Jeudi, 12 décembre 2024
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    Gabriel Nadeau après les exorcismes

    Une famille ultra religieuse. Une homosexualité comparée à un démon. Trois exorcismes teintés des effets du jeûne, de cris sans relâche et de violences psychologiques. Cette histoire, elle n’a pas eu lieu aux États-Unis en 1953, mais au Québec il y a quelques années. Cette histoire, c’est celle de Gabriel Nadeau, qui explique comment il s’en est sorti dans son livre Exorcisé.

    Comment expliques-tu que certains croyants disaient vouloir ton bien en te faisant souffrir pour sauver ton âme ?
    Gabriel Nadeau : J’ai discuté de ça avec ma mère, la veille de notre entrevue, quand je suis allé lui porter mon livre. Ça faisait longtemps qu’on ne s’était pas parlé, car on n’a plus de contact. Ça a été horrible ! Elle disait que j’avais encore un démon de l’homosexualité et que tout ce que j’avais vécu était pour mon bien… Dans ma tête, je me disais : « Comment tu peux penser que se faire hurler dessus pendant 30 minutes, après deux jours de jeûne, quand tu as 13 ans, c’est pour mon bien ? » Oui, ils ont une « bonne » intention dans leur tête, mais dans les faits, ça vient de leur haine face à la différence des autres et d’une place de noirceur.

    Pendant les premières années de ton enfance, la religion n’occupait pas une énorme place dans ta famille. Puis, après le divorce acrimonieux de tes parents, ta mère a renoué en force avec l’Église. Tu voyais peu ton père et tu as ressenti le besoin de combler son absence avec le prophète et Dieu. Avec le recul, dirais-tu que tu as embrassé la religion de ton plein gré ?
    Gabriel Nadeau : Oui. J’avais un intérêt très fort pour la spiritualité et une curiosité pour la religion. Je m’ennuyais d’aller à notre église. Cela dit, dans les faits, en tant qu’enfant, je n’avais pas vraiment le choix de suivre ma mère et de créer cette illusion nécessaire pour survivre, car elle n’allait pas accepter ce que je suis. Pendant quelques années, mes frères étaient un peu en retrait. Ils nous suivaient seulement quand ils n’avaient pas le choix.

    Comment peut-on expliquer que tu as voulu tes propres exorcismes ?
    Gabriel Nadeau : Je me détestais depuis longtemps à cause de l’intimidation que j’avais subie, surtout de la part de mon petit frère, qui me traitait de fif et qui m’intimidait presque tous les jours. La thérapie de conversion semblait une solution tellement simple pour devenir « normal » et pour vivre mon rêve d’être en amour ; je pensais que je ne pourrais pas être en amour en tant qu’homosexuel, surtout quand on m’a dit que c’était un démon. J’étais convaincu que ma nature profonde était hétérosexuelle, que mon démon brouillait les cartes et que de le sortir de moi me ramènerait à l’hétérosexualité.

    Savais-tu précisément dans quoi tu t’embarquais ?
    Gabriel Nadeau : On ne m’a jamais expliqué ce que les exorcismes impliquaient et je n’ai posé aucune question, car j’avais une confiance totale envers eux. J’avais subi un lavage de cerveau : à mes yeux, la Bible était la seule source de vérité, l’enfer existait vraiment et tous les chrétiens y aboutiraient. Après le premier exorcisme, je m’étais fait croire que le démon était sorti, mais parce que je m’étais masturbé et que j’avais regardé de la pornographie homosexuelle, il était revenu par ma faute. C’est pour ça que j’ai accepté de vivre deux autres exorcismes.

