De nombreux ouvrages se sont penchés sur Jean Cocteau, son œuvre et ses relations amoureuses, mais bien peu ont véritablement touché à sa relation avec Jean Desbordes, un poète en devenir dont le destin sera fauché en plein vol. Après l’excellent Le prix de la joie, qui portait son regard sur Charles Trenet et les accusations d’actes « impudiques et contre nature sur mineurs », Olivier Charneux tourne maintenant sa lorgnette sur un personnage moins connu, mais qui marqua à jamais l’imaginaire de Jean Cocteau.
L’action débute en 1925, alors que Cocteau pleure toujours la mort de Raymond Radiguet. Un jeune écrivain en herbe fait parvenir au célèbre dramaturge une lettre où il lui avoue son admiration et lui soumet quelques-uns de ses vers. Cocteau est immédiatement conquis par la prose du jeune homme, qu’il compare avantageusement à celle de Rimbaud. Une première rencontre confirmera les atomes crochus entre les deux hommes, bien que le premier se complaise dans un rôle de Pygmalion et le second dans celui de l’élève transporté d’admiration. Alors même que Cocteau lui demande s’il est sage, le jeune Desbordes n’hésite pas à faire preuve de témérité et lui décoche : « Pas du tout. La chasteté et l’abstinence sont une faiblesse ».
Véritable brasier, la passion des deux hommes va cependant s’étioler même si leur attachement se maintient. C’est à l’ombre de cette rupture que s’élèveront deux mythes : Cocteau écrira La Voix humaine, transposition de la douleur de cette rupture, et le cœur libéré, il tournera son regard vers le jeune Jean Marais. Alors que Jean Desbordes ne concevait son destin que sous l’égide des arts, c’est étrangement sous le maquis qu’il marquera plus tangiblement les esprits en coordonnant des réseaux de la Résistance. Il connaitra une fin tragique, en 1945, alors même qu’il meurt sous la torture sans cependant rien révéler à la Gestapo.
Au-delà de relater avec adresse l’histoire de cette rencontre et d’un destin partagé, Olivier Charneux reconstitue également avec un talent certain une époque et sa faune. C’est ainsi que l’ouvrage regorge de scènes décrivant un milieu artistique qui embrasse pleinement la différence, ainsi que ce qui semblait être le péché mignon de plusieurs : la consommation effrénée d’opium. L’ouvrage adopte une forme romancée, ce qui permet de rendre plus tangibles la fougue et la fragilité des deux hommes.
Le récit s’accompagne également d’extraits d’œuvres de Jean Desbordes et d’entrevues dont une, réalisée en 1960, où Cocteau revient sur celui qui marqua à jamais son imaginaire et son cœur.
INFOS | Le Glorieux et le Maudit. Jean Cocteau–Jean Desbordes : deux destins / Olivier Charneux. Paris : Seuil, 2023, 270 p.