Les pays de l’ex-bloc soviétique sont souvent perçus comme un ensemble uniforme, austère et peu ouvert à la communauté LGBT. Il existe toutefois un lot de nuances, selon Solveig et Sigurd Lund, une lesbienne et un gai, frère et sœur, que Fugues a questionnés pour mieux comprendre la situation de leur pays, la Hongrie.
« Il existe encore des relents de l’époque soviétique, mais nous sommes bien plus proches des mentalités de l’Europe de l’Ouest, contrairement à la Russie et à la Pologne, qui sont encore très conservatrices. Ça fait un quart de siècle que l’URSS n’existe plus et il est temps de passer à autre chose », affirme Sigurd.
Quand on évoque un sondage hongrois révélant que les deux tiers des répondants n’accepteraient pas un gai dans leur entourage, ils attestent que le malaise relève davantage d’une peur de l’inconnu que d’une haine active. « Quand j’ai grandi, je ne voyais d’homosexuels nulle part et on entendait jamais parler d’eux, souligne Solveig, 32 ans. C’est facile de manipuler les gens, quand ils n’ont aucune référence. Je ne pense pas que les Hongrois détestent viscéralement les gais. Ce sont plutôt les politiciens et les médias qui font de la propagande négative. »
En décembre 2015, le gouvernement hongrois s’est joint à celui de la Pologne pour freiner un accord ministériel qui aurait forcé tous les pays de l’Union européenne à honorer les mariages homosexuels où qu’ils soient contractés dans l’Union européenne. Une décision qui a causé peu de remous en Hongrie, selon un ami de Solveig, Andrea Giuliano, activiste de la cause LGBT. « La communauté LGBT hongroise est trop faible pour confronter à elle seule une politique nationale sur l’égalité du mariage. Comme les politiciens démontrent peu d’égards à ce propos et que les Hongrois ne sont pas reconnus pour exprimer leur mécontentement face au gouvernement en prenant action, la communauté LGBT est encore plus isolée. »
Bien que le mariage gai et l’adoption par des personnes de même sexe ne soit pas légaux, l’homosexualité a été décriminalisée en 1961 et la loi prévoit des sanctions contre la discrimination basée sur l’orientation sexuelle. Sur ce dernier point, Solveig préfère nuancer. « Je ne crois pas que les gens aient peur d’être renvoyés parce qu’ils sont gais, mais rares sont les gais et lesbiennes qui s’affichent ouvertement au travail. On n’est pas rendus là. »
Aux yeux de Sigurd, étudiant en relations internationales, le parti au pouvoir, dirigé par Viktor Orbán, a fait régresser le pays. « La Hongrie était l’un des pays le plus progressistes de l’ère postsocialiste. Nous avons légalisé l’union civile en 1996, avant certains pays de l’Europe de l’Ouest. Mais le gouvernement nous a fait faire un pas en arrière, en stipulant dans la constitution que le mariage devait être entre un homme et une femme. C’est scandaleux! J’aime mon pays, mais ça me blesse d’y penser. C’est comme si ça reflétait la mentalité des Hongrois, alors que c’est surtout une volonté politique… ».
Le frère et la sœur illustrent le clivage entre la vision de l’État et celle de la population en relatant leurs sorties du placard. « Vers 19 ans, j’ai simplement mentionné à ma mère que j’avais un copain, raconte Sigurd, aujourd’hui âgé de 25 ans. Elle a été surprise et un peu inquiète pour moi, mais on n’en parle pas. Ce n’est pas un moment charnière dans ma vie. Par contre, tout a sûrement été plus simple parce que Solveig avait ouvert le chemin. » Cette dernière croit que ses parents savaient déjà qu’elle était lesbienne, avant de l’apprendre de sa bouche. « Je leur en ai parlé à 25 ans, quand j’ai senti que c’était le bon moment. Ils l’ont compris comme ils ont compris que nos deux autres sœurs étaient hétérosexuelles. Nous ne nous sommes jamais disputés à ce sujet. Sigurd et moi leur avons présenté nos amoureux et ils les ont toujours acceptés. Ma mère ne connait rien du milieu LGBT, mais ça ne veut pas dire qu’elle soit contre les gais. »
Autre preuve que la population s’ouvre peu à peu : la présence grandissante d’hétéros durant la Gay Pride. « Avant, l’événement était seulement pour les gais. Mais depuis les attaques qui ont eu lieu en 2006 et 2007, de plus en plus d’hétéros s’y rendent. Contrairement à plusieurs pays, où le défilé ressemble à un carnaval, notre Pride est surtout un rassemblement social. Près de 80 % des participants sont des hétéros qui expriment leur soutien envers la cause.»