John Irving occupe une place de choix dans le cœur des lecteurs francophones qui, depuis Le monde selon Garp, ont toujours embrassé chacun de ses romans. L’annonce d’un nouveau titre, après neuf d’un trop long silence, fut donc accueillie avec enthousiasme. Fidèle à son habitude, les thèmes de la diversité de genre et de la sexualité débridée y occupent un rôle prépondérant.
Le roman gravite autour d’Adam Brewster, un écrivain qui évoque les 80 années d’histoire de l’hôtel Jerome où il a toujours vécu, en compagnie des fantômes qui hantent ses murs. C’est également le récit des communautés marginalisées — un personnage trans y occupe d’ailleurs un rôle central — qui ont toujours occupé une place prépondérante dans l’œuvre de l’auteur.
Dès les années 70, dans Le monde selon Garp, John Irving met notamment en scène le personnage de Roberta Muldoon, une femme trans dépeinte avec énormément de sensibilité, à contre-courant de la représentation jusqu’alors réservée à cette réalité.
De même, son roman de 2012, À moi seul bien des personnages, met en scène un homme cis bisexuel, qui tombe en amour avec une femme trans. Dans son nouveau roman, les rôles sont inversés puisque la marginalité est incarnée par Adam, un homme hétérosexuel cisgenre. En effet, tous les autres membres de sa famille sont gais, lesbiens, bisexuels, trans ou queers, notamment sa mère, Little Ray, dont le conjoint passe progressivement du statut d’homme à celui de femme.
Marginalité oblige, les différents personnages sont aux prises avec une Nouvelle-Angleterre conservatrice, à l’instar de l’Amérique tout entière, à laquelle ils tentent de résister et de s’imposer. C’est ainsi que, lorsque les amis gais d’Andrew commencent à mourir du sida, sa cousine s’engage dans le mouvement ACT UP et conspue les déclarations et la politique du silence prônée par le président Reagan.
Même la réalité canadienne a droit à une mention puisque le massacre de l’École polytechnique y est évoqué. L’homophobie et la transphobie se dressent ainsi en filigrane des enjeux vécus par plusieurs des personnages. L’auteur a d’ailleurs révélé que le roman occupait une place très personnelle dans son imaginaire, puisque, lorsqu’il a créé le personnage de Roberta, dans Le monde selon Garp, il ne se doutait alors pas qu’il serait un jour père d’une fille trans et lesbienne.
Dans ce nouveau roman, il lui était donc essentiel de créer la meilleure représentation qui soit pour sa fille. Le roman n’est cependant pas sans défauts, car avec ses près de 1 000 pages, il se révèle parfois très bavard.
On peut notamment citer les premiers chapitres, à propos des compétitions de ski, dans lesquels on risque aisément de perdre le fil. Il n’en demeure pas moins un récit inspiré, qui parle de la liberté d’aimer et de s’affirmer.
INFOS | Les fantômes de l’hôtel Jerome / John Irving. Paris : Seuil, 2024, 986 p.