Jeudi, 5 décembre 2024
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    Souvenirs d’un pionnier de Québec, de 1960 à 1980

    Après la disparition, ces dernières années, du Pub du Carré, du Vénus, du Ballon Rouge, du bar La Fausse Alarme (devenu le Paradisio, disparu lui aussi) et, plus récemment, du Mâle et du Pub La Malette, plusieurs se sont remémoré avec nostalgie l’époque des années 60 à 80 où, semble-t-il, les tavernes et bars foisonnaient dans la Ville de Québec. Or, qu’en était-il réellement? Pour le savoir, nous avons rencontré un des artisans de cette époque, Yvon Pépin, qui nous a tracé un portrait, documents à l’appui, de ce qui faisait les nuits chaudes de la communauté. Ils sont quelques-uns, en effet, à avoir marqué l’évolution de la communauté gaie de ce temps-là, ce qui a permis à celle-ci de se développer et d’être ce qu’elle est aujourd’hui. Cela ne s’est pas accompli sans embûches. Il a fallu que des individus tenaces osent et réussissent à franchir les obstacles. Bravo à ces aventuriers tenaces et téméraires, comme il en existe encore, qui ont foncé, sans s’arrêter en chemin!

    En 1960, Yvon Pépin est propriétaire de la Taverne Sélect au Carré d’Youville, qu’il conservera jusqu’en 1965, alors qu’il lancera le Kajama, un bar-lounge spectacles, situé sur la Côte d’Abraham, où se produiront des vedettes populaires comme Michel Louvain, Alys Roby, Julie Arel et Diane Juster.

    Le Kajama sera exproprié en 1969 pour permettre la construction de l’autoroute. La même année, Yvon Pépin ouvre l’Alouette, au 1169, Saint-Jean, un mini-complexe de trois étages (sur le site du premier collège au Canada construit en 1632) qui devient rapidement très populaire. Au premier plancher, on retrouvait un restaurant; au second, un salon-bar avec juke-box et danse (premier permis de danse pour gais à Québec!); et, au troisième, une discothèque. Il le conservera dix ans.

    Rappelons qu’à l’époque, les bars fermaient à minuit le dimanche, à 2h du lundi au vendredi et à 3h le samedi.

    En 1971, il procède à l’ouverture de l’Intendant, une vaste discothèque avec gogo boys (Place Royale, près de l’église Notre-Dame-des-Victoires). Les 5 @ 7 du dimanche après-midi étaient très courus pour ceux qui s’en souviennent. En 1973, l’Intendant devient la Gorgendière et conserve sa vocation de discothèque jusqu’en 1981. On y ajoute des systèmes de son et lumières avant-gardistes pour l’époque ainsi que la production d’activités spéciales, telles que les bals en blanc.

    En 1973, à la suite des commentaires de clients qui voyageaient un peu partout et qui lui parlaient des saunas fort populaires aux États-Unis et en Europe, et après avoir lui-même constaté de quoi il en retournait, Pépin se risque dans une aventure qui se poursuit encore vingt-neuf ans plus tard en ouvrant le Sauna Hippocampe dans une ancienne église protestante, où logeait alors un studio de culture physique, après de longues tractations de six mois avec la Ville de Québec, plutôt réticente à l’installation de ce genre de commerce.

    C’est le maire Lamontagne qui, la veille de l’inauguration, permettra qu’on accorde le permis. Ouvert 24 heures par jour et avec ses 25 chambres, il devient rapidement un endroit de prédilection pour la clientèle gaie.

    Rappelons qu’à l’époque, il en coûtait de 2,50$ à 5,00$ par jour pour y séjourner! L’Hippocampe servira d’ailleurs de lieu de tournage pour le film Le Confessionnal de Robert Lepage en 1994. Une quarantaine de personnes travaillaient alors dans ses trois établissements: l’Intendant/ Gorgendière, l’Alouette et le Sauna Hippocampe.

    Depuis ce temps, l’Hippocampe (au 31, McMahon) a grandi et évolué. Une expansion en 1976 porte le total des chambres à près de cinquante et une deuxième, en 1984, permet d’ajouter plusieurs chambres doubles. Graduellement, au fil des ans, on procède à des travaux de rénovation à l’intérieur, on ajoute des services et on porte la capacité d’accueil à 75 chambres sur cinq étages. Depuis 1999, le sauna est détenteur d’un permis d’hôtellerie et offre maintenant une vaste gamme de services qui permet à sa clientèle fidèle et assidue de s’y rendre toujours en aussi grand nombre.

