Éprouvant l’irrésistible désir de prendre du recul par rapport à sa vie, York Mackenzie – un journaliste terre-neuvien – opte pour l’exotisme et porte donc ses pénates à Marrakech. En effet, quoi de plus différent du Canada que ce pays épicé exsudant une chaleur torride?
Son attitude intrigue toutefois: cet exil volontaire vise-t-il à mieux oublier ou, au contraire, à réfléchir plus intensément sur ce quotidien pour lequel il éprouve à la fois nostalgie et aversion?
La rencontre d’un jeune Marocain, Kebir, pour qui il éprouve immédiatement une fascination lancinante, amorcera en lui un processus de réflexion quant à son identité, ses désirs, ainsi que l’orientation qu’il entend donner à sa vie.
C’est toutefois deux Anglais qui lui donneront l’opportunité de partir à la découverte de cet étrange pays qu’est le Maroc (et qu’est lui-même). Tony, tout d’abord, un colonel à la retraite qui tente d’oublier le souvenir obsédant de ses amours de jeunesse pour un compagnon de classe. Amours qui, il va s’en dire, se conclurent à l’époque d’une façon des plus tragiques.
Officiellement, l’homme se dit présent en terre marocaine pour exercer sa passion: la « zobologie ». Et il faut avouer que celui-ci ne lésine pas au travail et semble toujours prêt à mettre la main à la pâte pour exercer cet art délicat bien que robuste (pour ceux qui l’ignoreraient, un zob est une queue en argot parisien).
«…c’est Tony qu’il voit avec deux ou trois garçons. Tony est debout à côté du plus grand, qui est nu, son pantalon vert baissé. Tony lui caresse calmement le membre en érection. Les jambes écartées, cramponné aussi solidement au sol qu’à la queue du garçon, Tony sourit de bonheur. […] Soudain, en proie à un spasme, la pointe rouge de la lance phallique lance dans l’air une décharge de pétales blancs. York gémit quand le sperme lui jaillit dans le regard.»
Son compagnon de voyage et acolyte, James, se dérobe constamment sous des dehors arrogants et caustiques mais laisse entrevoir une fragilité à fleur de peau. Très porté sur la bouteille, il s’avère particulièrement doué pour poser LA mauvaise question au plus mauvais moment. Ce qui, on s’en doute, génère moult conflits dans cette «joyeuse» équipée.
Pourtant, malgré cette hargne qui habite James, une grande tendresse envers Tony demeure palpable sans que l’on puisse réellement en déterminer la véritable nature. Ainsi s’amorce un long voyage en voiture, à travers le Maroc, sur les traces du Glaoui, le grand seigneur de la guerre qui vécut sous l’ancien protectorat français et dont James recherche activement les moindres signes pour apparemment compléter la rédaction d’une œuvre majeure portant sur cet homme illustre.
Sous ce prétexte, se cache pourtant, pour chacun des trois étrangers, une remise en question complète de son identité ainsi qu’une tentative maladroite, bien qu’opiniâtre, pour délaisser le carcan victorien étriqué qui les paralyse.
York, en bon journaliste, note ses réflexions dans un petit calepin qui ne le quitte jamais pour tenter de démêler toutes ces avenues qui se présentent ainsi à lui. Pourquoi le souvenir de John, son amant demeuré à Terre-Neuve, l’obsède-t-il toujours alors qu’il a délibérément choisi de s’en éloigner? Pourquoi Kebir éveille-t-il son souvenir? Et surtout, pourquoi Christine, son ex- épouse,
hante-t-elle ses réflexions et ses nuits?
Cette confrontation avec une culture à cent lieues de la sienne lui permettra-t-elle de cerner les arcanes de ce passé et de ce présent qui l’habitent mais dont il s’acharne à nier l’existence?
Scott Symons, un journaliste originaire de Toronto, révèle dans ce roman une grande maestria de la langue dans ce qui est annoncé comme le premier tome d’une trilogie. L’écriture est en effet d’une grande finesse et d’une poésie des plus sensuelle. L’auteur connaît manifestement sur le bout des doigts cette contrée et nous abreuve de descriptions criantes de vérité et de détails pittoresques quant aux coutumes locales ou aux paysages traversés.
Mais entendons-nous, il s’agit bien plus que d’un simple «guide de voyage romancé». Scott Symons offre en effet une description détaillée des angoisses propres à un homme qui se cherche et, pour ce faire, nous fait pénétrer avec une grande justesse dans les méandres des pensées de celui-ci.
D’esprit caustique, il ne se gêne également pas pour critiquer la société canadienne ainsi que la culture gaie. Par exemple, il note que Kebir semble être «le contraire du gay occidental qui promet le paradis à travers une passe rapide. Ce genre d’orgasme ne représente qu’un temps d’arrêt dans l’enfer qu’est l’occident (il est, en réalité, le point culminant de cet enfer!).»
D’une très belle facture, l’ouvrage constitue un must et on ne peut attendre qu’avec impatience la publication des autres tomes qui concluront ce récit.
Marrakech / Scott Symons. Montréal: Québec/Amérique, 1997. 339p.