Après le magnifique accueil réservé à Tu aimeras ce que tu as tué, publié en 2017, le second roman de Kevin Lambert était attendu avec impatience et Querelle de Roberval, publié dès 2018, reçut ainsi un accueil bien mérité. En 2020, une traduction dans la langue de Shakespeare de son premier roman fut offerte aux lecteurs anglophones (You Will Know What You Have Killed) et c’est maintenant le tour du second de recevoir le même traitement.
L’action se situe dans la ville de Roberval, au cœur du Saguenay–Lac-Saint-Jean, où une grève déchire une scierie locale et sa communauté. Malgré un fort désir d’échapper à la misère et de faire front commun contre Brian Ferland, propriétaire sans vergogne de l’usine, ils font cependant face à un adversaire de taille.
Le conflit s’envenime rapidement lorsque le propriétaire décrète un lock-out, mettant ainsi le feu aux poudres au sein d’une population déjà survoltée. Faisant office de figure quasi messianique, émerge alors des piquets de grève l’envoutant Querelle qui, non content de soulever les foules pour dénoncer les injustices sociales, consacre ses nuits à des luttes plus charnelles auxquelles goutent les jeunes hommes de la ville sous le regard horrifié, mais toujours concupiscent, de leur père.
Qu’on ne s’y trompe pas, les luttes de pouvoirs ne se limitent pas ici au conflit de travail, mais également à l’hégémonie hétérocentrique que Querelle se fait un plaisir d’abattre au fil des rencontres. Celui-ci ne s’embarrasse d’aucune limite et déchaine l’exultation du désir pour son corps, même chez les hommes les plus réticents qui soient. Ces derniers, souvent étonnés, s’abandonnent ainsi à une domination qui les remue, au propre comme au figuré.
La sexualité y est frontale et ne s’embarrasse d’aucun emballage romantique. Querelle baise, il ne fait que rarement l’amour : on pourrait même le qualifier de baiseur en série. À l’instar de l’éveil des passions charnelles qu’il suscite, son action alimente également la poudrière du conflit ouvrier. Cette liberté absolue dans la sexualité s’arcboute ainsi aux limites et dérives corsetées d’un capitalisme extrême.
La référence au Querelle de Brest de Jean Genest n’est ici pas le fruit du hasard, puisque le roman de 1947 situait également son récit dans le milieu populaire, celui des marins, de même que dans les jeux de pouvoirs et de manipulation de son personnage éponyme. On ne peut que saluer l’extrême qualité de la traduction réalisée par Donald Winkler, également responsable de celle du roman précédent, qui se distingue à nouveau par sa richesse et son respect de la couleur locale.
Provocateur et délicieusement irrévérencieux, le roman se déguste avec un plaisir presque jouissif, à la mesure de la démesure des conflits et des remises en question qui l’agitent.
INFOS | Querelle of Roberval / Kevin Lambert. Windsor, Ont. : Biblioasis, 2022. 218 p. (en anglais) Querelle de Roberval / Kevin Lambert. Montréal : Héliotrope, 2018. 288 p. (en français)