On dit toujours qu’il n’y a qu’en milieu urbain que l’on peut vivre sa différence. Faux ! Pour Élise Cornellier Bernier, les îles-de-la-Madeleine lui ont permis de passer de Maître Brasseur à Maître Brasseure – petit changement qui fait toute la différence – pour celle qui s’appelait encore, il n’y a pas si longtemps, Jean-Sébastien.
Le directeur de production de la micro-brasserie À l’abri de la tempête est devenue directrice de production et en a fait l’annonce publiquement sur l’archipel et à sa grande surprise la réponse a été hyper positive. Une sortie du placard qui a eu lieu lors du quinzième anniversaire de l’entreprise en juin 2015 devant plus de 200 personnes. «Je ne m’attendais pas à un accueil semblable. Je pensais qu’il y aurait des réactions négatives mais pas du tout. Bien au contraire et j’en ai été la première surprise».
Pourtant tout allait bien pour l’ex Jean-Sébastien. Avec sa complice de toujours, Anne-Marie Lachance, ils réalisaient le rêve qu’ils avaient concocté à la sortie de l’université : créer leur propre entreprise. Jean -Sébastien connaissait la bière, et Anne-Marie, les îles-de-la-Madeleine. Logique de développer une micro-brasserie dans les îles. C’est ainsi qu’est née À l’abri de la tempête en 2004 qui a développé au fil des ans plusieurs bières originales qui ont remporté des prix. Mais si professionnellement tout semblait marcher pour Jean-Sébastien, un malaise persistait. «Je savais depuis toujours d’où venait le malaise que je ressentais sans faire le premier pas. On pense que c’est plus difficile éloigné de Montréal, témoigne Élise Cornellier Bernier, rejointe au téléphone, puis je m’en suis ouvert à des professionnels et déjà là j’ai senti une ouverture. La plupart ne connaissait rien à la problématique mais ils ont fait des recherches, pris contact avec des spécialistes, m’ont super bien conseillée. Il ne restait plus que le plus important, en informer l’entourage. Et comme je suis en charge d’une entreprise, sur une île où presque tout le monde se connait, c’était une grande décision, un grand pas à franchir».
Élise pense qu’il est aujourd’hui possible pour des personnes transgenres de s’assumer même en région. L’ouverture est là, il faut simplement oser. D’ailleurs, depuis son coming-out comme transgenre, Élise a rencontré quatre autres personnes aux Îles-de-la-Madeleine qui ont décidé de vivre enfin leur véritable genre. «Je suis heureuse de voir qu’un coming-out peut en aider d’autres à le faire, continue Élise, même si je ne me sens pas une activiste de la cause. Je l’ai fait avant tout pour moi, mais ça me fait aujourd’hui plaisir de pouvoir aider d’autres personnes comme moi».
Mieux, Élise considère qu’elle est encore meilleure aujourd’hui dans son travail. «Je compose moi-même les bières que l’on produit, j’ai toujours eu un bon nez, un bon goût, mais je me rends compte que je perçois aujourd’hui encore plus de nuances, ce n’est pas dû à la transition, mais au fait que je me sens moins stressée, moins en conflit avec moi-même. D’être enfin ce que je suis et d’être débarrassée de cette interrogation me permet peut-être de me donner à 100 % dans mon travail, et de faire encore des bières meilleures», de conclure dans un éclat de rire, la micro-brasseure.
Pour souligner ce changement, et afin de «célébrer haut et fort la diversité de genre aux îles», selon les mots d’Élise, les deux femmes ont concocté une bière toute spéciale, la “Palabre 21 Trans IPA”, une bière blonde élaborée comme une bière brune, une bière trans en somme. «D’habitude, nous ne faisons qu’un bassin quand il s’agit d’une bière spéciale, mais devant le succès incroyable, nous en avons fait quatre bassins, les restaurateurs l’affichaient sur le menu et nous allons en embouteiller de nouveau», explique Élise.
Est-ce que la Trans Ipa sera disponible à Montréal ? Oui, Élise et Anne-Marie pensent que sous peu, et Élise insiste pour que nous prenions connaissance du texte sur la bouteille : «afin de comprendre ce qui fait que cette bière est véritablement trans! Imaginée, brassée et fièrement portée par une trans et sa petite communauté très supportante».
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