Un jeune homme trans d’origine syrienne partage l’appartement de sa grand-mère dans Little Syria, un petit quartier de New York, où il tente de joindre les deux bouts, d’oublier le décès récent de sa mère dans un incendie et les difficultés qu’il éprouve à trouver aide et écoute dans son processus de transition. La découverte des carnets manuscrits d’une artiste syrienne, Laila Z., amène bientôt un changement radical au regard qu’il porte sur lui-même et sur sa communauté.
Découverts au hasard de ses pérégrinations dans des édifices abandonnés, les carnets se révèlent tisser des liens avec son propre passé puisque Laila y évoque une relation avec sa propre mère. Il découvre également que les deux femmes cherchaient à démontrer l’existence d’un oiseau mythique à travers la recherche d’un tableau disparu qui le représenterait.
Lui-même passionné d’ornithologie, la quête de sa défunte mère n’est donc pas sans s’accorder avec ses propres passions. Par ailleurs, cette incursion dans le passé familial lui permet d’échapper à l’incompréhension qui pèse à son endroit, tant dans la communauté syrienne qui ne voit en lui, au mieux, qu’un « garçon manqué », que dans le milieu médical. Son médecin ne démontre en effet qu’indifférence devant les douleurs et saignements provoqués par son stérilet, alors que la réceptionniste l’accueille toujours avec un irritant « mademoiselle ».
Le récit s’accorde par ailleurs pleinement à la démarche identitaire du narrateur qui demeure anonyme tout au long de son cheminement, jusqu’à ce que le prénom qu’il a choisi, Nadir, soit révélé au lecteur ou à la lectrice. Cette quête se déroule ainsi au rythme de la recherche des preuves de cet oiseau insaisissable que chacun remet en question, mais dont il ne ressent pas moins la réalité. Le parcours de Nadir trouve également écho dans les carnets de Laila, qui retrace un pan de l’histoire de l’immigration syrienne aux États-Unis, à partir des années 1930, mais également celle des minorités
sexuelles de cette communauté. L’auteur, lui-même transgenre, brosse un portrait extrêmement riche, étalé sur plusieurs décennies, des communautés syro-américaines et LGBTQ, au cœur d’une démarche identitaire bouleversante.
INFOS | Les trente noms de la nuit / Zeyn Joukhadar. Paris : Rue de l’échiquier, 2022, 346 p.