Comme ça arrive souvent quand on a affaire à un artiste qui change les règles en bousculant les codes, Bruce LaBruce est un cinéaste qui dérange. Depuis les années 1990, LaBruce pratique un cinéma queer et jouissif qui ne laisse personne indifférent. Du 27 septembre au 26 octobre, le réalisateur fait l’objet d’une rétrospective d’envergure à la Cinémathèque québécoise. Présenté en collaboration avec le Festival du nouveau cinéma (FNC), ce cycle comprend plus de 20 films, incluant son plus récent long métrage, The Affairs of Lidia (une comédie romantique érotique tournée à Montréal), qui fait partie de la programmation officielle de la 51e édition du festival. Retour sur l’œuvre sans compromis de ce cinéaste canadien.
Intitulée Bruce LaBruce, tendre et transgressif, la rétrospective de la Cinémathèque célèbre l’œuvre audacieuse et exubérante du cinéaste torontois. Tout au long de sa carrière, LaBruce a su réaliser des films qui ajoutent une dimension romantique à des thèmes ou des genres qui ne le sont pas par essence et où il est question de fétichisme, de gore, de zombies, d’éphèbes, de handicaps, de sexe explicite, de politique et d’humour, le tout en faisant référence aux classiques du cinéma et en n’évitant pas les mises en abime multiples.
À la sortie de son film Gerontophilia, en 2013, LaBruce nous confiait qu’il y avait clairement une dimension romantique aux personnages d’outsiders ou de marginaux de ses films. « J’idéalise romantiquement ces gens qui ne se conforment pas à la norme, qui n’ont pas peur d’être bizarres, qui vont à contresens de la société et de la nature. Aborder la pornographie et les sujets hors normes sous l’angle du romantisme est une approche révolutionnaire d’une certaine manière. »
Il a toujours réalisé des films que personne d’autre ne pouvait faire ou ne voulait faire ! « Quand vous travaillez avec des petits budgets, voire des budgets inexistants, je ne vois pas l’intérêt de faire un film de style traditionnel », disait-il à l’époque. « Bien que ça ne soit pas facile tous les jours, je vois cette restriction comme une opportunité de laisser mon imagination se déchainer, de construire une œuvre difficile et exigeante, d’explorer des territoires que d’autres pourraient considérer comme tabous ou inconvenants. »
En une vingtaine de films — longs, moyens et courts métrages —, de vidéos, d’expos photos et d’installations, Bruce LaBruce a inscrit son nom à l’avant-plan du mouvement queer et du cinéma underground. Après avoir fait des fanzines, il est passé par l’école du do it yourself et a développé un cinéma frondeur et subversif, dans lequel une charge homoérotique (parfois de manière hyper explicite, jusqu’à la pornographie) répond à une violence sociale brutale.
Après s’être imposé comme un des artisans du New Queer Cinema avec les incontournables
No Skin Off My Ass (où un coiffeur punk désire un skinhead) et Hustler White (qui nous propose une virée dans le milieu de la prostitution gaie de Los Angeles), il s’est approprié François Sagat (figure emblématique du porno gai) en l’intégrant aux codes du cinéma d’horreur dans L.A. Zombie, débouchant sur une métaphore anticapitaliste tissée dans la poésie visuelle trash de l’image numérique. Ce qui ne l’empêche pas de laisser surgir une forme de mélancolie quand il aborde le monde du cinéma, que ce soit avec Super 8 ½ (qui multiplie les mises en abime et les références à 8 ½ de Feliini) ou à travers un film sur un tournage qui est aussi un film de zombie (Otto), ou encore en se permettant une satire de l’activisme queer d’extrême gauche dans The Raspberry Reich, qui contient des scènes pornographiques…
D’une certaine manière, Bruce LaBruce a érigé l’homosexualité ou la queerness en arme de destruction massive contre le conformisme, faisant de la sexualité l’arme qui met en pièces les tabous de la morale. Contre la norme hétéro, il oppose une sexualité radicale affirmée : skinhead se masturbant sur Mein Kampf, fist-fucking avec un moignon, zombie ressuscitant les morts avec sa queue… Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a le sens des images qui frappent… et pas juste l’inconscient. Fin observateur de son époque, il arrive aussi à Bruce LaBruce de donner dans la comédie romantique, sur le plan formel, en abordant des sujets subversifs pour raconter, par exemple, l’histoire d’un jeune homme de 18 ans qui se découvre une attirance pour les hommes âgés et tombe amoureux d’un homme de 81 ans (Gerontophilia) ou en versant dans le fantastique et le mystique, comme dans St-Narcisse, une réinterprétation contemporaine du mythe antique et où l’obsession de soi flirte avec le désir incestueux. Figure emblématique d’un cinéma LGBT radical, Bruce LaBruce est définitivement un cinéaste totalement iconoclaste, qui s’amuse et remet en question l’esthétique gaie en même temps qu’il contribue à la créer et à la réinventer. Il y a de la force visuelle dans son cinéma et aussi beaucoup de révolte. Il y a du Jean Genet chez LaBruce, mais un Genet romantique…
Cette rétrospective — la plus importante présentée à ce jour au Canada — est donc l’occasion idéale de découvrir (ou de redécouvrir) cette œuvre incontournable. En parallèle à cette rétrospective, la Cinémathèque proposera aussi une carte blanche composée de films ayant marqué Bruce LaBruce ou ayant une importance particulière dans sa carrière.
Les sept titres choisis — qui vont de Le Bonheur d’Agnès Varda, à That Cold Day in the Park de Robert Altman, en passant par le très rarement présenté In a Glass Cage d’Agusti Villaronga — indiquent à la fois l’érudition cinéphilique de LaBruce, la pluralité de ses gouts et son audace.
INFOS | Cycle Bruce LaBruce : Tendre et agressif, à la Cinémathèque québécoise jusqu’au 26 octobre 2022, 335, boulevard de Maisonneuve Est
www.cinematheque.qc.ca