    De quelle façon décris-tu le contraste entre le côté de ta mère qui était protectrice des gens qui te voulaient du mal et celui qui t’a laissé te faire violenter durant les exorcismes avant de te renier ?
    Gabriel Nadeau : C’est une personne qui a beaucoup de violence en elle. Hier encore, elle a trouvé un moyen de me dire que j’étais un clown à cause de ma nouvelle identité artistique et de mon costume de scène. Juste pour me faire mal. En parallèle, elle est une personne très maternelle avec beaucoup d’amour pour moi. Cette contradiction a toujours existé en elle. Quand j’étais petit, les coups avec une cuillère de bois étaient fréquents. C’était pour des niaiseries. On était tellement de bons enfants. Elle s’assurait qu’on baisse la culotte pour que ça fasse plus mal. Avoir une mère comme ça, ça laisse en moi le plus gros déchirement et la plus grande tristesse. J’ai dû laisser aller cette personne que j’ai profondément aimée et que j’aime encore.

    Malgré tout le mal que l’Église t’a fait, tu dis avoir aussi vécu de beaux moments dans cette communauté. Peux-tu nous donner quelques exemples ?
    Gabriel Nadeau : Ce sont des gens avec le cœur sur la main, qui veulent aider, qui sont dans un esprit de communauté et qui ont beaucoup d’amour les uns pour les autres. Mais il y a aussi un côté sombre teinté d’abus et de patriarcat. Cela dit, le fait d’appartenir à quelque chose était le plus fort. J’aimais aussi l’aspect musical : il y a de la musique chaque semaine, tu peux en faire, t’impliquer, aider.

    Un jour, tu as abandonné la danse malgré ton immense potentiel et tu as tout fait pour éviter la part de féminité en toi. Tu dis même être devenu un Jesus Freak. De quoi avais-tu l’air ?
    Gabriel Nadeau : J’évangélisais constamment les gens autour de moi. Dans les autobus de ville, je pouvais parler à 4-5 personnes de Jésus durant chaque trajet, car je voulais sauver les âmes de l’enfer. Je sentais cette responsabilité sur mes épaules, comme ceux qui disaient vouloir me sauver. Même quand on ne voulait pas m’entendre, je continuais. J’étais conditionné à penser que 98 % des gens iraient en enfer et qu’ils allaient refuser Jésus.

    Tu t’imposais une forme de positivisme obstiné. Tu t’abstenais de masturbation pendant des périodes qui allaient presque jusqu’à un an. Tu faisais des jeûnes. Tu allais à l’école religieuse. Qu’est-ce qui t’a fait sentir que tu avais dépassé tes limites ?
    Gabriel Nadeau : C’était un processus du cœur et intellectuel qui a pris des années. Tout a commencé le jour où j’ai lu un extrait de la Bible qui dit de lapider son propre enfant. Pour la première fois, ça m’avait fait douter et j’ai senti un déclic intérieur qui m’a poussé à remettre en question mes croyances. Mon extrémisme religieux diminuait de plus en plus. Puis, un jour, quand j’étais avec ma « copine », j’ai fait un rêve homosexuel : habituellement, je me réveillais et j’étais fâché contre les démons et dégoûté par moi-même, j’allais prier et boire de l’huile d’olive. Mais cette fois, j’ai juste accepté mon rêve.

    Comment as-tu composé avec ton homophobie intériorisée ?
    Gabriel Nadeau : Ça m’a pris des années pour m’en défaire complètement. J’avais un immense malaise avec ma vie sexuelle. Je me sentais sale après un rapport sexuel ; je pensais que c’était contre nature. C’est le truc qui a duré le plus longtemps. Aujourd’hui, c’est derrière moi. J’adore mon homosexualité.

    Quel impact ton vécu a-t-il eu sur ta vie amoureuse ?
    Gabriel Nadeau : J’ai pas mal fait le ménage. J’ai été en couple durant deux ans et tout se passait bien. Je suis peut-être traditionnel en préférant la monogamie, mais j’aurais sûrement été comme ça peu importe. Je peux vivre de l’intimité sans problème et démontrer de l’affection en public sans gêne. Je suis vraiment rendu ailleurs.

    INFOS | Exorcisé / Gabriel Nadeau. [Canada] Éditions de Mortagne, 2024, 304 p.

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