Philippe s’est installé dans une quarantaine bien tranquille où tout semble réglé comme sur du papier à musique : sa carrière est florissante, il compte de nombreux amis et, malgré des relations amoureuses en dents de scie, il est à l’aise. Pas l’ombre d’une perturbation à l’horizon, du moins jusqu’à ce qu’il croise Justin.
Une telle prémisse oriente normalement le récit vers la découverte d’une homosexualité latente, mais ce n’est certainement pas le cas, bien au contraire. Philippe a fait sa sortie du placard dès la fin de l’adolescence et il partage d’ailleurs la petite histoire, assez désopilante, de son parcours et d’un inventaire détaillé de ses amants. L’auteur, Éric Monette, fait d’ailleurs montre d’un grand talent pour reconstituer les tourments et l’exaltation de l’adolescence, de même que certains des points d’ancrage des années 90 à Montréal, tels que le Lézard, le Kox, l’Entre-peau ou le restaurant Picolo Diavolo.
La confidence d’une collègue de travail qui décide d’explorer sa bisexualité l’amène cependant à remettre en question ses propres certitudes, mais malgré le souvenir de rares tâtonnements, il constate n’avoir jamais ressenti de réelles appétences pour les femmes. Non, ce sont les hommes qui le branchent, que ce soit sur le plan amoureux ou sexuel ! La rencontre de Justin puis de Gabriel, deux hommes trans, vient toutefois bousculer ses repères puisqu’il éprouve une attirance indéniable et inattendue pour ces derniers.
Il en arrive alors à formuler certaines réflexions sur la masculinité : « Le modèle gai perpétue aussi les standards pseudo-virils hétéronormatifs, avec un soupçon ou une barge de muscles, voire de masculinité toxique. Comme si les muscles gonflés et découpés ajoutaient de l’intelligence, du charme ou des habiletés sexuelles. […] Mais quelques petits chicots et grands maigrelets croisés durant ces années m’ont démontré que cela n’avait rien à voir. Les gars les plus masculins au lit ne sont pas toujours les plus musclés en apparence. »
C’est au rythme des rencontres avec Justin et Gabriel que les certitudes de Philippe se voient bousculées alors même qu’il découvre la réalité trans, la nature de ses sentiments et qu’il amorce une réflexion sur ce qu’est réellement un homme. Le récit flirte parfois dans la pédagogie, mais un tel constat est sans doute inhérent au cheminement de son protagoniste. Au-delà de l’adresse avec laquelle Éric Monette aborde un sujet rarement touché en littérature, il faut également souligner l’habileté dont il fait preuve à donner vie à des personnages complexes et sensibles.
INFOS | Désorienté / Éric Monette. Lanoraie : Les Éditions de l’Apothéose, 2024, 183 p.
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