Jean Genet écrivait qu’être homosexuel n’était pas un crime, mais qu’être homosexuel et voleur était un double crime. Un argument qui parlera aux immigrants, aux noirs, aux basanés. Être afro-américain n’est pas un crime, mais être afro-américain et voleur, et l’on multiplie par deux la gravité de la faute.
Comme je le disais dans ma précédente chronique, on peut être étranger dans sa famille, dans son propre pays, et bien évidemment quand on immigre. Les modalités accompagnant le rejet, l’ostracisme varieront selon les contextes géographiques selon aussi la nature de l’étrangéité, le sexe, la couleur de la peau, la religion, l’origine sociale, comme elles varieront aussi en termes de violence subies. En ce sens, dès que l’on est socialement et culturellement marginalisé, l’espace public n’est plus vécu comme un lieu sécuritaire, et pire, l’histoire nous prouve que nous devons nous méfier pour commencer de celles et ceux censés nous protéger: la police. En fait, nous vivons en liberté conditionnelle.
Conditionnelle à notre comportement bien évidemment, conditionnelle à des ressacs possibles dès qu’une minorité quelconque devient le bouc-émissaire d’une majorité. De là, la stratégie de nombreuses personnes issues de cette marginalité de vouloir «se blanchir», d’adopter les codes et les comportements de la majorité, et souvent avec un zèle plus grand que les autres pour être irréprochable. La condamnation à l’excellence, une attitude que connaissent bien les femmes qui veulent grimper les échelons. En somme, apprendre à vivre en liberté conditionnelle, ou sous une épée de Damoclès, même si nous avons un cadre juridique qui, dans les textes, prônent l’équité et l’égalité. Bien sûr, depuis des décennies aujourd’hui, des campagnes de sensibilisation, d’information, nées et portées par les premières intéressées, font évoluer les mentalités, rendent les espaces sociaux et publics plus accueillants, plus sécuritaires.
Mais beaucoup de travail reste encore à faire pour que notre « conditionnelle » disparaisse définitivement. Que l’inquiétude voire la peur de faire un faux pas n’ait pas des conséquences disproportionnées par rapport à l’erreur commise. On pourrait multiplier les exemples qui illustrent cet aspect de nos vies. L’un des plus frappants reste pour moi les départs de Nathalie Bondil, Directrice du Musée des beaux-arts de Montréal, de Fatima Houda-Pépin de son poste de déléguée générale à Dakar, ou encore de l’enquête menée sur la Gouverneure générale, Julie Payette.
Loin de moi de les absoudre de tout ce qu’on leur reproche, de leur comportement dit dictatorial dans leur relation avec leurs employé.es. Trois femmes qui en fait se sont comportées comme beaucoup d’hommes dans des postes de pouvoir. Si tous les employé.es qui ont un homme comme «patron» se mettaient à dénoncer tous les abus de pouvoir, la mauvaise gestion du personnel, etc., les démissions se compteraient à la pelle. Et comme pour le mouvement #metoo des personna-lités hommes de tous les milieux professionnels feraient la une des journaux. Mais ces «tyrans» peuvent encore dormir sur leurs deux oreilles. L’habitus* est très fort, et peu de gens ne s’émeuvent qu’un mâle outrepasse ses pouvoirs.
C’est dans l’ordre et pour beaucoup encore dans la nature des choses. Et ces femmes risquent de payer très cher la transgression de leur rôle soi-disant attribué à leur sexe. Il ne suffit pas de changer les lois, il ne suffit pas d’instaurer des processus de parité homme-femme, ou encore de se doter de norme pour que la diversité ait sa juste place, encore faut-il que dans toutes les sphères de la société l’on puisse prendre réellement conscience du poids de l’injustice que les normes hiérarchisant les individu.es induisent. Et c’est un travail collectif et individuel de tous les jours.
* En sociologie, l’habitus est la manière d’être, l’ensemble des habitudes ou des comportements acquis par un individu, un groupe d’individus ou un groupe social