Dimanche, 9 février 2025
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    Les émissions de rencontres 

    « Trouver l’amour ». Probablement le descriptif le plus payant, mais aussi le plus mensonger de la télévision contemporaine. Les téléréalités répondant à cette prémisse pullulent, tant à la télévision que sur les plateformes de streaming. Cela dit, depuis les émissions sur l’amour et le couple animées par Claire Lamarche ou Janette Bertrand, au Québec, ou encore celles de la première génération de la télévision poubelle (trash télévision aux États-Unis), avec les émissions du type Jerry Springer Show, le concept a beaucoup évolué pour le meilleur, mais surtout pour le pire : l’attrait de la célébrité.

    À la télévision québécoise, le concept des émissions de rencontres est comblé par le créneau d’Occupation Double, qui s’attire un nombre record de cotes d’écoute. C’est l’émission de rencontres par excellence, où vous avez des prix à la clé (maison, voyages, etc.), en plus de « trouver l’amour ». Bien sûr, j’utilise les guillemets, car bien évidemment les participant.e.s ne veulent pas en premier lieu « trouver l’amour », du moins ce n’est pas le but premier de s’exposer — et d’exposer son intimité — à la télévision publique 24 h/24 h : c’est l’attrait de la célébrité. « Trouver l’amour » (le vrai) est la cerise sur le gâteau. Combien de participant.e.s trouvent réellement l’amour (celui qui dure) ? Combien de participant.e.s ont une carrière (éphémère ou non) dans les médias à la suite de leur passage dans une téléréalité ? Combien de participant.e.s voient leur cote de popularité bondir sur Instagram après avoir participé à une téléréalité ? Le but n’est pas de « trouver l’amour ». Peut-être que deux-trois personnes y vont dans ce but candide, ou que deux-trois personnes trouvent « l’amour », mais au prorata, ça demeure le reflet de ce qu’est réellement une téléréalité — peu importe sa forme ou le prix en jeu — un concours ou un jeu filmé pour le public. Pas le meilleur endroit pour « trouver l’amour » ! Ou pour le garder (selon certains concepts…)

    Personnellement, le concept d’OD ne m’attire pas. Trop hétéronormatif à mon goût (malgré la présence de participant.e.s LGBTQ+). Cela dit, en écoutant quelques émissions du genre en streaming, je me suis rapidement aperçue que l’hétéronormativité est la valeur sûre des émissions de rencontre, même pour celles « dites » queers. Un bon exemple : The Ultimatum : Queer Love. Même concept que l’émission originale avec des hétéros, mais ici en version queer. Parce que le queerness est plus que jamais en vogue et que ça paye. Aussi, comme les hétéros, les queers veulent plus que jamais afficher leurs couleurs… pour le meilleur et pour le pire. Le concept est relativement simple et vise à « trouver l’amour », même si le défi est plutôt de le « garder »…

    Cinq nouveaux couples, composés de femmes et de personnes non binaires, sont à la croisée des chemins dans leur relation. L’un des partenaires est prêt à s’installer et à se marier, tandis que l’autre a des doutes. La personne qui est prête donne l’ultimatum à son partenaire : se marier ou casser ! Y’a pas plus hétéronormatif vous me direz, mais faut croire que ces couples queers embarquent à fond là-dedans. Mais le concept va plus loin : il demande à ces couples de rompre en début d’émission et de commencer l’aventure à titre de célibataire. Puis, ils doivent par la suite se dater (dans le même environnement que leurs ex), puis choisir un « nouveau partenaire » avec lequel ils vont « expérimenter » l’état d’une personne mariée et donc vivre avec cette personne en appartement pendant trois semaines. Ensuite, ils feront de même avec leur partenaire initial. Au terme de l’aventure, ils devront choisir : 1) s’ils répondent à l’ultimatum de se marier avec le partenaire original, 2) avec un autre ou 3) de quitter l’aventure bredouille (célibataire). Tordu, dites-vous ? Si ça fait trois ans que tu es en couple avec ce que tu considères comme LA personne, pas besoin de rompre et d’aller te chicaner ou baiser à la TV pour savoir si tu veux réellement te marier ! Entrer en relation et même baiser avec quelqu’un d’autre dans un environnement simulé et devant les caméras ne va pas éclairer ton jugement sur ton imminent mariage, mais plutôt faire monter les cotes d’écoute ! Pas besoin de vous dire que l’aventure sera périlleuse pour plusieurs couples, lorsque les caméras seront éteintes.

    La téléréalité est un casting et les participant.e.s — même si certain.e.s ont de nobles intentions à la base — se font aspirer dans son vortex. Déjà, en 2012, le sociologue Michel Dorais s’interrogeait sur cette tendance du voyeurisme de la société-spectacle : « Je m’inquiète franchement de savoir où cette surenchère va s’arrêter. Déjà, les médias sociaux nous montrent des gens qui meurent en direct. Dans de telles conditions, l’éthique en prend pour son rhume. Où est passé le sens critique, individuel et collectif ? Que signifie dorénavant le mot “intimité” ? (1) » Cela dit, la responsabilité de ce type de spectacle, comme le souligne judicieusement le sociologue, n’incombe pas qu’aux participant.e.s ou producteurs de ces émissions, car « pas d’exhibitionnisme sans voyeur. Autrement dit, si les gens n’étaient pas si friands d’émissions comme Occupation Double … ces dernières n’existeraient pas. Et à propos d’exhibitionnisme, ce n’est pas tant l’abondance de corps nus dans la sphère publique qui me préoccupe. C’est l’exhibition en tant que valeur placée au-dessus de sa vie et de celle des autres 1 ».
    Bref, la téléréalité est le chef-lieu du voyeurisme et de l’hétéronormativité. Avec The Ultimatum, on constate que même les queers n’échappent pas à cette idée inculquée de l’hétéronormativité pour « réussir » son couple, sa vie, etc. Certaines émissions poussent le bouchon encore plus loin : The Millionnaire Matchmaker est en ce sens addictive. Diffusée a priori de 2008 à 2015 sur Bravo, puis en rediffusion sur Netflix. Ayant plutôt bien vieilli, elle est moins clichée que The Bachelor qui vous présente un millionnaire désirant « trouver l’amour ».

    Cela dit, le concept est le même. Ce qui est intéressant avec The Millionnaire Matchmaker ? Le franc-parler de l’animatrice-entremetteuse et productrice Patti Stanger : elle n’hésite pas à dire aux millionnaires têtus et prétentieux leurs quatre vérités. Cette femme d’affaires est également la fondatrice du Millionnaire’s Club (www.MillionairesClub123.com). Bien sûr, comme la marieuse Sima Taparia de Indian Matchmaking, Patti met de l’avant l’hétéronormativité (même lorsqu’elle fait affaire avec des couples gais). Un exemple flagrant est lorsqu’une participante, fleuriste de profession, amène des fleurs à un millionnaire. Et Patti de s’énerver : « On ne fait jamais ça, c’est l’homme qui doit amener les fleurs, pas la femme ! » Hâte de voir comment la nouvelle émission Patti Stanger: Millionaire Matchmaking sur CW répondra aux « préoccupations » plus contemporaines lorsqu’il est temps de « trouver l’amour »…

    1 – Michel Dorais, cité par Brigitte Trudel dans « Entrevue : Ma vie comme un spectacle », Idées, septembre-octobre 2012, vol. 110, no.5, p. 29 et 32.

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