Au début de l’année 1895, scandalisé de voir son fils Alfred Douglas fréquenter le salon et le lit d’Oscar Wilde, le marquis de Queensberry accuse ce dernier d’être un sodomite. Bien que l’accusation soit tout à fait exacte, l’écrivain se voit plus ou moins contraint d’intenter un procès en diffamation afin de blanchir sa réputation. Ledit procès débute le 3 avril 1895 et à peine quelques jours plus tard, on en retrouve mention dans la section « La Quinzaine » du Passe-temps, célèbre revue culturelle montréalaise, dans son édition du 20 avril 1895 (vol. 1, no. 6) en page 83.
C’est sans surprise que l’on constate que le périodique n’est pas très tendre à l’endroit de l’écrivain. L’auteur, Sylvio, débute d’ailleurs sa chronique en accusant Wilde de vouloir créer des hommes efféminés en réformant la mode: un «plan» machiavélique qui liquéfiait de terreur la moelle épinière des hommes de l’époque, mais qui fait bien sourire de nos jours. Puis il aborde la question de sa «passion honteuse», le qualifiant de «débauché à l’égal des habitants de l’antique Sodome, Oscar Wilde flétrissait la jeunesse dorée de Londres avec laquelle il était en rapport.» Il ajoute que les révélations du procès étaient à ce point odieuses qu’elles ont nécessité la mise en place d’un huis clos et termine en ajoutant que l’homme ne mérite que «le mépris et le dégoût de tout ce qui est honnête au monde».
À noter qu’en 1919, soit 24 ans plus tard, la même revue fait un très bref retour sur l’événement (5 avril 1919, vol. 25, no 627, p. 122). Le jugement moraliste est le même, mais l’auteur, portant le très approprié pseudonyme de Mon oncle, ajoute que le comportement de Wilde a constitué un «exemple fatal» pour Montréal, dix ans plus tard, entrainant, semble-t-il, la ville dans la perdition. Un commentaire intrigant qui fait sans doute référence au scandale entourant le docteur Ulric Geoffrion qui organisait, dans sa résidence de la rue Sainte-Catherine Est, à l’intersection de la rue Parthenais, des soirées réservées aux hommes. Suite à une plainte de voisins, les policiers interviennent en 1908, soit 13 ans après le procès d’Oscar Wilde, ce qui donne lieu au scandale évoqué. Les curieux pourront se référer à un excellent article de Dominic Dagenais sur le sujet – Les scandales des clubs Geoffrion et Carreau – qui en résume bien les tenants et aboutissants ville.montreal.qc.ca.
Un des éléments accessoires, mais fort révélateurs relevés par Dominic Dagenais est issu des
rapports de police et illustre avec éloquence l’extrême diversité de la communauté gaie, même à cette époque: «En plus du docteur Geoffrion, on trouve […] un agent de compagnie d’assurance, un comptable du Canadien Pacifique, le gérant d’une entreprise publicitaire ainsi qu’un haut fonctionnaire du palais de justice. Bien que la plupart des membres soient Canadiens-français, on compte également parmi eux un acteur français […], un commerçant syrien et un buandier chinois. Quelques garçons mineurs, âgés pour la plupart de 16 ans et issus des milieux populaires fréquentent également le club.» On peut consulter les articles du Passe-temps sur BAnQ numérique.
Avril 1981 – Colloque Une femme, deux femmes…
C’est en avril 1981, entre les pages 35 à 38, que la revue Le Berdache fait un retour sur le premier colloque sur l’homosexualité féminine qui s’est tenu le 7 décembre 1980. C’est Marie-Anne Rainville qui prend la plume pour partager avec les lecteurs «son colloque». Il s’agit bien, en effet, de son événement puisqu’en1980, alors qu’elle en était à la dernière année de son BAC en sexologie, l’un des cours imposait l’organisation d’une activité publique s’adressant à une communauté précise.
Décidant de joindre l’utile à l’agréable, la jeune femme prend la décision d’organiser rien de moins qu’une grande rencontre lesbienne. Étonnamment pour ce type d’événement, surtout dans le cadre d’une première occurrence et d’un contexte universitaire, on aurait pu s’attendre à un thème portant sur le droit, la santé, les aspects sociaux, la culture, etc. Contre toute attente, c’est plutôt autour de l’érotisme lesbien que le colloque se tient. Comme le souligne avec justesse l’autrice, l’intérêt d’un tel sujet est qu’il imposait aux participantes de partir d’elles-mêmes et non de se draper derrière un discours scientifique. Elle ajoute que «la différence fondamentale et peut-être unique des homosexuel(le)s et hétérosexuel(le)s [n’est-elle justement pas] l’objet de leur attirance, de leur désir sexuel…»?
S’ensuit un article fouillé sur les défis en lien avec l’organisation de l’événement, le choix du thème et des conférencières, de même qu’un bilan fort détaillé de son succès. Un premier colloque dans lequel se sont illustrées 13 conférencières et qui a attiré 250 participantes (230 femmes et 20 hommes).
Le numéro du Berdache est disponible sur le site des Archives gaies du Québec.