Jeudi, 3 octobre 2024
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    Rencontre avec Felice Picano

    Le parrain de la littérature gaie, Felice Picano, est l’auteur de plus de 30 livres de poésie, de fiction, de journaux personnels, d’essais et de pièces de théâtre, y compris les romans à succès The Lure, The Book of Lies et Like People in History, ainsi que ses mémoires littéraires, inspirés de son journal personnel : Men Who Loved Me et A House on the Ocean, A House on the Bay.


    Avec Andrew Holleran, Robert Ferro, Edmund White et George Whitmore, il a fondé la célèbre Violet Quill pour promouvoir et accroitre la visibilité des auteurs gais et de leurs œuvres. Picano a également lancé et dirigé les SeaHorse Press et Gay Presses de New York pendant 15 ans. En 2009, la Lambda Literary Foundation lui a décerné son Lifetime Achievement/Pioneer Award pour l’ensemble de sa carrière. Originaire de New York, Picano vit maintenant à Los Angeles, mais revient à Montréal régulièrement. Il sera dans la métropole pour un événement littéraire spécial à la Librairie Saga, le 11 juin. Nous nous sommes récemment assis pour discuter franchement de divers sujets.


    Le Dr Anthony Fauci combat le sida depuis le début et participera à la 24e Conférence internationale sur le sida qui se tiendra à Montréal du 29 juillet au 2 août. Que penses-tu de l’héritage du Dr Fauci sur le sida ?
    Felice Picano : Je l’ai rencontré lorsque j’étais au Gay Men’s Health Crisis (GMHC). Je l’ai rencontré avec le reste du conseil d’administration — nous étions cinq ou six. C’était assez tôt et, comme la plupart des médecins au début de la crise, il ne connaissait pas très bien le sida, mais il a appris assez vite. Les médecins ne savaient pas ce que c’était, leur ignorance était grande et les a amenés à sous-déclarer les cas et à ne pas les comprendre. Mais Fauci a appris assez rapidement et est finalement devenu un expert sur le sujet. En ce qui concerne la COVID, je pense qu’il a été très courageux. Je pense que les leçons qu’il a tirées du sida étaient très clairement présentes dans son esprit lorsqu’il a combattu la COVID. Il a vu ce qui s’est passé avec le sida, alors qu’il n’y avait aucun soutien du gouvernement, et il ne voulait pas que cela se reproduise.


    Qu’est-ce qui fait en sorte que tu ne peux attraper le sida, Felice ?
    Felice Picano : Parce que j’ai la mutation génétique CCR5-delta 32, je ne peux pas attraper le sida. À New York, environ un an et demi après la découverte du VIH, le Dr Luc Montagnier (le virologue français qui a remporté un prix Nobel pour avoir co-découvert le VIH et qui est décédé le 8 février 2022 à 89 ans) était au GMHC et a fait venir un grand nombre d’étudiants de l’Université de Columbia et d’autres écoles de New York pour réaliser des antécédents génétiques complets. C’était un truc de 15 pages. Les gens venaient au centre et remplissaient ces documents. Je l’ai fait moi aussi. Et, en 1996, quand tout le monde était mort et que j’avais déménagé à Los Angeles, j’ai reçu un appel téléphonique de Montagnier me disant : « Avez-vous entendu parler de la mutation génétique CCR5-delta 32 ? » J’ai répondu « oui » et il a dit : « Eh bien, vous êtes l’une des personnes qui l’ont. » Plus précisément, cela signifie que mes lymphocytes T n’ont pas le mécanisme d’accrochage habituel, donc un virus comme celui du sida ne peut pas venir s’y accrocher.

    Felice Picano, 1979 (courtoisie de la Galerie Daniel Cooney Fine Arts)


    Qu’est-ce que cela t’a fait ressentir ?
    Felice Picano : Cela ne faisait aucune différence à l’époque. Je veux dire, je m’attendais depuis 15 ans à devenir éventuellement symptomatique. J’ai vu partir tant de personnes, une après l’autre. J’ai déménagé à L.A. justement pour m’éloigner de toute la mort et de l’horreur que m’inspiraient les rues de New York. Cela ne faisait aucune différence à ce moment-là. Je m’en foutais d’une manière ou d’une autre.


    Tu as écrit, en 1997, la préface du livre Gay Widowers : Life After the Death of a Partner…
    Felice Picano : Oui. Quand une femme perd son mari, quand un homme perd sa femme, il y a tout un ensemble de comportements sociaux dans lesquels nous nous engageons, qui manquaient aux veufs homosexuels. Totalement. Les gens que je connaissais depuis des années, qui devaient savoir que mon mari était mort, l’ont ignoré, n’en ont pas fait mention. Il n’y avait pas de conventions sociales en place pour cela et, par conséquent, sa disparition et le vide dans ma vie que cela a créé ont été totalement ignorés.


    Cela t’a-t-il mis en colère ?
    Felice Picano : À l’époque, j’étais colère. Et je ne pense pas avoir jamais vraiment quitté cet état. Simplement, j’ai juste appris à ignorer cette colère. Et à attendre moins des gens.


