux et du bien-être, a cédé la place à une approche linéaire. Cette approche est d’autant plus restrictive que la plupart des organismes de soutien respectent également le confinement et ne peuvent donc plus offrir les mêmes services ni sous le même format.
Le soutien en santé mentale était déjà très difficile à obtenir avant la pandémie; au cours de cette crise et après, ceux qui développent un problème psychologique ont et auront besoin d’une aide soutenue et durable. À l’Actuel, nous avons été proactifs et mis en place une structure de soutien incluant un travailleur social, une intervenante psychosociale et un téléphoniste dédié aux personnes vulnérables afin que tous ceux qui en ont besoin puissent avoir de l’aide.
Devrait-on ré-instituer les visites en personne avec le patient plutôt que par téléphone ou visio-conférence afin que le médecin puisse mieux évaluer les besoins psychosociaux du patient et l’épauler de façon adéquate ?
Sans aucun doute! A l’Actuel, nous avons tenu à privilégier les consultations en personne précisément pour permettre ce contact rapproché entre le patient, l’infirmier et le médecin. C’est essentiel dans cette période perturbée. Néanmoins, nous offrons aux patients qui le souhaitent la possibilité de consulter par téléphone ou visio-conférence. C’est une décision qui appartient au patient, ce n‘est pas un mode de fonctionnement qui lui est imposé.
La pandémie de COVID-19 a-t-elle un impact sur les efforts de lutte contre le VIH / Sida?
Il est certain que mesures d’hygiène mises en place pendant la pandémie, en conjonction avec de nombreux autres facteurs de vulnérabilité ont une incidence sur la qualité de vie et l’adhérence au traitement de nos patients, qu’il s’agisse de traitement antirétroviral (ARV) ou de PrEP. La recrudescence de décès liés au VIH / sida compte tenu des ruptures de services est l’une des inquiétudes majeures de l’ONUSIDA. Nous ne sommes pas à l’abri de conséquences néfastes même si la situation au Québec n’est pas comparable à d’autres régions du monde nettement plus démunies. Néanmoins, l’arrêt temporaire de traitement antirétroviral par manque de fonds (perte de travail donc d’assurances privées) peut entraîner des rebonds dans la charge virale.
On pourrait constater le même impact au niveau de la PrEP, si quelqu’un cesse temporairement de renouveler sa prescription compte tenu d’une présumée diminution de rapports sexuels. Si l’on en juge par le taux d’ITSS diagnostiquées à la clinique pendant les périodes de confinement, les rapports sexuels n’ont pas diminué pour tout le monde, et la transmission des ITSS continue d’être élevée. La majorité des ITSS sont asymptomatiques. IL faut continuer le dépistage. Par ailleurs, en ce 1er décembre, journée mondiale du VIH/Sida, il faut se
souvenir que le VIH continue de se transmettre et de provoquer près de 700,000 décès par année. Il ne faudrait pas que les efforts menés contre COVID-19 oblitèrent les 30 années de lutte que nous avons menées.
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