Jeudi, 6 février 2025
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    Journée mondiale du sida

    L’an dernier, vous parliez de la sous-utilisation de la PrEP comme moyen de prévention du VIH-sida. Où en sommes-nous un an plus tard ?
    Réjean Thomas : La prophylaxie pré-exposition (PrEP) existe depuis 2011 et constitue une avancée incontestable vers l’éradication du VIH. En effet, la PrEP diminue jusqu’à 97% le risque de contracter le virus, ce qui la rend aussi efficace sinon plus qu’un vaccin lequel demeure, à ce jour, toujours à l’étude. Malgré son pouvoir d’action avéré, la sous-utilisation de la PrEP empêche une réduction significative de la transmission du VIH et ceci, bien que de moins en moins mentionné, a un impact majeur au plan de la santé publique. On le répète depuis des années, le VIH ne fait plus partie des sujets d’actualité en vogue même s’il continue d’affecter les mêmes populations dont les facteurs de vulnérabilité perdurent puisqu’on persiste à ne pas en tenir compte.

    La sous-utilisation de la PrEP relève de plusieurs domaines dont les coûts et les communications. D’une part, certaines personnes ne prennent pas la PrEP car elle n’est pas gratuite, pas plus que d’autres car leur compagnie d’assurance refuse de les couvrir les considérant à risque. On pourrait facilement alléguer une discrimination face à l’orientation sexuelle puisque, précisément grâce à la PrEP, ces personnes sont hors-risque. Finalement, de nombreux médecins n’abordent pas la sexualité avec leurs patients, ce qui constituent autant d’occasions manquées de prescrire la PrEP. Et de nombreux médecins ne connaissent pas la PREP et donc ne la prescrivent pas, ce qui est un problème surtout en région.

    En corollaire de ce qui précède, y a-t-il de plus en plus de jeunes infectés par le VIH du fait du manque d’information et qu’en est-il des autres groupes d’âge ?
    Réjean Thomas : En effet, la diffusion d’information concernant la PrEP doit être renforcée auprès des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HARSAH), notamment les jeunes de moins de 30 ans. A l’Actuel, on observe un tiers des nouveaux cas dans cette tranche d’âge. De façon générale, les HARSAH demeurent la catégorie la plus touchée par le VIH, représentant plus de 60% des nouveaux diagnostics au Québec en 2021. D’autres facteurs témoignent en faveur de l’importance de réitérer la diffusion de messages de prévention concernant le VIH et ce, auprès de l’ensemble des HARSAH.

    Ainsi, le nombre de cellules CD4 est un indicateur de l’état du système immunitaire. Si le nombre de CD4 est bas, le système immunitaire est faible. Ce qui signifie que la personne est infectée depuis longtemps. Or, il est désolant de constater que la proportion de diagnostics tardifs ne cesse d’augmenter parmi les HARSAH (CD4 ≤ 350) passant de 32,5% en 2019 à 45,2% en 2021[1]. Il faut malheureusement en déduire que le dépistage n’est pas encore une pratique de routine. En témoigne la proportion suivante : 54,4% des nouveaux diagnostics chez les HARSAH n’avaient jamais eu de dépistage antérieur. Pendant combien d’années encore va-t-il falloir répéter que l’absence d’éducation sexuelle auprès des jeunes et de campagne de prévention du VIH et des ITSS influence de plein fouet la santé publique alors que ces moyens devraient, au contraire, être élevés au rang de priorités ?

    Vous mentionnez les ITSS, on avait vu les cas de syphilis diminuer à un point tel qu’on
    pensait que cette infection n’existait pratiquement plus. Dans les dernières années, on a constaté une recrudescence des ITSS, qu’en est-il ?

