Le même jour que le lancement de son livre, le 1er décembre – Journée mondiale de lutte contre le sida – Denis-Martin Chabot publiait une déclaration sur les réseaux sociaux indiquant sa séropositivité. «Il y a longtemps que je t’aime, je ne t’oublierai jamais», son nouveau roman, traite justement du sida, de ceux qui ont été touchés par cette maladie et les effets que l’infection a entrainés sur le Village, dans les années 1990.
Avec beaucoup d’humilité et une bonne dose de courage aussi – ne soyons pas naïfs, la stigmatisation est bien réelle – , Denis-Martin Chabot effectue une sorte de «coming out» exprimant ses sentiments, ses angoisses par rapport à la maladie, à la mort, mais aussi l’espoir qu’il a maintenant avec les traitements rendant le VIH au rang de «maladie chronique»… En entrevue, il exprime sa pensée et ce qui sous-tend son geste à ce moment-ci dans sa vie…
«Je me sens libéré! Vivre caché, ce n’est pas pour moi. Je suis un journaliste après tout, le mensonge, on n’aime pas ça ! Je suis très serein dans ça», commente Denis-Martin Chabot.
En tant que journaliste, Denis-Martin Chabot effectue ici une véritable sortie du placard comme séropositif.
«J’ai fait ma carrière et je me suis fait une réputation comme journaliste en racontant les histoires des autres. Et comme auteur de romans, je me suis tellement inspiré de l’histoire de tant de gens, je commençais à me sentir comme un profiteur. Alors que je terminais la correction de mon roman, Il y a longtemps que je t’aime, je ne t’oublierai jamais, je me suis dit que j’en avais tellement pris qu’il était temps d’en redonner. J’ai décidé qu’il serait temps de faire quelque chose pour toutes ces personnes qui vivent dans l’ombre. C’est venu naturellement. J’ai le don de la parole, je suis un communicateur après tout, j’ai un peu de notoriété et de la crédibilité, alors pourquoi ne pas en parler publiquement.
Ce n’était pas facile au départ, car j’étais jusque-là confortable dans mon silence. Je me disais que c’était pour préserver mon objectivité… La soi-disant objectivité du journaliste. Je préfère dire neutralité, en fait. Et être ouvertement gai et séropositif n’enlève rien à ça. Ça a le mérite de mettre les choses au clair avec le lecteur, l’auditeur ou le téléspectateur. Mais comme j’ai écrit dans mon texte, que La Presse et Fugues.com ont publié : j’avais honte et j’avais peur.
Bien là, ça va faire!
Je dis donc tout haut ce que souffrent bien d’autres en silence. Beaucoup de personnes séropositives vivent dans la honte et dans la peur. La sérophobie, la stigmatisation des personnes infectées, est réelle. Plusieurs ont un regard teinté d’un jugement moral envers les personnes séropositives. D’abord, pour la plupart, nous avons été infectés à la suite de relations sexuelles non protégées, donc on parle ici de sexe, un sujet qui en rend plus d’un inconfortable. Ensuite, le message de prévention de la Santé publique a été efficace. Mais il y a un revers à ça. Alors pour plusieurs, et ça inclut bien des gens dans la communauté LGBTQ+, la personne infectée est fautive, car elle n’avait qu’à se protéger.
Je ne veux pas me justifier. J’ai bel et bien attrapé le VIH dans des relations sexuelles non protégées. Je ne suis pas fier de ça, mais c’est arrivé. Et ça fait assez longtemps que je me culpabilise.
Oui, la prévention du VIH passe par le préservatif — et d’autres méthodes, dont la PrEP (la prévention pré-exposition). Mais ce n’est pas tout. Dites-moi pourquoi, en 2017, des gens fument quand on sait que la cigarette peut causer le cancer du poumon et des maladies cardiovasculaires, dites-moi pourquoi d’autres se surexposent au soleil quand on sait que ses rayons peuvent causer le mélanome ? Je pourrais alors trouver les raisons pour lesquelles des gens ont des rapports sexuels à risques. Sérieusement, il faut aller plus loin que le condom. Dans mon cas, j’ai longtemps souffert d’un manque d’estime de moi majeur. Je ne me trouvais pas beau ni intéressant. Et cela a fait de moi un dépendant affectif prêt à n’importe quoi pour obtenir un peu d’affirmation. Les hommes gais, du moins ceux de ma génération ont, pour la plupart, passé une grande partie de leur vie à se cacher et à mentir pour ne pas être discriminés, ostracisés, battus ou tués même. Disons que ce n’est pas très bon pour se bâtir une estime de soi. Il faut parler de la santé mentale des hommes gais.
Beaucoup de gars ne se protègent pas parce qu’il y a les médicaments. C’était aussi de mes motivations. Je suis la preuve qu’on peut très bien vivre avec le VIH, que les médicaments sont efficaces. Par contre, on ne connait pas les effets secondaires à long terme des trithérapies.
Pire encore, l’Agence de la Santé publique du Canada estime qu’une personne séropositive sur cinq ne connait pas son statut sérologique. Donc, elle peut transmettre la maladie sans le savoir. On peut envisager un monde sans VIH. Si toutes les personnes séropositives étaient sous traitement, on arrêterait la transmission. En effet, sous traitement, la personne séropositive devient indétectable, et cela réduit fortement le risque de transmission.»
Mais est-ce que le roman lui a fait réaliser qu’il était peut-être temps de le dire publiquement ? Et, est-ce, justement, relié à la rédaction du livre qui a suscité une réflexion en ce sens?
«J’y songeais depuis mon roman ’Rue Sainte-Catherine Est, métro Beaudry, donc depuis un an et demi. Et avec la suite, Il y a longtemps que je t’aime, je ne t’oublierai jamais, je me suis dit que c’était le temps. J’ai consulté mon chum, ma soeur, mon médecin. J’étais prêt! J’ai plongé. On m’a dit que j’étais la première personne publique à le faire de son vivant au Québec. Si mon témoignage peut aider une seule personne, ce sera ça!»
Et quelle a été la réaction des gens face à sa sortie publique ?
«Si j’avais besoin d’une preuve que mon geste était le bon, la réaction du public en a été toute une. Des gens que je ne connaissais pas m’ont approché pour me dire qu’ils appréciaient mon geste. Et surtout, ce sont les témoignages que j’ai reçus en privé qui m’ont confirmé que j’avais vraiment bien fait. Ça m’a ému. Il y a beaucoup de gens qui souffrent. J’espère leur avoir donné une voix.»
Une partie de la vente des livres du 1er décembre ira à RÉZO, est-ce que c’est pour lui une façon de s’impliquer plus activement dans la lutte contre le VIH ?
«C’était très symbolique. J’aime RÉZO. Ils font un travail nécessaire auprès des hommes cis ou trans quant au VIH. Je les ai invités à mon lancement. Je voulais qu’on parle de prévention lors de cet événement.»