La fascination du corps musclé n’existe pas depuis toujours et on peut même affirmer qu’il s’agit d’une création sociale et culturelle relativement récente. Mais quelle en est la genèse et comment est-on passé d’un phénomène limité aux culturistes des salles de gym de la Californie des années 50 à un phénomène quasi planétaire ?
Guillaume Vallet présente une analyse fouillée du phénomène, tant dans sa petite histoire, où le corps passe d’un outil de production à un objet fantasmé, que dans ses aspects sociaux, culturels et économiques. Il s’attarde également sur les contradictions culturelles du phénomène, notamment dans sa représentation super héroïque où le corps surdéveloppé est à la fois un objet de puissance et de faiblesse puisque l’invincibilité du héros est chaque fois contrebalancée « par un handicap physique (Daredevil), psychologique (Hulk) ou social (Superman) ».
Une section particulièrement intéressante porte sur la relation entre le corps musclé et le genre, où sont développés les concepts d’une masculinité du corps hégémonique et une autre dite défensive. La première met de l’avant une domination masculine directement associée à la notion même de virilité, circonscrite à l’hétérosexualité masculine, et implique une méfiance du féminin auquel les hommes gais sont souvent associés, puisqu’« être pénétré, c’est être vulnérable et sous la domination d’un autre qui prend symboliquement possession de soi ».
La masculinité défensive, de son côté, fait son apparition dans la mouvance des remises en question de la prédominance sociale de l’homme. Devant le questionnement identitaire inhérent au « qu’est-ce qu’un homme ? », le développement musculaire apparait soudainement à plusieurs comme un modèle traditionnel accessible qui permet de se parer d’une armure rassurante et de renouer avec une notion d’invincibilité.
L’auteur souligne par ailleurs que des groupes musculaires différents sont développés selon le sexe. Les femmes développent généralement les membres inférieurs (la taille, les cuisses, les jambes), perçus comme des instruments de séduction, alors que les hommes se concentrent sur le haut du corps (biceps et pectoraux), associés à la force brute et à la domination. Un ouvrage fascinant qui, au-delà de ses multiples analyses, se distingue par les questionnements qu’il soulève à l’endroit du genre.
INFOS | La fabrique du muscle / Guillaume Vallet. Paris : L’Échappée, 2022, 267 p.