Au moment où, aux États-Unis, les groupes gais et sida sont à couteaux tirés avec l’administration Bush au sujet de campagnes de prévention, le groupe français Aides, lui, se lançait dans une campagne choc qui a fait des remous dans le milieu sida en prônant la réduction des risques plutôt que le simple port du condom. Alors qu’un peu partout en Europe et en Amérique du Nord, on voit une augmentation du taux d’infection au VIH/sida et aux maladies transmises sexuellement (MTS), cette promotion d’Aides-Marseille a suscité une polémique. Ici, par contre, Séro Zéro ne changera pas de cap et maintiendra ses actions de prévention basées sur le condom. Chez nos voisins du Sud, des chiffres alarmants, sortis au moment de la Conférence internationale du sida qui s’est déroulée en juillet dernier, à Barcelone, prouvent que plus de la moitié des jeunes gais Noirs et Latinos-Américains ont des relations sexuelles sans condoms tout simplement parce qu’ils ne se croient pas à risque. Cette étude, menée auprès de 6 000 jeunes gais vivant à Baltimore, Dallas, Los Angeles, Miami, New York et Seattle, entre 1994 et 2000, démontre que chez les jeunes gais séropositifs, 91 % d’Afro-Américains, 70 % de Latinos et 60 % de Blancs ignoraient qu’ils avaient été infectés.
Face à de telles révélations des Centers for Disease Control and Prevention (CDC), les organisations gaies et sida américaines montaient aux barricades et réclamaient du gouvernement des subventions pour de vastes campagnes de prévention. Mais elles se heurtent à certains éléments ultra-conservateurs de la Maison Blanche qui ne voudraient pas de campagnes faisant la promotion d’autre chose que l’abstinence!
Une situation moins dramatique?
Au Québec, heureusement, on n’en est pas encore là. Mais si le taux d’infection n’est pas en hausse comme en Ontario, on observe tout de même une augmentation des pratiques sexuelles à risques. Les dernières données de la Cohorte Oméga (2000 hommes gais) indiquent que, en 1996, les gens ayant du sexe anal sans condom avec des partenaires (toutes catégories confondues) représentaient 34,1 %; en 2002, c’est 45 %. Le sexe anal à risque, avec des partenaires occasionnels, n’était pratiqué que par 8 % des répondants en 1996; en 2002, il est pratiqué par 12,2 % des participants. “Ici, c’est vraiment significatif. Cela a l’air de rien, que ce soit une augmentation de 4 points, mais c’est une hausse importante, qui nous indique qu’il se passe quelque chose”, commente Johanne Otis, chercheure à l’UQAM. De même, 15,7 % (en 1996) des participants à la Cohorte avaient des relations anales à risque avec des partenaires qui incluant des séropositifs (sauf partenaires réguliers); en 2002, cette statistique grimpe à 20,1 %.
Chez les jeunes de la Cohorte, il n’y a pas de tendance évidente d’une montée de l’infection, mais les comportements à risque sont de 2 à 3 % plus élevés chez les jeunes de moins de 25 ans que dans les autres catégories.
Il y a quelques semaines, le Dr Réjean Thomas sonnait la fin de la récréation en indiquant une forte hausse des cas de syphilis. Il y a eu 24 cas en moins de 18 mois, alors qu’il n’y en avait presque plus depuis les années 1990. “Mais cela peut être la pointe de l’iceberg, de dire Robert Rousseau, le directeur général de Séro Zéro. C’est un indice qui laisse croire que c’est quelque chose qui peut se développer de façon importante si on n’entreprend pas des actions sous peu.” Dans certains pays, la hausse du taux d’infection au VIH a été précédée par une flambée de cas de MTS chez les gais.
Une controverse
Par une multitude d’efforts, Séro Zéro poursuit sa mission de prévention auprès de la communauté gaie. Mais, pour l’organisme, il n’est pas question de suivre les traces de son vis-à-vis français. Tel que le rapportaient les magazines Têtu de juillet-août et d’octobre (nos 69 et 71), la section marseillaise de Aides entreprenait une série d’actions basées non pas sur l’utilisation du condom, mais sur l’approche dite de “réduction des risques”. Aides distribuait des flyers sur lesquels on pouvait lire: “Sans capote, mieux vaut se retirer sans éjaculer”; ou encore : “Sans capote, il est encore plus risqué de se faire baiser (enculer)”. De tels messages ont entraîné la réprobation publique par d’autres organisations comme Act-Up.
“Cela signifie une catégorisation des gens, c’est comme si on disait que, si on est séronégatif, on devrait être top, tandis que les séropositifs devraient assumer un rôle de bottom! Cela n’a pas de bon sens. C’est même dangereux de s’embarquer sur ce terrain”, opine Claude Cyr, directeur adjoint à Séro Zéro, qui revient d’un colloque tenu en France sur les approches en prévention. “[…] On sait que les gens sont fatigués d’entendre parler de condom, on le comprend. Bien sûr, on se questionne sur la stratégie à adopter, mais notre mission est de ramener la discussion sur le VIH et la capote”, rajoute M. Cyr.
“Je crois que tout message adressé au grand public doit être clair : tu mets une capote, et c’est tout! Cela s’arrête là. Quand on est gelé sur l’ecstasy ou qu’on est saoûl, on ne sait pas ce qui va se passer. On n’est pas en état de pouvoir gérer les risques. Le plus sûr, c’est encore de porter un condom”, dit Mme Otis.
Séro Zéro va donc maintenir la direction par tout un chapelet de projets. D’abord, l’organisme va poursuivre ses campagnes de marketing social entreprises il y a quelques années. De nouvelles affiches et brochures orientées vers la clientèle des bars et des saunas seront prochainement élaborées. Les affiches seront dévoilées en février et les brochures, au printemps. On veut remettre l’accent sur la santé sexuelle des gais. On collaborera aussi avec la Direction de la Santé publique pour un dépliant sur le dépistage.
«On observe une baisse du dépistage en ce moment. Donc, avec la Santé publique, on participera à un dépliant qui encouragera les gens à aller passer le test du VIH, parce que c’est important!»