Dimanche, 6 octobre 2024
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    Entrevue avec Niivi Snowball, nouvelle icône queer des jeunes Inuits

    Suite à un récent séjour dans les trois localités arctiques d’Iqaluit (au Nunavut), Kuujjuaq et Puvirnituq (ces deux dernières au Nunavik, dans le nord du Québec), notre collaborateur François Bellemare témoigne d’une jeunesse inuite faisant valser les références sociales de cette communauté autochtone, qu’on dit par ailleurs assez conservatrice. Entrevue avec la jeune musicienne Niivi Snowball, originaire de Kuujjuaq, qui incarne tout à fait cette nouvelle onde.

    Se tient en aout la fête nunavikoise de la culture : le festival annuel Aqpik Jam — nommé du délicieux petit fruit qu’en Europe on appelle la plaquebière et au Québec la chicoutai, et qui dans l’Arctique se récolte justement en aout. Niivi n’a que quinze ans, mais y est cette année montée sur scène pour au moins la 10e fois.

    Il faut dire que la précoce artiste a de qui tenir : son père Etua Snowball est un musicien reconnu, auteur de plusieurs disques et longtemps professeur d’inuktitut à l’école secondaire locale. D’ailleurs, père et fille ont joué en duo en de multiples occasions à Kuujjuaq, qui est un peu la capitale administrative de cette région inuite de l’Arctique québécois.

    Dans un excellent français (sa mère, employée à Tourisme Nunavik, est une francophone venue de Sherbrooke), la talentueuse jeune compositrice le confirme d’emblée. 

    « Mon père a été l’influence artistique majeure dans mon début de carrière; mais je dois ensuite mentionner Elisapie Isaac – une chanteuse inuite originaire de Salluit, autre village nunavikois – puis d’autres influences, allant du grungeau rock, avec aussi pas mal de punk.

    Avec humour, elle raconte les péripéties de son nom de famille. « Anciennement, le nom était Aputiarjuk, qui en inuktitut signifie boule de neige. Mais les agents fédéraux qui contrôlaient les registres de naissances trouvaient le patronyme trop compliqué à écrire; alors pour notre branche de la famille, ils l’ont changé pour Snowball. » Et récemment, lorsqu’elle a voulu ouvrir un profil Facebook, le système l’a rejeté; elle l’a alors modifié pour Sinuupa… qui est en fait un surnom. »

    PHOTO Fierté Kuujjuq par C. Gallant.

    Dans les cieux de l’Arctique, flotte désormais le drapeau arc-en-ciel
    Elle aborde sans détour ce moment sur la scène Aqpik 2022 qui a fait beaucoup jaser. « Au micro, j’ai présenté une composition comme une chanson dédiée à la fille avec qui j’étais en amour. Ça m’est venu comme ça, spontanément, relate-t-elle. Ce dévoilement de mon orientation en a gêné certains, qui ont même quitté la salle pour ne pas entendre « une chanson lesbienne ». Mais beaucoup d’autres m’ont appuyée, le voyant comme un cri d’émergence ». Et Niivi fait partie des (très) jeunes militants qui pour une 3e année ont paradé sous la bannière multicolore lors du Défilé de la Fierté à Kuujjuaq.

    Le symbole d’une identité autochtone LGBT est-il trop lourd pour celle qui se reconnait comme bi-spirituelle (2S). « Je me dis moi-même queer, alors quel serait le problème à en porter le drapeau ? »

    Questionnée sur cette rupture avec la culture traditionnelle inuite, l’adolescente nuance : « Du temps des Anciens existait une certaine tolérance envers des femmes préférant les rôles masculins, par exemple la fabrication des armes de chasse; autant qu’envers des hommes qui se dédiaient aux tâches féminines, comme les soins aux jeunes enfants. Bref, une ancestrale version inuite de la transidentité ».

    Des plans pour l’avenir, Niivi en a beaucoup. D’abord enregistrer un premier album en anglais – la langue dans laquelle elle performe d’habitude, comme beaucoup d’enfants de couples bilingues dans l’Arctique. Ensuite, relever un défi souligné par d’autres jeunes Nunavikois, conscients des difficultés liés à la promotion des parlers autochtones dans un siècle où la langue anglaise écrase tout : se lancer dans l’écriture en inuktitut. Mais quand on a déjà trois langues maternelles, multiplié par trois noms de famille, n’a-t-on pas neuf plus de créativité ?

    L’auteur de ce texte, François Bellemare est aussi auteur du roman La renaissance de l’Interlope (Éditions Sémaphore, 2022).

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