Dr Réjean Thomas, aider, soigner, témoigner : le combat d’une vie

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Médecin de cœur et missionnaire du sida, le Dr Réjean Thomas fait partie du paysage médiatique québécois depuis le début des années 1980, décennie à laquelle, avec des confrères, il fonde la clinique l’Actuel. Ce centre d’excellence en ITS, VIH et hépatites est l’un des plus importants centres ambulatoires canadiens. Pour souligner les 40 ans du début de l’épidémie du VIH/sida, nous sommes revenus avec lui sur certaines étapes marquantes de la lutte contre le VIH/sida.

En quelle année avez-vous commencé à suivre des personnes séropositives en tant que médecin traitant et comment avez-vous vécu la période 1981-1996 quand il n’y avait pas encore de traitement efficace à proposer aux personnes malades ?
J’ai commencé à exercer la médecine en 1979 et j’ai reçu mon premier patient séropositif en 1982 qui m’a dit : « Je crois avoir la maladie des américains »! Je n’avais aucune idée de quoi il parlait. J’ai vécu une pratique médicale bien inattendue.

Durant mes études, j’avais appris à soigner mais surtout à guérir et le sida apparaissait dans ma vie de jeune médecin. Pendant des années, j’ai été démuni devant mes patients. Au lieu de guérir, j’ai appris à soulager, à accueillir et j’assistais régulièrement à des funérailles. Cette expérience a bouleversé mon destin, ma vie professionnelle et personnelle. J’ai appris l’humilité et le doute. Ce sera le combat de ma vie pour aider, soigner et témoigner.


Quels sont les succès thérapeutiques qui vous ont le plus marqué dans votre parcours de médecin?
Il faut d’abord souligner l’annonce de la trithérapie au congrès international sur le sida, à Vancouver, en 1996. A ce moment-là nous avons été témoins d’un événement marquant dans le développement scientifique. Et tout à coup nous avons vécu un revirement de situation en voyant des patients reprendre vie, remarcher et quelques mois plus tard, retrouver la vie qu’ils avaient avant de contracter le virus. Ce sont des moments très forts.

Néanmoins ce progrès majeur était associé à de fortes contraintes de prise de traitement (de nombreuses pilules par jour, à heure fixe avec ou sans nourriture, etc.) et d’effets indésirables souvent importants. Ainsi, les conséquences telles que la lipodystrophie et les joues creuses étaient à ce point stigmatisantes qu’entre 20 et 25% des patients cessaient leur traitement car leur corps étaient marqués par le VIH. Puis, les régimes thérapeutiques ont été de plus en plus simplifiés, le VIH est à présent considéré comme une maladie chronique bien qu’il vienne également avec son lot d’effets secondaires en termes de comorbidité et de polypharmacie, sans compter une banalisation de cette problématique.


Comment avez-vous vécu l’arrivée du traitement comme prévention en 2008 ?
2008 constitue effectivement un tournant majeur dans l’histoire du VIH. C’est la cohorte suisse qui a été la première à établir I = I : indétectable = intransmissible. En d’autres termes, les personnes qui vivent avec le VIH (PVVIH) et qui maintiennent une charge virale (quantité de virus dans le sang) indétectable ne peuvent pas transmettre sexuellement le virus à d’autres personnes. Ceci a eu et a encore des implications importantes au plan social et légal en permettant de réduire la stigmatisation dont les PVVIH peuvent faire l’objet. Au Québec nous avons réagi de façon adéquate face à cette avancée. Néanmoins il faut demeurer vigilant à intégrer les PVVIH dans un corridor de soins et leur donner le soutien nécessaire pour y demeurer.


Quelles sont les autres avancées qu’il faut souligner ?
Jusqu’à présent les essais cliniques pour les vaccins n’ont pas été concluants. Toutefois, la prophylaxie pré-exposition (PrEP) existe depuis 2011 qui consiste à donner des traitements antirétroviraux dans un but préventif. Dans le cas du VIH, il s’agit d’empêcher que le virus infecte l’organisme, en bloquant son cycle de réplication. Ainsi, des personnes très exposées peuvent prendre un traitement antirétroviral éviter de contracter le virus. Les études ont montré que la PrEP diminue de 90 à 97% le risque d’infection par le VIH, ce qui la rend aussi efficace sinon plus qu’un vaccin.

La PrEP est une avancée incroyable vers une approche globale en prévention. Aujourd’hui, la PrEP est encore sous-utilisée pour plusieurs raisons qui renvoient à son acceptabilité. Parmi les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres, qui constituent encore, et de loin, le groupe le plus touché par le VIH au Québec, la PrEP ne fait pas l’unanimité car elle demeure encore synonyme de « relâchement des comportements sécuritaires ». Parmi les dispensateurs de soins, la PrEP reste trop méconnue.

De nombreux patients viennent pour la PrEP à la clinique même s’ils ont un médecin de famille soit parce qu’ils ne veulent pas lui parler de leur vie sexuelle, soit parce que le médecin est mal à l’aise de prescrire la PrEP. Il y a également des personnes qui ne prennent pas la PrEP car leur compagnie d’assurance refuse de les assurer (ce sont des personnes considérées à risque) et d’autres, jeunes et sur l’assurance de leurs parents, ne veulent pas la prendre pour éviter d’avoir à dévoiler leur orientation sexuelle. Je répète depuis des années que la PrEP doit être gratuite comme en Colombie-Britannique afin d’en faciliter l’accès et l’usage. De façon générale, tous les traitements relatifs au VIH et à sa prévention devraient être gratuits comme toutes les autres ITSS.


Selon vous, y a-t-il eu des échecs et comment peut-on faire mieux ?
Malheureusement, force est de constater que la discrimination perdure. La discrimination de la communauté LGBTQ2+ et la stigmatisation des PVVIH. Ceci est lié en partie à l’absence d’éducation sexuelle, entre autres, de sensibilisation, de discours préventif. Le sida n’est plus « à la mode », c’est une maladie chronique dont plus personne ne se soucie. Et pourtant. Il y a encore régulièrement des nouveaux cas de VIH. Il reste donc un travail d’éducation à reprendre urgemment.

Cette année, le thème de la Journée mondiale du VIH/Sida est : Mettre fin aux inégalités. Mettre fin au sida. Mettre fin aux pandémies. C’est ambitieux mais essentiel. Qu’avons-nous constaté avec la pandémie de COVID ? Ce sont les personnes les plus vulnérables socialement qui sont touchées de plein fouet. Comme pour le VIH. Ne réinventons pas d’autres modèles, servons-nous des approches que nous avons développées pour lutter contre ce virus. Le VIH a ouvert des portes à une vision plus globale de la santé.


INFOS | Réjean Thomas est le fondateur et le directeur médical de la Cliniqee L’Actuel cliniquelactuel.com

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