Le dépôt du budget fédéral 2025, le 4 novembre, marque un moment significatif pour les communautés 2SLGBTQI+ du Canada. Alors que le gouvernement Carney dévoile un plan d’investissements ambitieux dans l’économie, la main-d’œuvre et les infrastructures, il consacre également des lignes ciblées à l’égalité des genres et à la sécurité des personnes queer, ce qui est assez rare dans un budget.
Ces annonces interviennent dans un contexte où les fondements de l’inclusion sont de plus en plus mis à l’épreuve. Nous assistons à un geste politique fort — mais aussi à une série de défis à relever pour que ces investissements aient un effet durable.
Ce qui a été annoncé
Parmi les mesures phares, le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres Canada (FEGC) bénéficiera d’une enveloppe de 54,6 millions de dollars sur cinq ans (à compter de l’exercice 2026-27, et 10,9 millions de dollars par la suite, pour renouveler le financement des programmes 2ELGBTQI+.
Ce financement est destiné à alimenter le Fonds de développement des capacités communautaires 2ELGBTQI+, qui vise à renforcer les capacités des organismes communautaires et réseaux 2SLGBTQI+ à travers le pays — en appuyant, entre autres : la formalisation de réseaux, la constitution légale d’organisations, l’élaboration de plans stratégiques et financiers, l’amélioration des compétences techniques et l’accroissement de la capacité à répondre aux besoins spécifiques de ces communautés.
Le financement prévu dans le budget de 2025 pour soutenir le Fonds de développement des capacités communautaires 2ELGBTQI+ comprendra 7,5 millions de dollars sur cinq ans, avec 1,5 million de dollars par année pour assurer la sécurité lors de festivals de la fierté. Ces fonds aideront à répondre aux demandes de la communauté pour ce qui est de couvrir les coûts des services de sécurité et d’assurance en lien avec la tenue de tels événements. Rappelons que ces coûts sont en hausse en raison de la montée de la haine envers la communauté 2ELGBTQI+.
Par ailleurs, le site du gouvernement rappelle que depuis 2016, plus de 250 millions $ ont déjà été engagés dans divers programmes fédéraux en faveur des communautés 2SLGBTQIA+. Ces nouvelles annonces viennent donc s’ajouter à une stratégie déjà en cours.
Une reconnaissance bienvenue mais des zones d’ombre
Sur le plan symbolique, le geste est fort : inscrire l’égalité 2SLGBTQI+ dans le budget d’un gouvernement dont l’agenda est très orienté économie et productivité affiche clairement que ces enjeux ne sont plus périphériques. Toutefois, plusieurs analystes et acteurs communautaires nuancent cette avancée.
D’abord, bien que les montants soient précis, il reste à clarifier comment ces nouveaux investissements s’articulent avec les programmes existants — et avec quelle durée réelle. La majorité des 54,6 M$ est étalée sur cinq ans. Cela soulève des questions de pérennité : qu’adviendra-t-il après cette période ?
Ensuite, plusieurs organismes communautaires avaient prévenu avant le budget qu’ils craignaient une réduction importante des budgets de Femmes et de l’Égalité des genres Canada (FEGC), jusqu’à « –81 % sur trois cycles fiscaux » dans certaines composantes. Bien que l’investissement annoncé soit une réponse, la stabilité à long terme reste néanmoins un enjeu critique quand on sait la volonté de diminuer les coûts.
Enfin, dans un budget global dominé par un déficit de 78,3 milliards $ et des investissements massifs dans l’infrastructure, la défense et la relance économique, certains observateurs critiques du gouvernement estiment que les enjeux 2SLGBTQI+ pourraient être relégués à une place secondaire, sans garantie de mise en œuvre rapide ou efficace.
Réactions mitigées mais encourageantes
Les réactions ne se sont pas faites attendre. Des organisations œuvrant pour l’égalité des genres et des orientations sexuelles ont qualifié l’annonce de positive tout en appelant à la prudence. Ainsi, Canadian Research Institute for the Advancement of Women (CRIAW-ICREF) salue l’engagement mais insiste sur l’importance d’un financement « stable, prévisible et permanent » à un moment où les droits sont de plus en plus contestés.
