Samedi, 19 avril 2025
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    L’aventure du bar Max — Entrevue avec Paul Haince et Jacques Letendre

    Alors que le bar Aux Deux R, la Boîte en Haut, les Gémeaux, les tavernes et Priape s’étaient déjà installés dans le Centre-Sud, l’ouverture du bar Max venait confirmer la renaissance de ce coin de la ville avec une présence de plus en plus forte de la communauté gaie. Paul Haince et son partenaire Jacques Letendre se sont embarqués dans l’aventure du Max en juin 1982, club qu’ils dirigeront jusqu’en 1990. C’était l’époque de So Many Men, So Little Time, des partys d’Alfonso Sabelli et des nuits endiablées qui marquaient le déclin des bars gais de l’Ouest au profit de l’Est. En cours de route, le ciel clair s’obscurcira cependant dramatiquement avec le sida… Paul Haince, aujourd’hui directeur général de l’Association des commerçants et professionnels du Village (ACPV), et Jacques Letendre évoluaient dans le milieu des magazines dans les années 70 et 80. En plus de Québec Rock, ils avaient fondé le magazine gai Attitude (en 1978) et avaient collaboré à d’autres revues telles que Échos Vedettes, entre autres. Grâce à Attitude, ils constataient “qu’il se passait quelque chose dans l’Est, on voyait qu’il y avait de plus en plus de commerces qui s’y installaient”, se remémore M. Letendre qui est, encore aujourd’hui, chroniqueur musical.

    Le grand départ
    En tant qu’éditeurs et rédacteurs d’Attitude, MM. Haince et Letendre sont amenés à connaître la plupart des propriétaires et gérants des établissements gais de l’Est. “On voyait qu’ils avaient du succès, que leurs affaires marchaient bien. Ils nous disaient qu’ils avaient pas mal de clients”, indique Paul Haince. “Alors on s’est mis à réfléchir et on s’est dit : eh bien! pourquoi ne pas ouvrir un club où l’on ferait jouer les hits? ajoute Jacques Letendre. Comme je travaillais à CKOI aussi, j’étais au courant des dernières nouveautés. Le dance était très populaire et je savais quelle toune allait pogner. Donc, on s’est dit que peut-être c’était le bon temps pour nous d’ouvrir un bar.”

    Mais c’était encore une chose risquée pour l’heure, puisque les bars de l’Ouest comme le Buds, le Limelight, le Jardin et le Baccara attiraient encore les gais vers le centre-ville. Cependant, Haince et Letendre prennent le risque. Letendre commence à regarder quels sont les locaux vacants, et il y en avait beaucoup alors sur Sainte-Catherine. Entre les rues Wolfe et Montcalm, au 2e étage (l’actuel sauna Bronx), le club Les Gémeaux, sorte de copie conforme de la Boîte en Haut, s’était niché, mais il ne semblait pas vraiment décoller. En observant les allées et venues des clients du Gémeaux, Jacques Letendre aperçoit une pancarte dans la vitrine du local au rez-de-chaussée (l’actuel sauna Millenium). Letendre et Haince le louent.

    À une époque où les bars, surtout de l’Ouest, étaient chromés, chics avec des décors élaborés, ils décident plutôt d’ouvrir un club sans fla-flas, avec des murs en béton, des comptoirs de bars simples, une piste de danse vers le fond, tout en installant un système de son et de lumières à la hauteur de la musique dance. Ils se divisent alors les tâches: Paul s’occupe de la gestion, tandis que Jacques, lui, se mettra aux tables tournantes. Le 23 juin 1982, ils déverrouillent les portes et se croisent les doigts. Ce soir-là, l’endroit est plein à craquer, si bien que la bière vient presque à manquer!

