En novembre dernier, suite à une série de suicides de jeunes hommes gais, le joueur de soccer professionnel et ancien «joueur le plus utile» de l’Impact de Montréal, David Testo, prend une grande décision et fait ce que peu d’athlètes, professionnels ou amateurs, ont fait avant lui : parler publiquement de son homosexualité. Cette sortie a plongé l’ancien joueur de l’Impact dans un tourbillon médiatique aux proportions gigantesques. Son geste a été salué par les médias du monde entier, dont le réputé magazine américain Sports Illustrated. Rencontre à cœur ouvert, au bureau de Fugues, avec un athlète généreux et lucide, qui n’a pas peur de parler de vécu et d’émotions, pour le bien de tous.
Lorsque tu as fait ta sortie du placard, tu as dit que tu étais gai et que tu n’avais pas choisi de l’être. pourquoi le faire à ce moment-là?
Cela avait du sens pour moi que je le fasse. J’ai beaucoup réfléchi sur moi-même dans les dernières années et je suis arrivé à un point dans ma vie, dans ma carrière, où je suis heureux et suffisemment confortable avec moi-même pour le faire. J’ai le soutien de ma famille, de mes amis, j’ai une belle vie sociale, et je me suis dit «pourquoi ne pas partager cela avec d’autres». Je suis dans le soccer professionnel depuis 10 ans et je n’ai jamais rencontré un autre athlète ouvertement gai dans mon sport. Le milieu du soccer nord-américain est un monde tricoté serré et je suis sûr qu’il y a d’autres joueurs gais, mais je n’en ai jamais rencontré. Si je peux encourager d’autres, par l’exemple, tant mieux. Mais aussi il y a tellement de choses qui se passent dans le monde à l’extérieur du soccer. Depuis quelques mois, il y a eu plusieurs suicides de jeunes, comme celui de cet adolescent d’Ottawa, Jamie Hubbley, qui m’ont ému et fait réfléchir,
Comme d’autres jeunes, Hubbley était victime d’intimidation…
Oui, malheureusement. Je suis quelqu’un qui se lève pour défendre les autres. Et comme gai, je me suis dit que je pouvais peut-être faire quelque chose pour aider… comme parler publiquement de ma réalité : comment on peut-être un sportif professionnel tout en étant gai. Il ne devrait plus y avoir de pertes de vie, de suicides, en raison de l’intimidation. Il y a beaucoup de travail à faire en Amérique du Nord à ce sujet. Et si je peux apporter ma contribution au changement des mentalités, tant mieux. Je veux m’impliquer plus, c’est quelque chose qui me tient à cœur. J’ai été approché par différentes organisations, Human Rights Campaign [NDLR :le plus grand lobby LGBT aux États-Unis] et par G Force, une association financée par Brian Burke, des Maple Leafs de Toronto, afin de voir comment partir un volet soccer à cette association d’athlètes universitaires gais.
Est-ce que tu aurais fait ta sortie de la même manière et à ce moment-ci, Si tu restais aux États-Unis ?
Probablement que non. Pas parce que je ne recevrais pas le soutien de mes amis et de ma famille, mais là-bas, la réalité est différente. On ne se rend pas compte combien nous vivons, ici, dans une société ouverte. Dans bien des endroits aux États-Unis — et pas que dans les régions rurales —, la réalité est qu’il faut souvent réprimer ce que l’on est. Si je ne vivais pas ici, je ne suis pas certain que j’aurai cheminé autant, que j’aurais grandi intérieurement au point de m’accepter complètement et devenir ce que je suis aujourd’hui. Ici, il y a une plus grande acceptation qui permet à un individu d’évoluer intérieurement et de se développer.
Clairement, il a été donc plus facile pour toi de faire ta sortie ici…
Montréal, et le Canada en général — puisque j’ai été quelques années à Vancouver aussi —, sont des endroits plus ouverts, qui acceptent, plus facilement qu’ailleurs, l’homosexualité. Montréal est définitivement une ville ouverte, accueillante envers les gais. Avant que je fasse ma sortie officielle publique, mes coéquipiers et la direction du club savaient, depuis un peu plus de deux ans déjà que j’étais gai. Durant cette période, j’ai même remporté le prix MVP [most valuable player] remis chaque année au joueur le plus apprécié, ce qui est un grand honneur. L’équipe, l’organisation, tous étaient très ouverts et il n’y avait pas de problème au fait que je sois gai. Pour vous illustrer, je peux vous raconter une anecdote très drôle: lorsque j’ai rompu avec mon ex, tout le monde dans l’organisation voulait que je sois heureux, que je rencontre quelqu’un d’autre. Plusieurs ont essayé de m’organiser des «dates»… Ils ne l’auraient même pas fait avec bien des gars hétéros et ils l’ont fait pour moi! Cela dit un peu l’ambiance qui existe à l’Impact.
Au moment de faire ta sortie, ta famille le savait-elle ?
