La violence silencieuse

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J’ai été victime de violence conjugale. Non celle qui crée des ecchymoses sur le corps, plutôt celle dont on souffre en silence et seul. Ces blessures psychologiques donnent l’impression que notre corps entier tremble de douleur et d’anxiété. Une souffrance imperceptible de l’extérieur qui peut faire encore plus mal qu’un coup de poing car elle nous habite profondément. La manipulation, les mots blessants et les insultes sont des armes puissantes qui permettent de détruire de manière insidieuse le caractère d’une personne, l’amenant à croire qu’elle mérite réellement d’être châtiée. Le sentiment de culpabilité qui en découle envahit la victime jusqu’à ne plus se reconnaître dans le miroir, voire détester ce qu’elle voit. Avec le recul, comme bien d’autres gens, je suis autant choqué par ces événements que par le fait d’avoir été piégé.

Après de nombreuses séances de thérapie, de nombreux cafés à raconter à tout mon entourage l’enfer dans lequel je me retrouvais, de vivre tant de hauts et de bas, j’ai enfin réussi à prononcer des mots que je ne croyais jamais m’entendre dire ne serait-ce qu’une fois dans ma vie : « J’ai vécu de la violence conjugale pendant près de trois ans ».

Cette constatation me semblait pourtant intensément irréaliste. J’ai cru trop longtemps que la violence conjugale était uniquement physique. Bien sûr, je pensais que cela n’arrivait qu’aux autres, comme la majorité des gens… Détrompez-vous, la réalité est toute autre.

Cette violence s’installe tranquillement, lentement, à petits pas. Il est difficile de la voir venir ou même la reconnaître. Plus la relation avance, plus des « expériences » plus ou moins subtiles sont menées afin de voir jusqu’où il est possible d’aller, question de repousser toujours plus loin les limites du contrôle sur l’autre. Des situations anormales qu’une personne saine d’esprit, que je n’étais pas, ou plutôt que je n’étais plus, n’accepterait jamais. À ce stade de notre relation, j’étais déjà complètement sous le charme de ses beaux yeux bruns et de ses belles paroles que j’avais si longtemps rêvé d’entendre. En fait, il me connaissait trop bien. Il avait réussi à me percer à jour, à déceler avec exactitude que mon allure pleine d’assurance n’était qu’une façade, que derrière ce masque se cachait une grande insécurité et un profond manque de confiance en soi. Ou peut-être l’avait-il compris dès le départ.

Petit à petit l’isolement devient total, on oublie ses propres amis et même sa famille. Ce qui compte avant tout, c’est de plaire à l’autre et faire partie de sa vie. Cette solitude fait en sorte qu’on se concentre sur ces seuls objectifs, et cela permet à l’autre de mieux avoir le contrôle sur notre personne, sur qui nous sommes. Ainsi, la violence psychologique peut être amplifiée, elle peut perdurer, elle peut envahir. Sournoisement, on vient à croire que nous sommes les seuls responsables de ce qui nous arrive, que nous méritons d’être traité ainsi. Ce qu’on ne peut comprendre dans cet état d’esprit, c’est que le but de ces violences psychologiques est justement de nous diminuer et de détruire complètement la confiance en soi. Pour l’autre, c’est le plaisir narcissique et malsain de vous dominer en jouant sur vos émotions et en exploitant vos faiblesses au maximum.

Cette manipulation néfaste est insidieuse, elle est souvent réalisée de manière imperceptible. Surtout, elle ne laisse aucune trace physique. La personne peut être violente psychologiquement en privé, tout en étant la plus attachante du monde en société. Le conjoint devient le souffre-douleur, ou le « punching bag » comme je disais souvent par la suite. De l’extérieur, rien ne va paraître. Les gens auront du mal à croire, ou même à accepter, ce qui se passe réellement en arrière-scène. La manipulation de l’entourage est telle qu’on passe pour un être complètement détraqué, en pleine dépression, beaucoup trop émotif.

