Lesbiennes, gais, bisexuels et trans ont marqué l’art à travers les âges, de la Grèce antique au Japon du XVIIIe siècle en passant par la Renaissance italienne: le musée du Prado en témoigne à Madrid à l’heure où la ville fête la World Pride. Au fil des siècles, les arts ont reflété maintes histoires d’amour et de désir entre personnes de même sexe, à des époques où elles étaient plus ou moins tolérées ou très sévèrement réprouvées.
Le musée national du Prado propose de découvrir une sélection de 29 oeuvres alors même que la capitale espagnole vit jusqu’au 2 juillet au rythme de la WorldPride, plus important événement mondial de revendication de la « fierté » d’être lesbienne, gaie, bi ou trans.L’occasion de découvrir un buste de l’aristocrate grec Aristogiton qui, avec son jeune amant Harmodios, assassina un tyran d’Athènes en l’an 514 avant Jésus-Christ; des chefs-d’oeuvre de Sandro Botticelli, maître de la Renaissance italienne; ou une oeuvre de la peintre animalière française du XIXème Rosa Bonheur, qui vivait avec une femme.« Dans chaque culture, à chaque époque, l’homosexualité a été quelque chose de bien réel (…) en dépit de la façon dont elle était interprétée par la morale et par la religion », dit l’un des commissaires de l’exposition, Carlos Navarro.
Égypte et Grèce
Dans son petit livre « Le monde gai: une brève histoire illustrée », l’égyptologue britannique R. B. Parkinson écrit aussi que « le désir entre personnes de même sexe semble assurément avoir fait partie de l’expérience humaine depuis les premiers temps ».
« Dans un poème de l’Égypte ancienne, vers 1.800 avant Jésus-Christ, un dieu essaie ainsi d’en séduire un autre en lui disant: ‘mais quel joli postérieur tu as!’, » écrit cet ancien conservateur du British Museum.
Les sculptures représentant Aristogiton sont généralement exposées auprès de celle de son amant Harmodios, illustrant alors la coutume grecque de relations entre un homme âgé et un plus jeune. Ensemble, ils tuèrent un des deux oppresseurs d’Athènes et furent exécutés pour cela. Mais leur acte avait ouvert la voie à la démocratie et les Athéniens leur élevèrent des statues, les toutes premières de l’âge classique à représenter des humains plutôt que des dieux. Et c’est ainsi qu’« un couple homosexuel a été célébré comme fondateur de la démocratie », souligne Carlos Navarro.
Procès pour sodomie
À travers ces oeuvres, le Prado raconte aussi l’histoire d’artistes victimes de la répression ou qui assumèrent un mode de vie hors normes. Botticelli fut accusé en 1502 de sodomie et acquitté, mais en resta traumatisé. À cette époque, le XVe siècle à Florence, l’art de l’Antiquité – et l’évocation des amours homosexuelles – revenait à la mode, entraînant une violente réaction des autorités. Après le choc de son procès, Botticelli commença à suivre le moraliste Jérôme Savonarole, prêcheur fanatique qui identifiait l’Antiquité classique avec « l’arrivée de la corruption dans le monde chrétien », explique Navarro. Botticelli – un pionnier pour la peinture de scènes de la mythologie classique – finit même par détruire bon nombre de ses oeuvres. Léonard de Vinci, un homme « lumineux » a lui aussi été poursuivi pour sodomie et acquitté, mais sa personnalité changea au point qu’il devint un artiste « introverti », assure Carlos Navarro.
À l’époque d’Edo, au Japon, « l’amour entre hommes était culturellement valorisé », relève aussi M. Parkinson. L’universitaire britannique reproduit dans son livre une scène d’accouplement entre deux hommes, sous l’oeil d’un voyeur: une image érotique japonaise datant de 1770 attribuée au célèbre créateur d’estampes Suzuki Harunobu.
En 1801, un autre artiste japonais représenta deux femmes – nues – en train de se servir d’un jouet sexuel au lit.
Pour témoigner de la vie libre d’une artiste, le Prado présente une oeuvre de Rosa Bonheur, « Le Cid », une magnifique tête de lion. Cette Française qui vécut avec une femme pendant des décennies – fut une pionnière « dans sa sexualité, son mode de vie, mais aussi la façon dont la société la reconnut », dit Carlos Navarro, elle qui était « célèbre, riche et assumait sa vie ». Au côté de sa tête de lion figure ainsi la copie d’une autorisation de « travestissement » délivrée par la police française pour lui permettre de porter le pantalon.