Ma mère sait depuis quelques années que je suis gai. Les gens de ma famille, dans mon entourage immédiat, le savent également, et ce, bien que je viens d’une famille religieuse de la Caroline du Nord, en plein cœur du «Bible Belt», où beaucoup de gens ne connaissent pas grand-chose d’autre que la Caroline du Nord. Cela dit, toute ma famille le sait et m’accepte, même s’il s’agit de gens religieux, issus d’un environnement conservateur. Sans doute plusieurs auraient préféré que cela reste entre nous, que cela ne devienne pas public. Mais en fin de compte, tout ce qu’ils recherchent, c’est que je sois heureux dans la vie, que je ne sois pas victime de quelqu’un qui va m’attaquer ou de quelque chose du genre ou que je sois rejeté par mon équipe.
Quand as-tu su que tu étais gai? en Caroline du Nord, cela ne devait pas être évident de grandir en prenant conscience de ça?
J’ai su à un très jeune âge que j’étais gai. Mais pendant longtemps, j’ai vécu dans le déni total. Je suis sorti avec une cheerleader, j’ai traversé tout le rituel hétéro, jusqu’au «prom» (le bal de finissants). Longtemps, j’ai espéré que ça s’en aille, car je ne voulais pas vivre cela. Mais j’ai une personnalité très forte et j’avais des sentiments intérieurs tout aussi forts, qui ont fini par ressortir un jour. J’ai longtemps nié ma sexualité. Il faut dire qu’adolescent, je ne connaissais personne qui soit gai. Je n’avais aucun modèle dans mon entourage, je ne connaissais pas de bars gais, rien…
IL y a eu du déni Même lorsque tu as eu ton premier amant ?
Oui. Je voulais que tout reste caché. Lorsqu’on allait au cinéma, il fallait que nous rentrions de manière séparée et sortir chacun de notre côté. Le moins que je puisse dire, c’est qu’il y a eu beaucoup de tiraillements intérieurs. Mon premier partenaire sérieux, Shane [Landrum] était dans une émission de téléréalité sur MTV, Road Rules, où il venait de sortir du placard. Il m’a beaucoup aidé, mais qand je repense à cette époque, je me dis que cela a dû être très difficile pour lui. Je me rends compte, aujourd’hui, tout le chemin que j’ai parcouru dans l’acceptation de ma propre homosexualité.
Est-ce que tu conseillerais à d’autres sportifs de faire leur sortie du placard ?
Depuis ma sortie publique, plusieurs athlètes homosexuels m’ont contacté en me demandant ce qu’ils devraient faire ? Mais je ne leur dit pas de faire ou non leur sortie. Je crois qu’ils ne devraient le faire que lorsqu’ils sont prêts, lorsqu’ils ont un groupe d’amis qui pourra les soutenir en cas de besoin. Sinon, ce sera comme un tsunami, ils vont être emporté par la vague immense et vont trouver la pression médiatique très forte, peut-être trop… Mon coming out, je l’ai fait en ayant réfléchi, en ayant tout un groupe d’amis autour de moi qui m’aime, qui me soutient, des gens sur qui je pouvais compter si les choses tournaient mal… Si les sportifs, qui se questionnent à savoir s’ils doivent le faire ou non, n’ont pas un tel soutien, ce sera très difficile.
Tu devais avoir une grande confiance en la journalis-te de Radio Canada, Marie Malchelosse, pour lui dire que tu étais prêt à parler publiquement, avec elle, de ton homosexualité ?
Oui, elle a «toujours» suivi l’équipe de l’Impact et je la connais depuis plusieurs années. On discutait souvent ensemble, mais jamais de cet aspect de ma vie. Nous avions une belle relation profesionnelle. C’est quelqu’un de sensible et je savais que je pouvais avoir confiance en elle. D’autres médias auraient probablement voulu faire cette entrevue avec moi, mais je ne me sentais pas nécessairement prêt et en confiance. Je suis conscient que bien des médias cherchent avant tout la controverse et je n’en voulais pas. L’entrevue, comme telle, a été très émotive. J’ai pleuré souvent. La journaliste aussi pleurait beaucoup, tout comme le caméraman. Mais j’étais prêt, je voulais le faire de manière à ce qu’il y ait des suites et des retombées positives.
Depuis que tu as fait ta sortie, la réponse a été assez positive, n’est-ce pas ?
Cela a été extrêmement positif. C’est incroyable le nombre d’encouragements et de témoignages que j’ai reçus. Cela me touche beaucoup et me prouve que c’est possible de le faire…
Le contexte d’aujourd’hui est plus favorable à la sortie du placard de joueurs professionnels, en général, non ?
