Peter Sergakis, on le sait, est le propriétaire du Complexe Sky, il est aussi propriétaire de la Station des Sports et de l’édifice qui l’abrite. Le départ de la SAQ, qui a intégré la Place Dupuis juste en face l’année dernière, a permis l’agrandissement de ce bar sportif qui plaît beaucoup aux jeunes avec ses dizaines d’écrans géants pour suivre les matchs des diverses équipes. S’il est heureux que son établissement s’en tire bien malgré l’actuelle morosité économique, il ne lance pas moins un appel afin de changer les choses dans le secteur et de permettre de nouveaux investissements. Les locaux vacants, la piétonisation trop courte de la rue Sainte-Catherine Est, l’aide aux itinérants, des mesures plus musclées pour arrêter la vente de drogues sur la place publique, Peter Sergakis ratisse large dans cette entrevue… Visions et opinions d’un homme qui croit encore au Village pourvu qu’on prenne, selon lui, les bonnes décisions…
Le mois dernier, nous parlions dans ce magazine de deux propriétaires qui ont décidé de rénover et d’offrir de nouvelles possibilités à la clientèle du quartier gai, soit Pascal Lefebvre de la taverne Le Normandie et Jocelyn Roy qui a récemment ouvert le restaurant Le Plessis dans l’ancien local du Planète. Jocelyn Roy est aussi le propriétaire de l’Aigle Noir tandis que Pascal Lefebvre est l’ex-copropriétaire du club Apollon.
Peut-être l’avez-vous d’ailleurs déjà remarqué puisque cela fait quelques semaines que, après bien des travaux, la Station des Sports a pratiquement doublé sa superficie. Profitant des hôtels à proximité, de l’UQAM et des bureaux de la Place Dupuis, entre autres, ce bar sportif tire bien son épingle du jeu. Durant la fin de semaine du Jour de l’An, c’était plein de jeunes touristes, des Américains et des Ontariens ! «Nous voulions offrir une nouvelle décoration, une nouvelle expérience aux clients. On a fait installer un «video wall» qui, à lui seul, coûte près de 75 000$. La partie du bas communiquera avec le haut pour en faire une seule grande Station des Sports. On a travaillé aussi sur le menu pour l’améliorer et faire des spéciaux pour le midi et le souper. L’investissement total avoisine certainement le million de dollars. On a hâte à l’été, on fera une belle terrasse agrandie d’une quarantaine de places, avec des plantes, des fleurs, ce sera très joli. Une chance qu’on a la piétonisation l’été et le hockey en hiver, sinon ce serait très difficile. C’est pour cela qu’on a investi 1M$.
S’il investit une telle somme dans le quartier, c’est que Peter Sergakis y croit toujours autant, mais il n’en est pas moins réaliste face à la situation. «Il faut faire des pressions auprès du maire [Denis] Coderre, il y a beaucoup de commerces fermés, il faut que la Ville nous aide un peu avec des projets et de nouvelles initiatives. Ça ne peut pas continuer comme ça. L’été la rue est piétonisée, il y a des terrasses et une belle ambiance festive qui attire les touristes. Mais l’hiver, c’est mort, il ne se passe rien, pas d’activités, pas d’évènements… On le voit bien, l’achalandage baisse de 75%, ce n’est pas une farce, c’est une observation réelle… Il faut sauver le Village parce que les commerçants ne peuvent pas survivre uniquement qu’avec [les recettes de] l’été. La Ville doit participer et établir un budget pour des activités en hiver», insiste l’homme d’affaires. «On travaille aussi sur de gros investissements au Sky. Je suis prêt à investir dans ce complexe comme on l’a fait avec la Station des Sports, mais il n’y a pas assez de clientèle. On a besoin d’un peu d’encouragements afin de créer des activités pour le secteur et attirer ainsi les gens […]. »
Piétoniser la rue continuellement ?