Combien de fois me suis-je fait dire que j’avais un problème de gestion des émotions, que je devrais probablement prendre des médicaments ou des antidépresseurs pour m’aider à retrouver l’équilibre, etc. Ces conseils proviennent de gens que je pensais être des amis, qui ont choisi de croire les apparences plutôt que mes confidences. J’ai perdu de nombreuses personnes de mon entourage car elles ne voulaient voir que le perceptible, elles fermaient les yeux sur ce que je vivais (et sur ce que je vis encore), probablement parce qu’elles ne voulaient pas entendre les deux versions, surtout la moins belle. Ajoutons à cela la manipulation dont l’entourage est lui-même victime, sans le savoir.

Trop souvent, on oublie qu’une relation compte deux personnes, mais on se fie habituellement à une seule histoire. C’est souvent plus facile de cette manière car cela simplifie les choses. Lorsque la relation a pris fin après trois années, j’ai entendu plusieurs fois des gens m’expliquer qu’ils ne souhaitaient pas choisir un côté plus que l’autre ni devoir couper des ponts. Cependant, la réalité est complètement différente : depuis ma séparation, c’est le silence radio pour moi, mais par la bande j’apprends que plusieurs soupers et soirées ont lieu avec l’autre. Il leur a donc été plus facile de croire le charmeur plutôt que la proie.

Je dois respecter ce choix, je sais qu’ils se font encore mentir par les apparences. Comme je le mentionnais, ce sont également des victimes à leur insu. Mais cela ne fait pas moins mal. Imaginez le ressenti, la souffrance, le sentiment de rejet qu’on peut vivre parce que l’entourage qu’on aimait tant a décidé de ne pas vous soutenir. Le seul fait d’y penser fait encore mal aujourd’hui.

Je suis arrivé au fond, et j’ai pu lentement réaliser le tort qui m’avait été fait, lorsque j’ai constaté que j’étais tellement isolé, tellement seul, que j’en étais venu à croire que la seule personne qui devait avoir mon attention était celle qui me détruisait de l’intérieur. Je ne voyais plus ma famille ni mes amis. J’ai même négligé mon travail dans lequel j’excellais auparavant, ce qui ajoutait au poids que je portais. Mais je voulais tellement son attention, qu’il m’aime comme moi je l’aimais, selon sa vision tordue de l’amour que sa violence psychologique avait fini par me faire absorber.

Mais j’ai finalement compris l’ampleur de son narcissisme, la portée de ses manipulations, la profondeur des dommages. Et tout ce silence en moi a crié de douleur, comme si on recevait des coups de massue à l’intérieur de soi, des coups de couteau qui viennent découper tout ce qui était bon et rassurant en moi.

Aujourd’hui, je m’en sors. Je reprends ma vie et je tente de redevenir celui que j’étais, personnellement et professionnellement. Il y a beaucoup à reconstruire. Il faut rebâtir les fondations et les rendre aussi solides qu’auparavant, même mieux encore. Malheureusement, ce qu’aura vécu une victime demeure inoubliable, humiliant, gênant. Mais heureusement, entouré de personnes sincères, on parvient à se hisser au-dessus et éventuellement, à retrouver toute notre valeur à titre de personne. J’ai confiance. Je tiens à conclure mon récit par un message à l’entourage des victimes, c’est-à-dire ces personnes dont un ami ou un être cher leur a fait part des violences qu’ils vivent. De grâce, écoutez-les !

Posez des questions. Réfléchissez à des gestes subtils que vous auriez vus et à des paroles à double sens que vous auriez entendues. Ne vous cachez pas de la vérité. Le manipulateur charmant et malveillant, celui qui détruit présentement votre être cher, ne mérite pas d’être protégé et encouragé. La victime mérite d’être entendue, soutenue, respectée et sauvée. Savez-vous pourquoi ? Parce que cette victime pourrait être n’importe qui, croyez-moi. Peut-être que vous la connaissez déjà.  

TEXTE Anonyme

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