Si c’est dans un sport individuel — comme des joueurs de tennis, des nageurs, etc. —, je crois que c’est plus facile, parce que dans les faits, on ne dérange pas beaucoup de gens autour de soi. Cela est beaucoup moins évident lorsque vous évoluez dans un sport d’équipe où il y a toute une organisation, mais aussi — et peut-être encore plus — parce que vous dépendez de vos coéquipiers. Vous avez besoin d’eux, ce sont des partenaires, dont on ne sait pas quelle sera leur réaction… Est-ce qu’ils vont vous appuyer sur le terrain ou est-ce qu’ils vont vous laisser à vous même, vous abandonner? On ne sait pas non plus quelle sera l’ambiance dans le vestiaire. Vous savez, les vestiaires d’équipes sportives professionnelles de haut niveau sont menés par la testostérone.?C’est un univers très macho. On parle de gym, on exhibe sa musculature, on parle constamment de femmes, des prouesses sexuelles des gars, etc. Tout cela fait partie de la cohésion de l’équipe, de l’esprit de corps, de la compétitivité et de la combativité des joueurs. Quelqu’un qui est gai dans une équipe sera perçu par plusieurs comme faible et, l’athlète lui-même, même s’il est gai, ne veut pas être vu comme faible et être diminué aux yeux de ses coéquipiers. Donc, un certain malaise pourrait s’installer, suite à une sortir du placard, pour un athlète qui pratique un sport d’équipe. Il est important de tester le terrain auprès de ceux en qui on a le plus confiance avant d’aller de l’avant…
Tu viens d’être élu au Conseil des athlètes de la Fédération américaine de soccer. que comptes-tu proposer comme changements ?
La première rencontre est en mars à Miami et j’ai très hâte de pouvoir présenter mes idées et de les faire accepter. J’ai une expérience professionnelle de dix ans dans ce sport, je crois que je peux apporter ma contribution à cette association. Je veux aider le monde du soccer à se développer en Amérique du Nord. Je veux aussi me battre contre l’homophobie dans le sport et pour les droits des joueurs qui luttent intérieurement avec leur orientation sexuelle, afin de créer un espace sécuritaire, un espace pour s’épanouir. Parce que — surtout lorsqu’on est jeune dans un sport de compétition de haut niveau — on est bouillonnant à l’intérieur. On arrive là et on est sollicité de toutes parts et l’on peut être sexuellement confus. Comme tous les êtres humains, les jeunes athlètes devraient être libres d’explorer leur sexualité sans préjugés.
En octobre dernier l’Impact a décidé de ne pas t’inviter à poursuivre en MLS. Mais TU pourrais jouer pour d’autres équipes… jusqu’à quel âge peut-on jouer au soccer professionnellement ?
Eh bien, normalement, on peut jouer jusqu’au début de la trentaine. Certains joueurs sont arrivés à étirer leur carrière sur le terrain jusqu’à 33 ou même 35 ans. Je vais avoir 31 sous peu, donc j’aurais pu continuer à jouer, oui, quelques années. Si j’étais hétéro, c’est certain que je jouerais encore parce que c’est une belle vie, on s’entraîne, on joue, on voyage, on va dans toutes ces villes différentes, etc. Mais, pour dire vrai, cela m’a vraiment vidé d’avoir à constamment jongler intérieurement avec mon homosexualité. Tous les jours, à être soucieux de ce que je disais, à qui je le disais, avec qui je marchais, avec qui je parlais. C’est invivable pour un être humain. Rester dans le placard, cela consumait beaucoup de mes énergies. Ma sortie du placard a certainement diminué mes chances d’être repêché et d’aller jouer quelque part, mais je ne ferme pas la porte, évidemment…
Donc tu crois que ta sortie a nui à ta fin de carrière ?
Oui, je n’ai pas reçu beaucoup d’offres pour jouer professionnellement depuis ma sortie. Le téléphone n’a pas beaucoup sonné… Et toutes les équipes, qui m’avaient fait des offres avant que je fasse ma sortie, sont restées silencieuses depuis. Cela dit, je ne regrette pas de l’avoir fait.
Donc tu prends ta retraite en quelque sorte… est-ce que tu prévois rester à Montréal ?
Oui, dans la mesure du possible, j’aimerais ne pas quitter cette belle ville où je me sens chez moi. Avec mes nouvelles fonctions et diverses conférences que je vais faire au cours des prochains mois, je serai appelé à voyager souvent, mais je prévois rester basé ici. J’aime Montréal et mon cœur est ici!
Quelle est, d’après toi, le meilleur moyen de lutter contre l’homophobie ?
À travers l’adoption directe de lois par les gouvernements et par des changements strictes de règles de la part d’organisations comme celle où je viens d’être élu. Car, il ne s’agit pas seulement de changer les mentalités des jeunes, parce que ceux-ci ont déjà évolué, ils ont une meilleure compréhension de cela qu’on ne le croit. Mais on doit changer les mentalités chez les gens plus vieux, la génération de leurs parents, qui sont très souvent dans des positions de pouvoir. Ce sont eux qui doivent changer. Mon rêve serait qu’un jour l’homosexualité d’un joueur ne soit plus une nouvelle, qu’elle ne fasse plus sensation dans les médias. Évidemment, ce n’est encore qu’un rêve, hélas.
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