    Réjean Thomas : Il n’y a rien de rassurant du côté des ITSS qui présentent des chiffres alarmants bien qu’il n’y ait pas de données sur les HARSAH en tant que tels[2] :. entre 2015 et 2019, le nombre de déclarations de cas d’infection à Chlamydia trachomatis chez les hommes dont le seul site d’infection est le site rectal a augmenté de 84 %. Pendant la même période, le nombre de cas d’infections gonococciques uniquement aux sites rectaux ou pharyngés chez les hommes a augmenté de 130 %. La syphilis affecte dix fois plus les hommes que les femmes et a augmenté de 72 % en dix ans[3]. Finalement, la lymphogranulomatose vénérienne (LGV), infection due à une bactérie de la famille de la chlamydia, est en recrudescence depuis 2013 passant de 9 à 134 cas en 2019. Elle touche quasi-exclusivement les HARSAH.

    La recrudescence des ITSS est associée à différents facteurs. Certains pensent que la PrEP y contribue. Peut-être mais il vaut mieux traiter une gonorrhée que contracter le VIH. De plus, le suivi tous les trois mois des personnes sous PrEP permet justement d’effectuer un dépistage régulier des ITSS et de les traiter, le cas échéant. L’augmentation des ITSS est due à une diminution de l’adoption de comportements sécuritaires. Pourquoi? Parce que, au risque de se répéter, il n’y a plus de prévention. Ce recul est sans doute dû, notamment, au fait que le VIH est devenu une maladie chronique, on n’en meurt plus et c’est donc moins porteur médiatiquement. Mais on peut aussi se demander si reprendre le contrôle des ITSS et éradiquer le VIH sont encore des priorités. Montréal sans sida demeure silencieuse à ce sujet.

    Il a beaucoup été question récemment des surdoses liées au crystal meth. Est-ce que nous avons les ressources nécessaires pour s’occuper des personnes qui consomment du crystal et pratiquent, le chemsex, le cas échéant, et les aider à suivre leurs traitements ? 
    Réjean Thomas : Cela fait plusieurs années qu’à l’Actuel on envoie des signaux d’alarme concernant les HARSAH qui consomment du crystal et pratiquent le chemsex. Il a fallu la parution des articles sur les décès récents pour que cette problématique sorte de l’ombre. Les politiques et actions en réduction des méfaits ont, certes, été des précurseurs au Québec depuis l’émergence du VIH mais elles répondaient d’abord et avant tout à la consommation d’opioïdes. Lorsque la pratique du chemsex a surgi, les ressources existantes se sont retrouvées face à une méconnaissance absolue de cette problématique de double addiction à la drogue et au sexe.

    La pandémie de COVID nous a fait craindre, à raison, une surconsommation de crystal et un impact sur la santé mentale de nos patients et leur capacité d’adhérence au traitement thérapeutique ou prophylactique (PreP). C’est pourquoi nous avons mis en place une structure de soutien psychosocial visant à accompagner les patients pour réduire les méfaits de ces pratiques dans un contexte où aucun service n’était disponible à ce moment-là. Avec le temps nous avons développé plusieurs collaborations efficaces avec des établissements du Réseau pour palier à ce manque et ce, à notre initiative.

    Le slogan de cette Journée mondiale du Sida, 1er décembre 2023, « Confier le leadership aux communautés » nous intime de réfléchir aux collaborations en devenir. Il est clair que le fonctionnement en vase clos n’est pas efficient : terrain d’un côté, réseau gouvernemental de l’autre. Il est essentiel d’élargir et de diversifier nos façons de faire : développer des collaborations multidisciplinaires entre acteurs sur le terrain et construire, dès les premières étapes, des interventions en partenariat avec le réseau. C’est le terrain qui connaît les besoins des communautés; le réseau a les moyens d’implanter les interventions. L’un ne va pas sans l’autre mais les relations de confiance restent à développer de part et d’autre.

    INFOS | Le DR RÉJEAN THOMAS Président Fondateur de la Clinique médicale L’Actuel
    1001, boul. De Maisonneuve Est, bureau 1130, Montréal.
    Tél. 514-524-1001 ou https://cliniquelactuel.com

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