Il se demande d’ailleurs pourquoi, dans les autres arrondissements, les terrasses ouvrent du 1er avril au 1er novembre alors que dans le Village non ? Il faut noter ici que les quartiers ayant des contre-terrasses ne sont pas piétonnisés. «Je félicite la SDC du Village d’obtenir une extension d’un mois cette année jusqu’à la fin septembre, c’est bien, il faut piétonniser la rue plus longtemps. Mais si on ferme la rue dès le 1er avril, même si c’est plus frais, les gens vont venir se promener, il y aura une belle atmosphère festive et donc ils vont profiter des commerces et y entrer. J’irai même plus loin ! Pourquoi ne pas faire un projet pilote : durant deux ans, on ferme la rue à longueur d’année, été comme hiver ! Durant la saison froide, avec l’aide de la Ville, on effectue des activités, des jeux, pour attirer le public, un peu comme on le fait déjà dans le Quartier des spectacles ou à Québec par exemple. Bien sûr, on prend le temps de travailler sur de beaux projets et on évalue la situation et on corrige le tir pour la 2e année !», de déclarer Peter Sergakis.
Et les autres irritants
L’entrepreneur croit qu’on n’en fait pas encore assez pour aider les sans-abri à Montréal. Contrairement à ce que l’on croit, il est très sensible à leur sort. Bien sûr, le maire Coderre a annoncé récemment une somme de 10M$ pour des programmes destinés aux organismes leur venant en aide, tandis que les effets ne seront peut-être pas immédiats… Mais cette subvention sera-t-elle récurrente ?
«Cela me fend le cœur de voir des gens dormir dans la rue quand il fait -25o en hiver, ou de voir un groupe qui se pique avec une même seringue [souillée]. Ce n’est pas possible de les voir ainsi, ils deviennent malades et personne n’en prend soin réellement. Dans les centres, après la nuit, on les fout à la porte et ils retournent à la rue. Il y a de grands hôpitaux qui se sont vidés en raison de la construction récente des grands centres comme le CHUM, pourquoi ne pas en faire des lieux pour accueillir ces gens, les soigner, les loger, les nourrir convenablement ? Je ne peux pas croire que notre pays dépense autant pour des réfugiés de pays en guerre alors qu’on est incapables de trouver une solution et faire en sorte de changer les choses du côté de nos itinérants pour leur offrir des services de manière permanente. C’est inacceptable qu’on les laisse souffrir ainsi. Les autorités doivent bouger, il faut, encore là, faire des pressions.»
Sur la vente de drogues en plein air, trop évidente d’ailleurs dans le quartier, pour Peter Sergakis, on en fait tout simplement pas assez selon lui. Effectivement, il y a eu plus de policiers cet été qui ont patrouillé et effectué plusieurs arrestations. C’était un effort commun des PDQ du centre-ville. «Mais ce n’est pas constant, il n’y a aucune continuité ni dans les effectifs, ni dans les budgets ni dans les arrestations. On fait des actions un certain moment et, puis, plus rien et la vente recommence de plus belle et ce sont les gens, les citoyens et les commerçants du quartier, qui en subissent les conséquences. Est-ce que la Ville veut vraiment régler le problème? On doit dégager plus de budget pour les postes 21 et 22 et leurs donner les moyens d’agir», affirme-t-il.
Les «éléphants blancs»
D’est en ouest, plusieurs bâtissent importantes, à l’abandon, gâchent le portrait et sont autant de nuisances pour le Village. L’ancien cinéma Champlain (Église Vie et Réveil), au coin de Papineau, le complexe Bourbon/Club Sandwich et, enfin, le défunt Drugstore. Encore là, Peter Sergakis croit que la Ville doit intervenir plus rapidement lorsque de tels bâtiments sont barricadés et tombent en ruine sur une artère commerciale majeure dans la métropole. «D’un côté, la Ville doit mettre de la pression sur les propriétaires d’édifices commerciaux laissés à l’abandon, d’un autre côté, elle doit les aider avec le zonage et des subventions pour ainsi réaliser de beaux projets avec des conditions raisonnables et qui fassent en sorte que le tout se déroule plus vite», insiste Peter Sergakis.