Un jeune homme fait son entrée dans la Compagnie de Jésus. Il y a trouvé sa voie : il sera au service du Fils de Dieu et deviendra jésuite. Une telle prémisse laisse présager un récit se déroulant au 18e ou au 19e siècle. Rien n’est cependant plus faux puisque la vocation ainsi annoncée a ceci d’étrange qu’elle prend plutôt place dans les années 80 et 90 et se dresse en filigrane de l’avènement du sida.
Le narrateur, dont le nom n’est jamais évoqué, est bien conscient du désir que fait naître en lui les hommes qu’il côtoie, mais le vœu de chasteté prononcé par les Jésuites lui permettra, il n’en a aucun doute, d’échapper aux bouillonnements qui s’élèvent en lui.
Il réalise cependant rapidement que plusieurs de ses condisciples ont une vie sexuelle très bien portante, qu’elle soit homo ou hétéro alors que chez d’autres, en particulier les plus jeunes, la discordance entre la foi et la chair s’avère difficile, si ce n’est impossible à sublimer.
L’auteur se fait ainsi un malin plaisir de mettre en évidence l’hypocrisie d’une Église et de ses prélats qui d’un côté, tiennent un discours public moralisateur alors que de l’autre, il n’hésite pas à goûter aux plaisirs qu’ils décrient.
Nommé à un poste de bibliothécaire, le narrateur se pose bientôt comme le témoin d’une époque qu’il documente soigneusement, tout en n’hésitant cependant pas à s’y inscrire. C’est par exemple ainsi qu’il s’investit dans une fondation venant en aide auprès des personnes aux prises avec le VIH. La culture populaire des années 90 sonnant l’émergence d’un regard plus positif sur l’homosexualité, il est également amené à briser une obéissance aveugle envers les dogmes et à assumer son orientation sexuelle.
La trame ainsi décrite pourrait laisser craindre un ouvrage relativement sombre alors qu’il n’en est rien. L’auteur fait au contraire preuve d’un sens de l’humour à la fois subtil et clairvoyant, comme on peut le constater dans cet échange : « Mais c’est horrible, cette maladie, Monsieur Frost. Cela veut dire que la sexualité, on peut en mourir ? Oh, vous savez la chasteté aussi, on en meurt. » Le titre lui-même constitue un jeu d’esprit assez amusant désignant, dans un premier temps, des hommes qui se consacrent exclusivement à servir Jésus et, dans un second temps, les couples d’hommes qui s’activent, dans la chair et dans la foi, au sein même de la Compagnie de Jésus.
INFOS | Les amants de Jésus / Paul Auer. Paris : Cherche midi, 2021. 317p.