Robert Leckey est doyen de la Faculté de droit de l’Université McGill depuis 2016. Au fil des années, l’homme aura bien garni sa feuille de route. De 2002 à 2003, Robert Leckey a été l’auxiliaire juridique du juge Michel Bastarache à la Cour suprême du Canada, pour ensuite devenir boursier de la Fondation Trudeau de 2003 à 2006. Il s’est aussi impliqué pour les LGBTQ+, non seulement par ses travaux en droit constitutionnel et en droit familial, mais aussi en assurant la présidence du McGill Equity Subcommittee on Queer People de 2008 à 2011, puis celle d’Égale Canada de 2011 à 2015. Entrevue.
Comment en es-tu venu à étudier le droit – et à en faire une carrière ?
Robert Leckey : J’ai fait un premier bac en littérature anglaise. Après cela, j’ai travaillé dans l’industrie financière. Puis, en fait, j’ai résisté longtemps à la notion de faire des études en droit. J’ai fait des joutes oratoires durant mon premier cycle et plusieurs [des gens ayant fait des joutes oratoires] ont fait du droit, mais moi je ne voulais pas les suivre. À un moment donné, puisque je travaillais avec des avocats dans le secteur financier, je voyais leur travail, je lisais leurs documents, je voyais leur façon de raisonner et je me disais : « Ça m’intéresse. Je peux faire ça. »
Est-ce que ton désir de faire du droit a été incité par une envie de défendre les droits
des LGBTQ+ ?
Robert Leckey : Je ne dirais pas que mes premiers intérêts pour le droit étaient militants. Je me disais que c’était quelque chose qui me plairait. Dès que j’ai été dans ce domaine-là, je suis devenu de plus en plus conscient des enjeux pour nos communautés. Pour moi, c’était important de faire ce que je pouvais. De nos jours, c’est sûr qu’il y a plusieurs profs de droit qui sont issus de la communauté LGBTQ+, mais pas tant que ça, et donc ça reste [pour moi] une possibilité privilégiée de faire avancer les choses. Je pense que, comme universitaire, on a parfois un peu plus de loisirs pour faire des choses que les gens qui travaillent des heures folles dans un grand cabinet. Je pense à ça aussi. J’ai présidé par exemple le comité des questions juridiques d’Égale Canada pendant cinq ans, et c’est quelque chose qui était facile à ajouter à la vie universitaire. Ça aurait été plus difficile pour quelqu’un qui bosse très très dur dans un grand cabinet. Le travail universitaire est composé de l’enseignement, de la recherche et des autres contributions, et donc ça peut faire — en quelque sorte — partie du boulot.
Dans une lettre ouverte parue en 2018 dans le Globe and Mail, tu expliques le fait que « l’égalité du mariage n’a pas résolu toutes les questions juridiques pour nos communautés LGBTQ ». Tu y parles notamment de la vulnérabilité juridique des familles LGBTQ+, de la violence et de la discrimination à l’encontre des personnes trans et de la criminalisation de l’exposition au VIH. Six ans plus tard, penses-tu que ces problèmes sont encore d’actualité ?
Robert Leckey : Il y a eu des améliorations, je crois, concernant la reconnaissance des familles et des parents LGBTQ+, quoiqu’il reste des enjeux. Il y a des litiges en cours au Québec afin de reconnaître un troisième parent. Ailleurs, il y a plus de possibilités d’établir un lien de filiation avec un troisième parent — parce que plusieurs familles sont ainsi composées —, mais au Québec on résiste à cet effort-là. Du côté de la criminalisation des personnes qui ont des rapports sexuels alors qu’ils sont séropositifs, je pense que ça continue à être un problème. Et, pour les trans, les choses se sont empirées. Il y a eu certains gains, mais certains reculs, et maintenant on vit vraiment un ressac. Plusieurs provinces ont annoncé ou entrepris des mesures qui réduisent les droits des personnes trans, et surtout des jeunes. C’est inquiétant. Je ne m’attendais pas à ça. Je pensais que le progrès allait être inégal, mais là carrément il faut défendre des gains contre des mouvements populistes qui voudraient les retrancher.
D’un point de vue légal et juridique, es-tu optimiste pour les LGBTQ+ ?
Robert Leckey : Pour le long terme, j’ai confiance que les choses iront dans la bonne direction. Mais on doit rester très vigilant et on doit défendre certaines choses que l’on pensait acquises. Je ne suis pas totalement pessimiste, mais il faut être réaliste : les gouvernements populistes ont sélectionné comme cible les populations trans. Pour moi, c’est très très important que les gens qui ont profité des développements positifs du passé — les couples gais ou lesbiens qui voulaient se marier — ne disent pas : « J’ai tout ce dont j’ai besoin, ce n’est plus ma lutte. » Parce que même à l’époque, quand les gens luttaient pour le mariage homosexuel, des personnes trans ou des personnes touchées plus par la criminalisation des actes sexuels disaient : « On a [nous aussi] des enjeux. » On leur a dit : « Attendez, on s’occupe du mariage d’abord, et après on revient à vos affaires. » Il y a des promesses qui doivent être tenues envers ces gens-là.
Et donc, quels enjeux LGBTQ+ sont les plus pressants au niveau légal/juridique ? Est-ce ceux concernant les personnes trans ?
Robert Leckey : Les besoins juridiques de la communauté trans sont plus complexes. Ça mélange des choses juridiques et sociales et scientifiques. […] Je dis que les questions trans sont plus compliquées parce que, par exemple, le mariage [homosexuel] était une question de compétence fédérale, et donc, en 2005, ça a été modifié dans tout le pays par l’adoption d’une seule loi. Les enjeux pour les personnes trans, souvent, impliquent beaucoup plus de compétences provinciales — qu’il s’agisse de l’éducation, de la santé, des permis de conduire… — et donc il faut faire le combat dans chaque province. Il y a beaucoup de décideurs qu’il faut convaincre.
Tu reconduis un second mandat à titre de doyen à la Faculté de droit de l’Université McGill depuis 2021 et tu ne pourras pas reconduire de troisième mandat. Que te réserve donc l’avenir, d’un point de vue professionnel ?
Robert Leckey : Je suis très fier d’être un prof dans cette faculté. Après mon mandat comme doyen, j’aurai droit à un congé sabbatique – qui a été reporté de nombreuses années pendant mon mandat comme doyen. Je ne vais jamais cesser d’enseigner. J’enseigne tous les ans, même comme doyen. Quand je vais revenir, je vais évidemment avoir plus de temps en classe, plus de temps à consacrer à mes recherches.
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