Avant que le concept d’une association naturelle entre le temps des Fêtes et les communautés LGBT s’implante dans la presse généraliste québécoise, il faudra attendre la fin des années 90. Dans les années qui précèdent, il est cependant intéressant d’examiner dans quels contextes on retrouve parfois une telle mention ou mieux encore, quels sont les éléments d’actualité publiés au mois de décembre.
8 décembre 1943 – Le réveillon: Ce qui arriva à un prisonnier nazi évadé, la veille de Noël, d’un camp d’internement
Une nouvelle littéraire de Guy Jasmin, publiée dans La Revue moderne du 8 décembre 1943 (pages 14-15, 20), soit en plein cœur de la Deuxième Guerre mondiale. On y suit le lieutenant Polydor V. Bannistein, un officier d’administration dans l’Afrika-Korps, échappé d’un camp d’internement québécois destiné aux soldats allemands capturés en Europe. Peu de détails sur les allégeances politiques du jeune officier, qui a la chance de parler un bon français, si ce n’est qu’il souligne à deux reprises que les Allemands sont dorénavant «universellement haïs». Par ailleurs, la mention de son statut de fonctionnaire (officier d’administration), semble permettre aux lecteurs de le distinguer d’un soldat aux mains tachées du sang des Alliés.
La fuite de l’officier aux cheveux blonds l’amène à croiser le chemin d’un cultivateur canadien-français qui l’invite dans sa famille et lui prête le rasoir de son fils, mort à la guerre des mains des Allemands. Il y croise le regard énamouré de la fille du cultivateur, se fait offrir un emploi et assiste à la messe de minuit avec ces derniers. Le récit se conclut alors qu’il décide, malgré un contexte favorable, de poursuivre sa fuite après avoir subtilisé, pour se nourrir, la farine d’avoine prélevée à même la bourrure de l’effigie du Jésus de la crèche.
La nouvelle demeure, assez étrangement pour l’époque, relativement neutre au regard d’un soldat nazi: Polydor décide ne pas abuser des bontés de la famille, ce qui est noble, mais écartèle le ventre du petit Jésus ce qui, à l’époque, devait constituer une image choquante pour le lecteur. Au-delà de cette trame narrative, l’intérêt du récit porte cependant sur une mention suffisamment forte pour qu’elle l’encadre, dès le second paragraphe ainsi que dans sa conclusion. En effet, dans ses soliloques, Polydor évoque le souvenir de l’un de ses amis, Oswald. Il se fait ainsi la réflexion: «Si j’en crois le miroir et les propos flatteurs d’Oswald, je n’ai pas du tout l’air d’un apache, même avec une barbe de deux jours. Je me demande encore pourquoi Oswald me parlait si souvent de mon expression candide, de ma voix chaude…» Finalement, au dernier paragraphe: «Oswald, si jamais je te revois, je te donnerai raison pour ce que tu as dit de la caresse de ma voix et celle de mon regard, encore que je ne m’explique guère pourquoi tu m’as dit ces choses…»
L’auteur semble alors juste sur le point d’amener Polydor à réaliser la nature des sentiments d’Oswald à son endroit, mais une dernière pirouette l’amène à ne pas franchir le pas. Rappelons que le contexte social ne se serait sans doute pas prêté à une telle révélation. En effet, ce n’est qu’un an plus tard, et dans le plus grand scandale, qu’est publié le premier roman québécois évoquant clairement le sujet: Orage sur mon corps, d’André Béland.
Vous pouvez lire la nouvelle sur le site de BAnQ numérique
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28 décembre 1957 – Les « époux » Jean-Guy Tremblay et Frank Lanteigne, deux homos de St- Hyacinthe, sont incarcérés
C’est dans le Ici Montréal du 28 décembre 1957, en page 5, que l’on retrouve cette nouvelle atroce entourant la dénonciation et l’incarcération de Frank Lanteigne (45 ans) et Jean-Guy Tremblay (22 ans). Les deux hommes habitaient ensemble dans un appartement de Saint-Hyacinthe. Dénoncés aux policiers par des voisins outrés de les voir ainsi vivre ensemble, ils sont accusés du crime de sodomie et sont condamnés à plus d’un an de prison pour… avoir vécu ensemble. C’était il y a 63 ans à peine.
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12 décembre 1970 – La mère et la fille étaient les tenancières d’une maison de prostitution pour lesbiennes
Finalement, en page 7 de la revue Flirt & Potins Montréal du 12 décembre 1970, on apprend
l’existence d’une maison close à l’intention de la clientèle lesbienne tenue par une mère et sa fille. Je n’ai pas un exemplaire de la revue sous la main, mais considérant le caractère sensationnaliste de la revue, on peut présumer que la réalité était fort probablement beaucoup moins salace que cela. La publication laisse entendre qu’il s’agissait sans doute plus simplement d’un lieu de rencontre destiné aux femmes.