    As-tu ressenti la culpabilité du survivant ?
    Felice Picano : Ce n’étaient pas des morts méritées, c’étaient des morts injustifiées. Je n’ai donc jamais ressenti de culpabilité. Il y a eu un moment où, environ un an ou deux après la mort de mon partenaire et âme sœur Paul Popham — qui avait été président du GMHC pendant des années et qui a été sérieusement calomnié par Larry Kramer dans cette stupide pièce (The Normal Heart) — je suis allé à son service commémoratif. En sortant, j’ai dit à quelqu’un : « C’est le dernier service commémoratif auquel j’assiste », et je suis rentré chez moi. J’ai enlevé mon costume noir Armani, je l’ai mis sur un cintre, je l’ai accroché dehors sur la clôture devant mon appartement et je ne l’ai plus jamais porté.


    Comment était Larry Kramer ?
    Felice Picano : Larry, comme nous le savons, souffrait d’homophobie internalisée. C’est l’une des personnes les plus en colère, les plus amères et les plus rancunières que j’aie jamais rencontrées de ma vie. Je me souviens d’une fois où je rentrais de L.A., où un projet de film que je faisais avec la société de Cary Grant venait d’échouer au bout de six mois. Je suis revenu et j’ai rencontré Larry qui en avait entendu parler. Il a dit : « N’êtes-vous pas horriblement en colère à propos de tout cela ? » Et j’ai répondu : « J’ai gagné une tonne d’argent. J’ai fait très peu de travaux. Et je ne pensais pas que ce serait un film de toute façon. » Et il a dit : « Eh bien, j’étais très en colère de ne pas pouvoir faire telle ou telle chose, et tout cela parce que j’étais gai. » J’ai dit : « Écoute, Larry, j’étais ouvertement gai
    tout le temps que j’étais là-bas. » Quand j’ai quitté L.A., les gens m’ont proposé de me trouver plus de travail.


    Toi et Kramer avez-vous déjà parlé de Paul Popham ?
    Felice Picano : Non.


    Aujourd’hui, Kramer est salué comme un héros gai.
    Felice Picano : Je l’appelle Saint Larry. Un écrivain travaille actuellement sur une biographie de Larry Kramer. Il m’a interviewé et nous avons eu une longue conversation à la fin de laquelle j’ai dit : « Je vais vous laisser avec ces deux choses. Je ne l’ai jamais vu danser. Pas même une seule fois. Et je ne l’ai jamais entendu rire de bonheur. C’est le genre de personne qu’il était. »


    Vous avez dit que le grand succès de Torch Song Trilogy de Harvey Feirstein a permis aux Gay Presses de New York de prospérer.
    Felice Picano : Je n’ai pas parlé à Harvey depuis très, très longtemps. Je me souviens qu’à l’époque, je suis allé le rencontrer chez lui à Brooklyn et nous avons parlé de publier le livre. C’est alors que j’ai découvert qu’il travaillait toujours sur la dernière pièce (dans la collection des trois pièces de Torch Song Trilogy). Parfois, il venait me voir très tôt et me disait : « Nous devons couper la pièce. Voulez-vous m’aider ? » Et je le faisais. Cela a toujours resté une relation professionnelle.


    Que penses-tu des nouveaux mémoires de Harvey, I Was Better Last Night ?
    Felice Picano : Le livre est très amusant. C’est très long et très factuel. Il y a beaucoup de bonnes choses dedans si vous vous intéressez au théâtre musical parce qu’il en a fait tellement. De mon point de vue d’éditeur, il ne s’est pas développé en tant qu’auteur. Mais c’est un être merveilleux, généreux et gentil avec les gens.


    Tout le monde veut être célèbre aujourd’hui, mais peu pensent aux ramifications. Par exemple, les ex-anonymes vous manquent-ils ? T’a-t-il même été possible d’avoir des relations sexuelles anonymes au cours des 40 dernières années ?
    Felice Picano : Seulement 30 ans trop tard sur cette question ! C’est possible, je peux vous le dire. J’ai perdu mon anonymat en 1980 ou 81 et je me suis retiré. À un moment donné, j’étais l’écrivain gai le plus célèbre au monde. Et je n’aimais pas du tout la notoriété. Je n’ai pas aimé ce qui l’accompagne. Les gens poussaient mes amis ou mon amoureux loin de moi.


    Parle-moi de Rudolph Noureev. Ne t’a-t-il pas caressé les fesses un jour ?
    Felice Picano : Il m’a attrapé le cul alors que je me tenais au coin d’une rue à Chelsea,
    essayant de me faire monter dans sa Jaguar décapotable. Je parlais à des gens quand il est arrivé, il s’est penché et m’a attrapé. Il n’est pas le seul à avoir fait ça !


    Lors de ta tournée de lecture actuelle, tu voyages avec Jeffrey Round, l’auteur canadien primé de la populaire série policière gaie Dan Sharp.
    Felice Picano : Jeff a écrit une merveilleuse série de mystères et il va lire des extraits, tandis que je lirai probablement ma nouvelle duologie, Pursuit : A Victorian Entertainment et Pursued : Lillian’s Story.


    L’interdiction des livres LGBTQ+ en Amérique ces jours-ci est effrayante.
    Felice Picano : Je ne suis pas surpris que cela se produise, car les États-Unis sont un pays puritain. Les gens n’arrêtent pas de l’oublier. Et le Canada est un peu mieux à ce niveau, mais pas trop. Il est important que nous restions tous vigilants.


    Traduction en français par Yves Lafontaine. Pour lire la version originale du texte

    INFOS | Retrouvez Felice Picano et Jeffrey Round lors de leur soirée de lecture et de dédicaces à la Librairie Saga (5574, chemin Upper Lachine/Chemin Upper-Lachine) le 11 juin à 18 h. Visitez : librairiesaga.ca et www.felicepicano.net

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