À la fin des années 1930, sous le régime fasciste de Benito Mussolini, des centaines d’hommes sont arrêtés, du nord au sud de l’Italie, et envoyés en exil ou sont isolés. On leur reprochait simplement leur homosexualité.
La photographe Luana Rigolli fait revivre, à travers une exposition de photos qui sera présentée à l’Institut culturel italien de Montréal en novembre, un épisode peu connu de l’histoire gaie et de l’histoire de l’Italie qui s’est déroulée sur l’île de San Domino, à environ 700 km de Catane.
En 1930, le pouvoir fasciste s’était doté d’un nouveau code pénal et un article devait être consacré aux sanctions encourues par les homosexuels. Mais à sa lecture, le Duce enrage : «Nous n’avons pas besoin d’une loi pareille ! En Italie, il n’y a que de vrais hommes.» L’article est retiré et les homosexuels n’existent officiellement pas dans la société fasciste. Ce flou juridique ne les protègera cependant qu’un temps. Dès 1938, sur fond de rapprochement avec l’Allemagne nazie, Rome mène une politique de «défense de la race». Des policiers y voient l’occasion de s’attirer les faveurs du régime en arrêtant des «invertis». Comme l’homosexualité n’est pas un délit, les homosexuels sont accusés d’être «des individus subversifs » ou de « crimes contre la moralité et l’intégrité de la race». Des commissions régionales se chargent de procès expéditifs.
De toutes les régions de l’Italie, la province de Catane se distingua entre toutes par le nombre des arrestations : Alfonso Molina, le préfet de police de la ville, très dévoué à son devoir, fit preuve d’un grand zèle dans sa « chasse » aux homosexuels. Quarante-cinq Catanais, âgés de 18 à 54 ans, furent accusés de « pédérastie passive », un délit portant atteinte aux bonnes mœurs et à l’intégrité de la race. Ils furent contraints de se soumettre à des examens médicaux invasifs qui attestèrent leur culpabilité et furent relégués à San Domino avec une cinquantaine d’autres homosexuels du reste de l’Italie. L’internement devait durer cinq ans.
Dans la région de Catane, le terme offensant arruso faisait référence à l’homosexuel qui assumait généralement le rôle passif dans la relation. Et seuls les passifs ont été arrêtés, tandis que ceux qui ont assumé le rôle actif dans les relations homosexuelles n’ont pas été persécutés, car ils étaient considérés comme des hommes.
Ces homosexuels catanais furent internés dans l’île de San Domino jusqu’en juin 1940, date à laquelle ils furent renvoyés chez eux. En effet, au déclenchement de la guerre le régime affecta les installations de l’île à l’internement des opposants politiques, jugés plus dangereux. La peine des arrusi fut commuée en un avertissement de non-recidive au terme des deux ans, ce qui ne leur rendit pas pour autant la vie plus facile. Les détenus furent renvoyés chez eux et assignés à résidence. Ils vécurent dans la plupart des cas dans la honte, sous les commérages des voisins. Certains ont même été rejetés par leur famille.
«J’ai découvert par hasard l’histoire des arrusi grâce au livre La città e l’isola de Gianfraco Goretti et Tommaso Giartosio», explique la photographe Luana Rigolli. «Je dois être sincère, avant de découvrir ce livre sur cette île, je ne savais pas que pendant le fascisme les homosexuels étaient confinés, parce qu’à l’école ils ne nous parlaient que des persécutions fascistes à l’égard des juifs, des tziganes et des opposants politiques. Du moins, il y a vingt et trente ans, les livres d’école n’en parlaient pas.
Aujourd’hui, j’espère que la situation a changée. Je n’ai connu personnellement aucun des survivants, puisque les plus jeunes étaient nés en 1920. Le livre de Goretti et Giartosio qui avaient interrogé l’un d’entre eux pendant les années 1990, a donc été précieux pour moi et c’est ce qui a déclenché le désir de faire un projet photo.»
Pour la photographe, il est important de présenter ce travail partout, parce que peu de gens connaissent ce moment de l’histoire. «Cet événement a eu lieu seulement il y a 80 ans, donc pas dans un passé si lointain, il faut le connaitre pour ne pas reproduire la même erreur. Dans les dernières années, en Italie on a fait plusieurs progrès concernant les droits de la communauté LGBT, mais il faut encore travailler pour éviter de régresser. On doit continuer à lutter pour nos droits et jamais baisser la garde. Cette histoire nous aidera à être plus conscients dans le futur. »
INFOS | Le vernissage aura lieu le jeudi 10 novembre à partir de 18h, à la même occasion il y aura le dévoilement de la programmation du festival Image-Nation. L’exposition se poursuivra jusqu’au 20 janvier 2023.
Istituto Italiano di Cultura di Montréal, 1200, avenue Dr. Penfield, Montréal.
Tel.: 514 849 3473 ; Visitez iicmontreal.esteri.it
Heures d’ouverture : du lundi au jeudi de 9h à 13h et de 14 h à 17h, le vendredi de 9h à 13h. Et lors des événements nocturnes.
Il existe à ce sujet un excellent roman graphique de 2008 : « En Italie, il n’y a que des vrais hommes », Luca de Santis et illustré par Sara Colaone. On le trouve à la BANQ.