    Mais le succès n’est pas instantané et le premier été fut difficile. “On se demandait si on n’avait pas fait fausse route. On commençait à avoir un doute, bien qu’on savait que la clientèle résidait dans l’Est, qu’elle était là”, se rappelle M. Haince. Il y avait bien sûr, une explication à ce phénomène: les jeunes étaient attirés par le Garage (sur la rue Mayor), le nouveau bar in qui venait d’ouvrir. Mais il y avait aussi “le Mont-Royal, l’été, les hommes y allaient pour cruiser, c’était bien populaire!” de dire M. Letendre avec humour.

    Ce n’est que vers la fin d’août que le bar se remplit. À la Fête du travail, les propriétaires respirent mieux, les clients affluent.

    Un Village naissant
    Vers la fin de 1982 début 1983, le bar est plein presque sept soirs par semaine. Entre temps, pas loin de là, le KOX aménage ses pénates sur Montcalm. Même si le KOX vise la clientèle cuir et jeans, il n’empêche que les gens se promènent entre les deux clubs. C’est l’époque aussi des tavernes, La Bellevue, Le Normandie, etc. Il se crée un achalandage dans le secteur. Après les tavernes, les gens font la tournée des bars: le 1681 (aujourd’hui l’Adonis), le Deux R, le Max, le KOX, la Boîte en Haut, etc.

    “Les gens sortaient dans l’Ouest, mais s’en allaient tôt à cause du métro, parce qu’ils habitaient dans l’Est. Avec les bars dans le secteur, ils restent plus longtemps dans les clubs et peuvent s’en retourner chez eux à pieds ou en taxi sans qu’il leur en coûte trop cher. Voyant qu’il y avait beaucoup de monde maintenant, le resto Crystal (au coin de Wolfe), qui fermait à 20h, a rallongé ses heures d’ouverture”, explique l’actuel responsable de l’ACPV.

    Une douce folie
    En 1984, Jacques Letendre, tout en gardant la mainmise sur la musique, engage le DJ André Morin, qui restera au Max jusqu’à la fermeture. Les Weather Girls et leur toune So Many Men, So Little Time font la pluie et le beau temps au Max de même que Gloria, de Laura Brannigan qui fera d’ailleurs une apparition surprise au Max, et elle ne sera pas la seule. “Après leurs spectacles, plusieurs chanteuses québécoises ou américaines sont venues faire une visite au Max. Elles aimaient ça, me suis-je fais dire souvent, et la clientèle adorait. Cela créait une certaine curiosité, on savait que des artistes allaient au Max”, commente M. Letendre.

    La musique dance y fait des ravages, aidée en cela par un certain concepteur du nom d’Alfonso Sabelli, qui créera des partys thématiques (cuir, athlétique, etc.), et la clientèle en redemandera. C’est la période des nuits folles du Max. “Nous avons été les premiers à faire des soirées ou bals en cuir comme le fait aujourd’hui le BBCM, et d’autres partys aussi. On amenait quelque chose de nouveau”, souligne Paul Haince. Le Max vit donc de belles années jusqu’à ce que frappe le sida.

    “Jusqu’à 1986, c’était agréable et excitant, puis le sida est arrivé comme un gros nuage sur le bonheur qui existait dans le Village.” Une ère venait de se terminer pour laisser place à une autre, foudroyante. Leurs clients tombaient malades, d’autres mouraient. Un soir, un de leurs amis s’est même effondré sur la piste de danse…

    Dès lors, pour eux, rien ne sera plus pareil. Affectés par le drame du sida, ils continuent tant bien que mal, même si le club tient le coup. En 1990, Haince et Letendre vendent le Max. “À la fin, on n’ouvrait plus le bar pour faire de l’argent, on l’ouvrait pour s’amuser, avoir du fun”, rajoute M. Letendre.

    Le bar va survivre encore quelques années, mais les nombreux nouveaux bars dans le Village, dont le Sky, lui font la vie dure, et le Max ferme définitivement ses portes en 1996. Avec cette fermeture, c’est tout un pan de l’histoire du Village qui s’évanouit, tout en laissant à ce quartier un héritage de développement qui se poursuit encore maintenant et bien des souvenirs…

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