Après l’excellent Boo, le prochain titre de Neil Smith était attendu avec impatience et Jones ne déçoit pas, tout au ontraire. L’auteur montréalais entraine le lecteur dans le dispersement et la lente descente aux enfers d’une famille où le drame le dispute à un humour noir et à des répliques cinglantes qui font toujours mouche.
Frère et sœurs, Éli et Abi sont habités d’un lien puissant qui leur permet de faire face à un père brutal et alcoolique et à une mère colérique et absente. Malgré des déplacements constants, les deux enfants ont le sentiment qu’une ville fantomatique, Jonestown, leur colle à la peau et les force à s’abreuver du même Kool-Aid toxique quotidien. Une puissante référence au révérend Jim Jones qui, en 1978, entraine dans la mort 908 fidèles, sa « famille », à l’aide d’une boisson lestée de cyanure.
L’action s’amorce dans les années 70, alors que les Jones s’installent dans l’annexe d’un manoir délabré du Massachusetts. Afin de survivre au cœur d’un environnement profondément dysfonctionnel, le frère et la sœur s’inventent des codes et un langage personnel, tout en planifiant s’évader du cachot familial !
Rien n’est plus difficile que de s’extirper de la gangue de son passé, en particulier lorsque l’on sent sur soi un regard concupiscent. Lorsqu’à 11 ans, Éli est témoin des abus de son père sur sa sœur, il n’en saisit pas immédiatement la signification. Ce souvenir traumatique le hante cependant et nourrira la culpabilité d’une inaction dont il ressent progressivement le poids. Le récit progresse jusqu’aux
années 90 et s’émaille de multiples références linguistiques et culturelles au Québec, puisque l’intrigue y reprend éventuellement place. Éli se découvre même une passion pour la langue française et s’investit dans la vie montréalaise, incluant sa participation à une manifestation contre la descente du Sex Garage.
De nature semi-autobiographique, la description des événements et des émotions frappe toujours dans le mille et malgré une trame narrative qui pourrait faire craindre un ton sinistre, Neil Smith met en place une juxtaposition surprenante d’émotions contraires qui crée un cocktail à la fois déconcertant et fascinant. Un récit bouleversant et essentiel sur la résilience de l’enfance face aux atrocités du passé. Pour lire l’article précédent : www.fugues.com
INFOS | Jones / Neil Smith. Montréal : Alto, 2022. 337 p.