    À l’époque, la Ville de Québec comptait une quantité surprenante d’établissements attirant la clientèle gaie. Mais y avait-il vraiment dans ces années-là, à Québec, davantage d’endroits de rassemblement pour les gais qu’actuellement? Doit-on accorder foi aux nombreux commentaires de personnes qui ont vécu cette période et qui nous disent, parfois avec émotion, que « ce n’est plus comme avant »?

    Parlons d’abord des saunas. Lors de l’ouverture de l’Hippocampe, en 1973, il existait déjà deux établissements du genre fréquentés par la clientèle gaie. Le premier, le Kak-Tus, localisé au 3e étage du 873, Saint-Jean (aujourd’hui l’Empire Lyon) offrait à ce moment-là plus de 30 chambres, un sauna sec, un casse-croûte et quelques autres services. Son existence fut toutefois assez brève. Le deuxième, l’Hôtel-Sauna Paul Baillargeon, situé dans le quartier Saint-Sauveur, au 638, Saint-Vallier Ouest, était, le soir plus particulièrement et assez tard les mercredis et vendredis, le lieu de rencontre des gais, même si l’établissement était destiné à une clientèle mixte.

    Les brasseries ou tavernes étaient omniprésentes. Plusieurs d’entre elles s’adressaient à une clientèle mixte, ce qui n’empêchait pas de nombreux gais de les fréquenter, comme la Brasserie Houblonnière (1110, Saint-Jean), la Taverne Quartier Latin (1190, Saint-Jean), la Brasserie Foyer (1044, Saint-Jean), la Taverne Coloniale (1087, rue Saint-Jean), la Taverne Chien d’Or (8, du Fort), la Brasserie Chez Baptiste (815, Saint-Augustin, devenue le Bar Le Drague) et le sous-sol de l’hôtel Clarendon (57, Sainte-Anne). Chacune avait son type de clients, de divers âges et d’intérêts différents. Mais les endroits de prédilection pour les gais demeuraient la Taverne Sélect (925, Côte d’Abraham), la Taverne Unek (ex-Taverne du Vieux-Québec, 896, rue du Roi), qui s’affichait ouvertement gaie, et la Taverne La Malette, au 698, d’Aiguillon. Paraît-il qu’à certains endroits, la mari et le hash circulaient assez ouvertement pour que les effluves soient remarquées dès l’entrée… et les toilettes étaient fort populaires…

    Trois bars avaient pignon sur rue : l’Alouette (1169, Saint-Jean), avec ses trois étages, le Club l’Intendant (plus tard la Gorgendière, au 13, Place Royale) et le Ballon Rouge (811, Saint-Jean), une discothèque assez souvent fréquentée par une clientèle mixte mais majoritairement gaie. Il faut ajouter à cette liste la Cave au vin, un piano-bar situé au sous-sol du Restaurant Dante (17, Saint-Stanislas) qui accueillait, sans contrainte, plusieurs gais.

    On remarquera que la vie gaie de l’époque se déroulait en grande partie sur la rue Saint-Jean, à l’intérieur des murs ou à proximité, ce qui pouvait aider à créer l’impression d’un genre de « ghetto » ou plus justement « de village » où les gais de l’époque étaient plus solidaires et conviviaux…

    À ce propos, Yvon Pépin estime pour sa part, qu’effectivement, en raison peut-être du fait que la majorité des gais étaient concentrés dans les quartiers environnants, cela pouvait aider à donner l’image d’un groupe compact et d’une communauté tissée serrée. La population gaie de ces années-là lui paraissait plus « authentique », plus solidaire et semblait s’amuser davantage. C’est son impression, qu’il s’empresse de nuancer en constatant qu’aujourd’hui, le nombre de gais vivant ouvertement leur homosexualité ayant crû de façon importante, ces derniers sont éparpillés dans tous les coins de la ville et que les habitudes, les comportements, les intérêts, les modes et le rythme de vie de ceux-ci ont considérablement changé depuis trente ans.

    Par contre, il est à même de souligner, comme beaucoup de gens qui ont traversé les trois dernières décennies, que le nombre de commerces gais spécialisés (vêtements, objets d’art, accessoires, décoration, vidéos, services professionnels, restaurants ,etc.), ont augmenté de façon radicale depuis une dizaine d’années. Mais à travers ce voyage dans le temps, la question demeure: les souvenirs embellissent-ils le passé?

    par Jean-Guy Côté

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