Plusieurs médias et acteurs communautaires ont relevé que, malgré la visibilité croissante des mesures, la couverture médiatique du budget se concentre surtout sur les grands dossiers économiques, laissant les questions d’équité et de justice sociale dans l’ombre. Certains médias alternatifs ont par ailleurs souligné que les montants « sécurité Pride » peuvent paraître modestes face aux coûts réels des festivals, à l’assurabilité et à la montée de la haine anti-2SLGBTQIA+.
Du côté du secteur technologique, l’organisation QueerTech s’est rapidement exprimée pour saluer l’investissement fédéral tout en appelant à une collaboration durable entre gouvernement et communautés. Elle rappelle que : « Ce budget montre que nos voix ont été entendues. Pour que le Canada demeure un chef de file en innovation, les professionnel·le·s 2SLGBTQIA+ doivent être présent·e·s à toutes les tables — pour bâtir, diriger et imaginer le futur des technologies. »
Les dirigeant·e·s de QueerTech soulignent que ce type de financement n’est pas simplement une question d’équité, mais une stratégie économique : rendre possible la pleine participation des talents queer renforce l’innovation canadienne, la compétitivité et l’intelligence collective.
Vers un déploiement concret : les défis à relever
Pour que les annonces ne restent pas symboliques, plusieurs conditions devront être remplies. Parmi les principaux défis :
• Accès local : Comment les organisations communautaires, notamment dans les régions ou milieux périphériques, pourront-elles accéder à ces fonds ?
• Mesure d’impact : Quels seront les indicateurs retenus pour évaluer le succès des programmes ? Comment seront recueillies et publiées les données ?
• Collaboration effective : L’engagement gouvernemental fera-t-il place à une véritable co-construction avec les communautés 2SLGBTQI+, ou s’agira-t-il d’un transfert de ressources sans processus de participation ?
• Pérennité : Une fois les cinq ans écoulés, que deviendront les financements ? Les risques d’une « retombée » ou d’un retrait existent.
• Visibilité et priorisation : Dans un budget encore lourdement orienté vers l’économie et les grands projets, les enjeux 2SLGBTQIA+ pourraient passer à l’arrière-plan si des efforts de suivi ne sont pas clairement définis.
Une stratégie d’inclusion économique
Le budget 2025 n’est pas uniquement une question de soutien social ; il s’inscrit dans une logique économique. En posant l’égalité des genres et des orientations sexuelles comme facteur de croissance, le gouvernement Carney confirme que l’inclusion et la diversité sont désormais jugées comme des éléments structurants du développement national.
Le cadre de Femmes et de l’Égalité des genres Canada (FEGC) lui-même indique que l’égalité pour les femmes, les filles et les personnes 2SLGBTQI+ est « une impératif économique ». Le document « At a glance » pour 2025-26 mentionne que l’inclusion est aussi un vecteur d’innovation, de performance et de compétitivité.
Conclusion : un premier pas… à consolider
Le budget fédéral 2025, dans sa dimension dédiée aux communautés 2SLGBTQIA+, constitue un pas significatif. Il pose des jalons, reconnaît l’urgence de soutenir des organisations souvent fragiles, et affirme que l’égalité n’est pas seulement une question de justice mais de stratégie nationale. Néanmoins, le véritable tournant dépendra du déploiement concret, de la durabilité des engagements et de la vraie participation des communautés concernées.
Pour les organismes et les individus 2SLGBTQIA+, l’heure est maintenant à l’action collective : veiller à ce que les annonces deviennent des réalités, à ce que les voix soient entendues dans la mise en œuvre, et à ce que ces fonds ne soient pas un feu de paille, mais un fondement durable pour l’égalité, la sécurité et l’innovation queer au Canada.

